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vendredi 27 juillet 2012

Intégration et francophonie. Nouvel épisode. Hydre de Lerne ou Shiva ?

J'ai publié, en partie et sous une forme un peu différente, ce blog en octobre 2011. Ma paresse estivale et les propos de Messieurs Vals et Guéant lui redonnant toute son actualité , je n'hésite pas devant une "redif" dont c'est la saison!
J'évoque souvent le Moloch de l'administration française, mais, dans l'ordre des métaphores mythologiques, voilà que mon sujet du jour m'amène à évoquer d'autres figure,s car on pourrait tout aussi bien faire sortir de son antre l'Hydre de Lerne, dont repoussaient sans cesse les multiples têtes coupées, mais également, en changeant de continent, Shiva aux quatre bras avec toutefois une nuance typiquement française dans la mesure où chacun de ses bras ne paraît jamais savoir ce que font ou ont fait les trois autres.

La première observation qu'on peut faire est que la plupart des pays européens ou même étrangers exigent, de la part des candidats à la naturalisation, une connaissance, en général minimale mais parfois plus étendue, de la langue et même de la culture nationale.

Deuxième remarque.  D'aucuns disent que "les dispositifs précédents ne sont pas pleinement opérationnels" ; une telle formule témoigne non seulement d'une parfaite maîtrise de notre langue mais même de la pratique opportune d'une des figures majeures de notre rhétorique qui est la litote.

En effet, ce qu'on présentecomme une lubie de Claude Guéant (un "dada") n'est, en fait, que la reprise, assez irréfléchie, sans doute fondée sur l'ignorance, d'un programme du Ministère de la Culture mis en oeuvre, à partir de 2003 par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (la DGLFLF). Le bras du Shiva administratif français qui règne sur l'Intérieur ignore manifestement ce que fait un autre bras qui a en main(s) la Culture ( je mets "main" au singulier, avec une prudente option pour le pluriel, faute de savoir si l'un ou l'autre des bras de notre Shiva possède aussi plusieurs mains!).

En France, les réflexions sur cette question ont commencé depuis près de dix ans sans autre résultat tangible(si l'on peut dire) qu'un ouvrage de J.C. Beacco, M. de Ferrari, G. Lhote et C. Tagliante intitulé Niveau A1.1 pour le français (Public adultes peu francophones, scolarisés, peu ou non scolarisés) Référentiel et certification (DILF) pour les premiers acquis en français, Didier, 236 pages, Paris, 2005.

Je ne parlerai pas ici du contenu même de ce livre et de la critique qu'on peut en faire, me bornant à en examiner les seules pages de couverture et de garde pour ne pas abuser de la patience de mes lecteurs.

Sans aller plus loin, on y observe d'abord que, si l'ouvrage porte le logo du Conseil de l'Europe (avec, au-dessous la mention "Division des politiques linguistiques, Strasbourg. Référentiel pour les langues nationales et régionales") , le livre est co-édité et probablement co-financé par la DGLFLF(ministère français de la culture et de la communication) et la Direction de la population et des migrations (ministère français de l'emploi de la cohésion sociale et du logement, donc, en la circonstance, une troisième main de notre Shiva administratif).

Il semble y avoir d'ailleurs eu quelques problèmes dans cette coordination complexe européano-française. En effet, sur la couverture, le logo du Conseil de l'Europe figure, au centre et en haut de la page tandis que, sur la page de garde, ce même logo a bizarrement glissé vers la droite, laissant, à sa gauche, un espace, curieusement vide quoique symétrique, dont tout donne à penser qu'il aurait dû être occupée par le logo d'une autre institution.

Tout cela est en tout cas moins important que le titre même de l'ouvrage qui comporte aussi quelques bizarreries : "A1.1 pour le français (Publics adultes peu francophones, scolarisés, peu ou non scolarisés) Référentiel et certification (DILF) pour les premiers acquis en français".
Sur la forme d'abord. En l'absence de ponctuation, on ne sait trop que penser des adjectifs qui suivent "publics adultes" et en particulier de "scolarisés" vs peu ou non scolarisés"). Si l'on voit bien que DILF est forgé sur le modèle DELF et DALF et que le niveau A1.1 indique qu'il s'agit là du premier degré du niveau A1, on ne peut que s'étonner de voir, sur certains points objectifs, les exigences de ce niveau A1.1 apparaître comme supérieures à celles du niveau A1 dont il est censé être la première marche!

Il semble un peu inutile de d'interroger sur ce genre de détails linguistiques tant on relève de faits qui démontrent que les auteurs du livre en cause semblent tout ignorer, apparemment, du mode et des conditions de vie des "adultes peu francophones, scolarisés, peu ou non scolarisés" que prétend viser pareille entreprise.

On peut certes s'interroger sur le contenu pédagogique de ce niveau A1.1 mais plus encore sur la mise en place du plan dans lequel il devait s'insérer pour s'achever dans le DILF. Je ne peux pas aborder ici le détail ni le contenu de ces niveaux du fameux "Cadre européen commun de référence pour les langues" (la poule aux oeufs d'or des didacticiens assez habiles pour se faufiler dans ce fromage); j'observe néanmoins que, dans l'entreprise commencée dans les années 2003-2004, le choix de ce niveau A1.1 uniquement oral, qui impliquait une durée d'enseignement comprise entre 200 et 500 heures et devait être organisé et financé par un Fonds d'actions et de soutien à l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) n'a assurément pas donné les résultats qu'on pouvait espérer ; le DILF a sombré corps et biens avec lui au point que tout cela est totalement oublié de tous, même du ministre compétent iol y a trois mois encore (la quatrième main de Shiva).

Ce qui est sûr en tout cas est qu'on était, à cette époque et avec plus de moyens au moins sur le papier, porteur d'une ambition bien moindre que celle de M. Claude Guéant qui visait, au moins dans ses propos, le niveau B1 (supérieur à celui de la majorité des instituteurs de l'espace francophone du Sud qui sont plutôt à A2!) et même celui de la troisième (!), alors que, en 2003-2004, on ne pensait qu'à un niveau A1.1 qui n'était qu'une première étape de A1. On a donc, pour conclure le sentiment que notre administration ne sait pas toujours très exactement ni de quoi elle parle ni ce qu'elle veut.

Notre Shiva administratif, désormais perplexe, occuperait-il une cinquième main, cachée celle-ci, à se gratter l'occiput ?

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