Il est clair que la mise en cause de la thèse de Jean-Bertrand Aristide comporte des aspects sur lesquels il est bien difficile de se prononcer. Les universités sud-africaines ont en effet connu et connaissent encore, semble-t-il, des séquelles de la situation de la RSA du temps passé ; l’UNISA elle-même, de création récente, du moins dans sa forme et sa structure actuelles, n’a eu son premier chancelier noir qu’en 2001 !
En Afrique du Sud, la mise en cause de la thèse de J-B Aristide, qui a pour titre « Umoya Wamagama » (sans italiques puisque la thèse ne semble pas encore publiée), porte essentiellement sur les données zoulou d’une part, et, d’autre part, sur le septième chapitre du travail (intitulé, de façon inattendue pour une thèse qui, dans le système français, serait rattachée aux sciences du langage), « A theological explanation », est qualifié de «désastre » par les trois professeurs (blancs précise-t-on) qui ont critiqué la thèse.
Faute de connaissances et de compétence tant en ce qui concerne la langue et la culture zoulou qu’en ce qui regarde la théologie, je me limiterai à un examen qui ne prendra en compte (et, rassurez-vous de façon très sommaire) que deux domaines qui me sont plus familiers et qui sont la créolistique (en particulier sous l’angle de la genèse des créoles) et la « méthode comparative » (le chapitre cinquième étant intitulé « Comparative Linguistic Features and Translation »).
On pourrait presque prétendre que, dans cette thèse, tout est dit dès les premiers paragraphes du résumé qui ouvre ce travail et qui en est plutôt, en quelque sorte, la conclusion. Je me risque à donner en ici ma traduction personnelle.
« Cette thèse intitulée Umoya Wamagama vise à établir la nature de la relation entre l’IsiZulu et le Kreyòl haïtien. Membre du groupe Nguni, l’IsiZulu est parlé par des Africains. D’autre part, le Kreyòl l’est par des descendants d’Africains en Haïti, la première République noire indépendante dans le monde.
Dans une perspective multidisciplimaire, ces deux langues offrent une parenté significative ; de là, une importante observation. IziZulu – Kreyòl haïtien. Si Près, Cependant si Loin ! [je respecte scrupuleusement les majuscules et la ponctuation]. En d’autres termes; ils sont loin d’un point de vue linguistique mais près dans une perspective psycho-théologique. (1) Si Loin : la linguistique comparative montre que le Kreyòl est génétiquement rattaché au français et au latin. (2) Si Près. Né en Haïti, durant la traite négrière transatlantique, le Kreyòl a gardé vivant l’esprit des ancêtres africains et contient encore les racines linguistiques des langues ancestrales.
Vibrante et vitale est cette relation historique entre les deux langues. Tandis que le Kreyòl haïtien est génétiquement lié au français et au latin, il partage avec l’IsiZulu une psychodynamique ancestrale et des paradigmes théologiques profondément enracinés dans l’Ubuntu » (2006 : iii).
On aura déjà compris que la démarche de J-B Aristide est sans le moindre rapport, en dépit des apparences, avec les théories substratistes ou, dans le cas haïtien, afrogénétistes dont l’origine première se trouve dans l’hypothèse d’une linguiste haïtienne, Suzanne Comhaire-Sylvain (1936) dont, curieusement, l’ouvrage, pourtant un grand classique, ne figure pas dans les références de la thèse en cause ici !
Si le deuxième chapitre de cette thèse s’intitule « Racines historiques. Racines linguistiques » sa briéveté (moins de 20 pages dans un travail qui en comporte plus de 450 !) est déjà fort inquiétante puisqu’il touche à un aspect essentiel du problème (les modalités de la genèse du créole haïtien). Ce sentiment est de courte durée car on constate très vite que ce chapitre est à peu près vide mises à part quelques rêveries sur les Taïnos (« the Amerindians », les occupants d’Haïti avant la colonisation européenne), l’un de thèmes favoris de l’idéologie caribéenne visant, non sans naïveté, à l’éviction de l’apport européen et quelques sornettes concernant l’origine des esclaves amenés. Il s’agit sur ces points de faire apparaître l’importance de l’apport bantou (cf. en particulier page 23 « African Roots of Haitian Kweyòl » où un « camembert » aux superbes couleur, sous-titré hardiment « Haitian Kweyòl rooted in Bantu people and Bantu language » fait apparaître que la moitié des esclaves étaient des Bantous !
Une référence, purement décorative, est faite ici à un ouvrage estimable mais très ancien (Curtin Philip, Feierman Steven, Thompson Leonard et Vansina Jan, African History, Londres 1978), mais J-B Aristide se garde de préciser que la remarque des auteurs cités ne concerne en aucune façon Haïti ! Il suffit de rappeler ici que C. Lefebvre (dont l’auteur signale, mais sans doute sans l’avoir lu, le livre de 1998 dont le point de vue, tout différent, n’aurait pu être que discuté comme on va le voir), tout en aboutissant à une hypothèse aussi fausse, s’est attachée depuis des décennies à démontrer que le créole haïtien n’était que du fongbe relexifié en français. Il suffit d’ailleurs de regarder une des cartes linguistiques de l’Afrique que reproduit la thèse pour constater que l’aire d’usage du zoulou se trouvant dans la partie quasi extrême du Sud-Est de la RSA, il y a peu de chances qu’au XVIIe et au XVIIIème siècles des esclaves aient parcouru, même si on les tranportait parfois sur « 1000 milles », les 6000 kilomètres qui les séparaient des ports de traite du Golfe de Guinée, et cela d’autant que la traite est-orientale était elle-même fort active. Ajoutons, pour conclure, même si la messe est dite (si j’ose dire !) que quand on parle de « Bantous » dans la traite ouest-atlantique, il ne peut donc en aucun cas s’agir de « Zoulous » ! Comme J-B Aristide ne se préoccupe guère de détails comme l’origine des esclaves et les langues qu'ils pouvaient parler, je ne juge pas utile de m’en soucier à sa place, tout ce chapitre pouvant être considéré comme à peu près nul, en dehors des images ou cartes et d’un poème de Dante « Per me si va nella città dolente... » sur la présence duquel je continue à m’interroger !
Sur la « méthode comparative » ; il est stupéfiant de ne trouver aucune des références classiques. A vrai dire, il n’y a même pas de références du tout, car les deux seuls noms cités dans le chapitre en cause sont ceux de H.D Duncan
( Language and Literature in Society, 1953) mais il s’agit là bien plutôt de sociolinguistique (un peu avant la lettre) que de comparatisme et de A. Fox (je traduis le titre de son ouvrage « La linguistique historique, linguistique comparative, la reconstruction (linguistique); Typologie (linguistique); Méthodologie ») qui se veut plutôt un manuel pour étudiants un peu avancés qu’une référence de recherche proprement dite, surtout au niveau du doctorat.
Cette remarque conduit d’ailleurs à une autre, plus générale, concernant les références du travail qui sont des plus étonnantes. On n’y trouve pas en effet des ouvrages qui apparaissent incontournables (pas plus ceux d'afro-génétistes comme S. Sylvain – cas déjà mentionné- ou A. Bentolila que d'auteurs majeurs comme M.DeGraff, D. Fattier, J. Faine, R. Hall Jr, M. Herskovits, S. Mufwene - dont JBA cite le livre de 2001 mais pas celui de 1993 bien plus directement en rapport avec son sujet et qu'il ignore manifestement - Pradel Pompilus, etc.). Le cas le plus drôle est que se trouve mentionné (mais omis dans les références finales), comme un défenseur des « racines africaines du créole haïtien » (2006 : 25), André-Marc [sic] d’Ans, 1968. il s’agit naturellement d'André-Marcel d'Ans et de sa première thèse préparée, dans sa jeunesse, à Kinshasa et dont le point de vue est d’ailleurs tout autre, mais, en revanche, son grand livre Haïti. Paysage et société, est ignoré !
On ne doit pas, dit-on, tirer sur les ambulances et tout le reste est à l’avenant, avec pour atteindre sans doute les dimensions d’une thèse sud-africaine des tas d’éléments inutiles ou dont la pertinence n’apparaît pas comme ces poèmes zoulou traduits en anglais ou les listes, multiples et interminables d’éléments linguistiques zoulou et kweyòl. Le cas le plus fou est, en une vingtaine de pages, une liste de 1152 mots sous leur forme « kweyòl », française et latine ! De sa formation ecclesistique, J-B Aristide a assurément gardé une vaste culture, des clartés dans beaucoup de domaines, et une incontestable agilité intellectuelle mais il est clair qu’il n’entend rien au sujet linguistique dont il prétend traiter.
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1 commentaire:
Alors cher Succus aceris, on traîne au lit?
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