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dimanche 10 avril 2011

De la relativité de la notion de massacre ou bons et mauvais morts

Les tensions politiques qui se sont étendues, depuis le début de 2011, de la Tunisie au Moyen-Orient en passant par l’Egypte et la Libye (le tsunami des révoltes populaires doit composer, en effet, entre le politique, le chronologique et le géographique ce qui fait que sa progression n’est donc pas linéaire), a même fini par toucher la Jordanie et surtout la Syrie, bastion d’un gouvernement dictatorial qu’on jugeait inexpugnable.

J’ai souvent choqué, dans des blogs, me faisant même traiter de sioniste, en déclarant que, si j’étais un Palestinien (ce qu’à Dieu ne plaise !) et si l’on me donnait la possibilité de choisir, au sein de la zone, mon lieu de vie entre (dans le désordre) la Jordanie, la Syrie, le Liban, la Cisjordanie, Gaza et Israël (ce dont rêvent sans doute nombre de Palestiniens), je choisirais, sans la moindre hésitation, Israël ! Je me suis déjà expliqué sur ce point et je suis tout prêt à le faire à nouveau mais, compte tenu du titre de ce post, je voudrais aborder cette question par la sinistre comptabilité des victimes palestiniennes du conflit moyen oriental qui reste, contre toute attente, le meilleur moyen de faire descendre dans les rues les foules des Etats islamiques.

Après une période de calme relatif, les tirs vers Israël ont repris et donc, inévitablement, les représailles israéliennes sur Gaza. Depuis vendredi dernier, 12 Palestiniens (désormais 18 en ce dimanche 10 avril 2011), dont des combattants du Hamas, ont péri lors de raids israéliens, ce qui, pour Gaza, constitue les jours les plus meurtriers depuis la fin de l'opération israélienne de 2008-2009. Selon B’Tselem, ONG israélienne de défense des droits de l’Homme, plus de la moitié des 1.387 morts palestiniens qui avaient été tués lors de « Plomb durci », entre le 7 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, étaient des civils. C’était évidemment énorme, mais il s’agissait là d’une opération de guerre contre l’ennnemi juré Israël et elle avait duré un mois et demi.

Toutefois et on l’oublie, dans le sinistre palmarès que j’évoque ici, Israël est loin derrière le Liban où les milices chrétiennes ont, en trois jours, dans les camps de Sabra et de Chatila, causé la mort de centaines voire de milliers de réfugiés palestiniens (les estimations vont de 700 à 3.500).

Dans les massacres de Palestiniens, peuple si précieux et si présent dans l’idéologie des foules arabes, nul ne songe à disputer à la Jordanie la première place dans les massacres de Palestiniens avec son « Septembre noir ». Mais qui s’en souvient encore, surtout après avoir vu, dans la suite, Yasser Arafat se tordre les mains de chagrin derrière le cercueil d’Hussein de Jordanie, l'auteur même de "Septembre noir" ?

Très bref rappel des faits. C'est l'époque où Yasser Arafat appelait ouvertement au renversement de la monarchie hachémite pour s'emparer lui-même de la Jordanie. Le 12 septembre 1970, le leader de l’OLP/Fatah qui porte ses coups aussi bien sur Israël que sur Hussein, fait exploser devant la presse internationale les trois avions d’El Al (vides !) qui avaient été détournés. Hussein doit agir. Le 17 septembre, l'armée jordanienne attaque les fedayins en bombardant camps de réfugiés et sièges d’organisations palestiniennes. Aprés dix jours de bombardements, ces camps sont rasés et les Palestiniens doivent fuir au Liban et même en Israël pour échapper au massacre. La Syrie envoie alors ses blindés à la frontière afin de leur venir en aide, mais Hussein appelle à son secours les États-Unis et même Israël (grâce au Plan Rogers). Les avions israéliens menaçent les chars syriens qui battent en retraite, abandonnant les Palestiniens à leur funeste sort.

C’est Nasser qui, dix jours plus tard, obtient la cessation des hostilités entre la Jordanie et l'OLP. Durant ce mois désormais nommé « Septembre Noir », le nombre de victimes palestiniennes varie, selon les sources, entre 3.500 (sources jordaniennes) et 10.000 (sources palestiniennes), la seconde estimation étant sans doute plus proche de la vérité que la première.

Dernier exemple, différent et plus actuel. Le tsunami « démocratique » ayant touché la Syrie, on évoque désormais chaque jour ou presque des victimes parmi les manifestants. Ainsi, à Deraa (cent kilomètres au Sud de Damas), on a parlé, selon les sources, de 17 ou 27 morts enterrés vendredi dernier. Là encore toutes ces morts sont déplorables, mais Deraa (2011 et le fils Bachar el-Assad) peut-il faire oublier Hama (1982 et le père Hafez el-Assad) ? Dans ce dernier cas, il ne s’agissait pas de simples forces de police et de quelques coups de feu dans des manifestations ! En 1982, Hafez el-Assad avait lancé, non pas la police mais son armée et ses Forces spéciales, sur Hama. Pendant trois semaines, des combats avec bombardements et canonnades, avaient opposé les troupes syriennes aux Frères musulmans et à la population de la ville.

Là aussi, le nombre de victimes demeure inconnu mais il est, en tout cas, énorme. R. Fisk parle de 20 000 morts, The Economist en compte 30 000 et le Comité syrien des droits de l’homme le situe entre 30.000 et 40.000. Le seul point que je veux souligner ici est que ce froid massacre n’a alors suscité nulle réaction de la communauté internationale qui semble s’émouvoir des 17 morts (infiniment regrettables) de Deraa.

En d’autres termes, il y a pour l’opinion internationale et donc pour les médias, des mauvais morts et des bons morts !

Bien plus, pour les premiers, on compte, sans trop d'émotion, en milliers (comme à Hama), en centaines de milliers voire en millions (comme en Afrique Centrale, où l’on ne sait même pas si les génocides ont fait trois, quatre ou cinq millions de victimes), alors qu’ailleurs deux ou trois morts pourvu qu’ils soient du bon côté font les gros titres et tirent des larmes au bon peuple.

Remarque banale de ma part mais que je voudrais extrapoler aux événements actuels et en particulier à ceux de la Libye et de la Côte d’Ivoire où diverses organisations (l’ONU et l’OTAN qui opère là, notons-le, bien loin de son champ d’intervention désigné, à moins que « Atlantique Nord » ne soit devenu « Afrique Noire » !) et la France, accompagnée de quelques Etats, d’ailleurs de plus en plus rares, ont jugé bon d’intervenir militairement dans des conflits intérieurs (ce que, comme on l’a vu ni Hussein de Jordanie ni Hafez el-Assad ni bien d’autres n’avaient pas eu à craindre !).

Là aussi, il y a les bons et les mauvais morts.

Les premiers sont les morts qui auraient pu se trouver dans les forces d’intervention et, fort heureusement, il n’y en a pas eu pour le moment, vu la nature de ces interventions (aériennes ou lointaines en Libye ; quelque peu symboliques en Côte d’Ivoire à en juger par les images et les résultats). Parmi les bons morts se comptent aussi les victimes civiles, sauf bien entendu celles des dommages « collatéraux », mais on n’en sait pas grand chose, car les « envoyés spéciaux » répugnent, de toute évidence et par prudence, à s’approcher des vrais théâtres d’opérations.

Les mauvais sont une catégorie plus mouvante. Ainsi les centaines de morts des massacres de Dokoué, en Côte d’Ivoire, qu’on avait d’abord mis au compte des « mercenaires » de Gbagbo s’étant révélées des victimes des « troupes républicaines » de Ouattara, ces morts ont brusquement vu changer leur statut de « bons morts » en celui de « mauvais morts ». Le récent discours d'ADO évoquant les « exactions » de ses troupes et les « sanctions » qui frapperaient leurs auteurs a été une confirmation indirecte de cette mutation. En Libye, les frappes si efficaces et si destructrices de notre artillerie de marine, des missiles américains ou de nos propres missiles air-sol n’ont pas pu ne pas faire nombre de victimes. Ce sont là sont assurément des mauvais morts que, de ce fait même, on passe totalement sous silence. Ces soldats libyens, rôtis dans leurs camions ou leurs véhicules blindés, tués dans leurs casernes ou derrière leurs pièces d’artillerie n’étaient pourtant pas nécessairement tous de farouches partisans de Kadhafi ; de toute façon, tous avaient, eux-aussi, des parents et des amis que leur mort n’a pas nécessirement gagnés à la cause de la révolution libyenne et de l'intervention extérieure !

« Quelle connerie la guerre ! »
Et celles-ci plus que les autres, car les protagonistes majeurs ne seront pas longs à se réconcilier.
En Lybie, autour des barils de pétrole et de quelques contrats, d’armement de préférence, puisque, sur le terrain libyen, nous aurons pu faire la démonstration « éclatante » de l’efficacité de nos produits.
En Côte d’Ivoire, ce sera plus simple encore car la haine de la France est le sujet déjà programmé pour la réconciliation générale !

LUNDI 11 avril au matin

Le point que j'évoquais en finissant (la réconciliation ivoirienne contre la France et sur son dos) est en marche avec l'intervention, nocturne et absurde, des armes françaises contre la résidence de Gbagbo qui doit bien rire, même si c'est un peu jaune. L'ONU et les "troupes républicaines de ADO" comptent pour du beurre! A qui fera-t-on croire que samedi 9 avril 2011 à 17 heures, on a pu tirer des missiles ou envoyer des obus sur l'Hôtel du Golf, surpeuplé jusque dans ses pelouses, sans faire la moindre victime?

2 commentaires:

Marc a dit…

Mon très cher Usbek,

Je ne crois pas aux bons ou mauvais morts ni à la connerie de la guerre malgré mon admiration de Prévert. Je crois plus aux luttes de pouvoir et à la négation de l'Autre, fondement inhérent à la nature humaine.

Il m'est souvent arrivé d'imaginer ce que des historiens retiendraient des 60 et quelques années ayant suivi la seconde guerre mondiale. Une vague de folie de masse ou la libération sans complexe de tous les mauvais instincts humains. Les deux sans doute.

Ce que l'on constate aujourd'hui lorsque l'on se penche sur le Printemps Arabe ne fait que confirmer, hélas, que les remarquables recherches de libertés de peuples longtemps pressurés, opprimés et contraints au silence sont en train de tourner en eau de boudin et en cocufiage de masse. Il suffit de lire de près ce qui s'y passe pour s'en convaincre et en éprouver la nausée.

Des morts, il y en aura encore des pelles jusqu'à ce que les dernières braises des velléités de liberté et de justice ne soient étouffées à coups de talons. Les égyptiens voteront démocratiquement avec un peu moins d'urnes préalablement bourrées que d'habitude et les Frères Musulmans chausseront les pantoufles de Moubarak dès que la poussière des insurrections retombera. Kif-kif en Syrie où les Frères locaux éjecteront les Alaouites sous l'oeil pas mécontent des Kurdes, sauf massacre king size à la syrienne.
Et tout ça pour ça.

En parallèle et histoire de faire baisser la pression, nos amis persans déclenchent le souk au Liban, en Syrie et déclenchent en toute connaissance de cause ce qui aboutira fatalement à un Plomb Durci II auprès duquel le 1er apparaitra comme une promenade de santé. Pour ce faire, un attentat dans une gare routière et surtout le lancement d'un missile anti-tank Kornet sur un bus scolaire d'un jaune éclatant et bien visible. Psychologiquement bien vu car les israéliens détestent que l'on tue des enfants, allez savoir pourquoi, et qu'ils le font savoir. 150 roquettes et obus de mortiers plus tard et 46 frappes aériennes en réponse, quelques énervés israéliens parlent de reconquérir Gaza et d'éradiquer le Hamas avant d'éjecter tout le monde en Egypte.
Je crois que le champagne sans alcool coule à flot chez les mollahs.

Je crains qu'un grand nombre de macchabés, des bons et des pas bons, n'améliorent prochainement les scores respectifs.
A part aller boire un verre de Standard de St-Petersbourg, je vois mal ce qui me reste à faire ce soir ...

Bonne soirée

Ps : Je préfère ne pas évoquer notre pré carré national, ce soir la coupe est pleine

Anonyme a dit…

Cher Marc,
"L'un n'empêche melba" comme disait le regretté Pierre Dac...
Nos propos ne sont en rien en contradiction et vous avez tout à fait raison, ce que confirment , s'il en est besoin, les infos du matin. Usbek