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jeudi 23 décembre 2010

Enfants d'Haïti : adoptés ou "restavek" ? (2)

Voici le premier post que j'ai fait sur la question de l'adoption d'enfants haïtiens, qu'ils soient ou non victimes du séisme du 12 janvier 2010 Notez la date!).

23 janvier 2010

Adoptés ou « restavek » ?

Le hasard, une fois de plus, fait que mon projet de post sur l’adoption des enfants haïtiens, annoncé hier, vous me l’accorderez, coïncide avec l’actualité puisque j’ai appris, ce matin même, que 33 enfants haïtiens, dont les procédures d’adoption étaient en cours, quittent Haïti pour rejoindre en France leurs parents adoptifs.

Je ne reviens pas sur les événements dont on nous a abondamment régalés à la suite du séisme d’Haïti et de ses conséquences sur les procédures d’adoption engagées par des parents français et qui, de ce fait, se trouvaient inévitablement interrompues par la disparition, très probable, de nombre de documents et/ou de dossiers, qui, tant dans les lieux privés que publics, ont été détruits.

Pourtant, les Haïtiens, qui ont viré les colonisateurs français dès la fin du XVIIIème siècle, ont sans doute, pour partie, échappé à l’hypertrophie administrative que nous avons léguée à nos anciennes colonies, avec le CNRS et quelques autres archéo-structures de la même farine.

Les événements d’Haïti, en dépit des immenses différences, me rappellent un peu par certains côtés, l’affaire de l’Arche de Zoé dont on ne parle plus guère. Loin de moi l’idée de défendre les olibrius de cette association ! En revanche, je reste très sceptique quant aux preuves administratives qu’on semblait vouloir alors exiger, aux confins du Soudan et du Tchad ( !), de la part des parents, soit pour leur rendre des enfants, dont ils prétendaient qu’ils étaient les leurs, soit pour leur accorder indemnisation du « préjudice » moral de l’« enlèvement » de ces mêmes enfants. Ubuesco-kafkaïen dans ces pays, mais le Père Soupe, comme l’adjudant Tifris, ne veut pas le savoir.

A une époque où j’allais souvent en Afrique, j’avais un projet que, hélas ou heureusement, je n’ai jamais mis à exécution. Je voulais, en effet, m'y procurer, pour 5000 ou 10.000 francs CFA, des certificats prouvant que j’avais eu, là-bas, quelques enfants naturels, afin de pouvoir me présenter, en France, aux Allocations familiales locales, pour y solliciter les « indemnités y afférentes », comme on dit dans notre beau jargon médiéval d’usage en la matière.

Je n’ai pas de compétence juridique mais, pour connaître un peu la situation et, on va le voir, l’anthropologie culturelle et sociale haïtienne, je n’ai pas du tout les mêmes scrupules que bien des gens que j’entends s’exprimer, à longueur d’émission, sur ces questions, pour y faire part de leurs craintes de voir se mettre en place des trafics d’enfants. De tels agissements ne sont pas exclus, mais, en pareil cas, il faut mettre en balance les avantages et les inconvénients des solutions.

Or, entre un orphelin de trois ans restant en Haïti, privé de sa famille, dans une situation de misère totale, et le même enfant, venant en France pour y entrer dans une famille qui l’espère et l’attend de toutes ses forces, je n’hésite pas, pas même une nano-seconde, avant de trancher en faveur de l’adoption.

J’hésite d’autant moins que, un peu informé des traditions culturelles et sociales d’Haïti, je connais la pratique locale des « restavek », contre laquelle diverses associations de protection de l’enfance et surtout l’UNICEF s’efforcent de lutter, mais que nul n’a jamais évoquée dans nos médias.

Certains Haïtiens, contre toutes les évidences, nient parfois l’existence de cette pratique. Les dictionnaires du créole haïtien, de ce fait, sont souvent très discrets sur la définition de ce terme. Ainsi lit-on dans le Ti diksyonnè kreyol-franse (1976) : « Restavek : domestique (attaché depuis l’enfance à une famille) Gen de restavek ki pa konn manman yo : il y a des domestiques qui ne connaissent pas leur mère. ».

L’exemple en dit plus que la définition !

En réalité, le statut du « restavek » (< rester « habiter, être » + avec) est plus proche de celui d’un esclave que de celui d’un domestique, puisque le point principal est qu’il s’agit d’un enfant qui vit dans une famille qui n’est pas la sienne et qui y travaille très dur sans être payé, contre le gîte et le couvert, l’un et l’autre étant réduits au strict minimum, et souvent même un peu moins.

C’est en Haïti une pratique très ancienne que l’aggravation de la situation économique a contribué à maintenir. La catastrophe actuelle a donc peu de chances de la faire reculer, bien au contraire. Je ne citerai ici, pour étayer mon témoignage, qu’un bref extrait d’un document de l’UNICEF : « Le travail d'un enfant domestique [restavek] est souvent très dur, jusqu'à l8 heures par jour. L'enfant « restavek », parfois âgé de 5 ans seulement, fréquemment sous-alimenté, ne reçoit aucune instruction et aucun salaire, la loi haïtienne ne prévoyant pas de rémunération pour ce type de travail. L'enfant « restavek » subit, parfois, des violences physiques ou sexuelles. Il est souvent coupé de tout lien avec sa propre famille, en raison des distances qui les séparent, de l'analphabétisme et de l'absence de tout moyen de communication ».

Le phénomène est donc loin d’être marginal puisqu’on estime le nombre des « restavek » à plus de 170.000, soit environ 8% des enfants ou des adolescents entre 5 et 17 ans, la plupart d’entre eux étant naturellement originaires des zones rurales et, bien entendu, totalement déscolarisés

Bien que Haïti ait ratifié, en 1994, la Convention des droits de l'enfant, en l'absence d'une protection adaptée et en dépit de la lutte contre cette tradition menée par l’UNICEF, ces enfants restent exposés à des violences de tous ordres comme à la pire des exploitations. « Les restaveks sont privés de leurs droits les plus élémentaires » conclut le responsable de cette organisation en Haïti.

Faut il en dire davantage ?

Vaut-il mieux que des enfants, devenus orphelins à la suite du séisme ou dont les parents, déjà pauvres, ont perdu leurs dernières ressources dans cette immense catastrophe, deviennent des « restavek » (ce qui a toutes chances de leur arriver) ou qu’ils soient adoptés par des familles françaises, qui souhaitent en faire leurs enfants, fût-ce, pour une infime minorité, dans des conditions peut-être un peu incertaines voire hasardeuses au strict plan administratif ?

Pour moi, je n’hésiterais pas mais je ne suis pas à la place de Monsieur Kouchner ! Si par hasard, l’un des lecteurs de ce post connaît notre ministre, qu’il lui parle donc des « restavek » d’Haïti, dont il ignore sans doute jusqu’à l’existence.

Dernière minute. Je m'étonne d'entendre, ce matin même, un représentant de l'UNICEF inciter à la prudence voire à l'inaction dans le domaine des adoptions en Haïti, au motif qu'une quinzaine d'enfants manqueraient à l'appel ici ou là. La chose n'est pas étonnante dans le contexte actuel et rien ne prouve qu'ils aient été enlevés par des trafiquants. La chose la plus stupéfiante est que cette position soit prise par une organisation qui, depuis des années, dénonce le scandale des 170.000 « restavek » d'Haïti.

Messieurs les nababs de l'UNICEF, un peu de bon sens, de logique et de réflexion!

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