Messages les plus consultés

samedi 29 mars 2014

Élections municipales 2014 et intercommunalité : ça sent si bon la France !

Élections municipales 2014 et intercommunalité : ça sent si bon la France !
J'ai passé, chère lectrice, distingué lecteur, une fort mauvaise nuit en pensant que vous alliez affronter le second tour des élections municipales sans être suffisamment informé(e) de l'importance de ce scrutin qui fera date dans l'histoire des élections françaises, une importante réforme ayant  été faite, sans tambour ni trompette, pour le 1er janvier 2014.
Vous avez en effet voté dimanche dernier, pour la première fois et sans doute sans y prendre garde et sans le savoir, non seulement pour élire un conseil municipal mais également un conseil « com-mu-nau-taire », ce qui est une considérable innovation !
« L'intercommunalité » désigne en effet, en France, le regroupement de communes, structure administrative légale, chargée d'exercer des compétences qui lui sont déléguées par les communes qui en sont membres. Or, pour la première fois, vous avez pu ou vous allez pouvoir élire les conseillers des communautés de communes sur une liste spécifique dont vous avez connaissance, cette procédure étant substituée aux cuisines internes précédemment en cours au sein des mairies. Toutefois n'allez pas croire, naïvement, que vous avez apporté véritablement des mesures salvatrices aux problèmes que pose le fameux  millefeuilles administratif français qu'il est de bon ton de dénoncer, sans y changer quoi que ce soit sauf à le compliquer encore. Aussi ai-je jugé de mon devoir de vous éclairer lors de ce scrutin.
Faisons d’abord le point. Au 1er janvier 2014 existaient en France, regroupant 98,8 % des communes, 2.145 « Etablissements publics de coopération intercommunale » (EPCI). Ça ne fait guère, par EPCI de ce tonneau, en moyenne,  qu’une quinzaine de communes ! 
On relève, dans cet ensemble, 1903 « communautés de communes », 222 « communautés d'agglomération » (singulier singulier ! La curiosité est ici d’ordre orthographique, puisque les textes officiels mettent au singulier le mot « agglomération », ce qui en rend très problématique la mise en « communauté »). Jusque-là rien de très remarquable … à ce détail orthographique près ! S'y ajoutent 15 « communautés urbaines » (déjà plus étrange dans leur importance puisque Alençon y voisine avec Marseille et le Creusot avec Toulouse !), quatre « syndicats d'agglomération »(même remarque sur ce singulier singulier), une « métropole » : Nice (va savoir pourquoi ?) et surtout quatre communes dont je ne vous donnerai pas en mille de découvrir les noms car nous n'en avons pas le temps et vous n’y parviendriez pas même, si je vous le donnais en dix mille, puisqu’il y a plus de 36.000 communes dans notre beau pays. Or ce sont en effet, et  seuls Dieu et le Père Ubu administratif français savent pourquoi : Saint-Loup-Géanges et Change (Saône-et-Loire)Nalliers (Vendée), et Quincieux (Rhône). Après cet inventaire à la Prévert, où seul manque à l’appel l’indispensable raton-laveur qu’on attendait,  je pense qu'on peut retirer l'échelle administrative !
Vous savez comme moi (et comment ne pas le savoir tant on nous l’a répété) que la France compte plus de 36 000 communes, dont 10 000 ont moins de 200 habitants et 32 000 moins de 2000. Voilà plus d'un demi-siècle qu'on trouve que cette structure, qui nous vient des siècles passés, est devenue de plus en plus inadéquate, puisque la France rurale, à laquelle correspondait cette multiplicité, n'existe plus guère ; on essaye donc, en vain, depuis plus d'un demi-siècle, de porter remède à cette situation, sans oser le faire et si on le fait, comme toujours, on agit avec cette lenteur et ces incohérences qui nous caractérisent. Un des initiateurs de ces réformes a été Jean-Pierre Chevènement qui, visant, comme souvent à la « simplification de la coopération intercommunale » a surtout, semble-t-il, respecté la loi constante et  générale de l’incohérence et de l'inefficacité que je viens d’évoquer.
Depuis les années 50, on a accumulé les réformettes en créant d’abord, des « districts urbains » en 1959, puis des « communautés urbaines » en 1966, un autre pas étant franchi avec la « communauté de communes » créée en 1992 (pour les zones rurales et les petites villes) et la « communauté d'agglomération » en 1999. Je vous passe les détails de la progressive et inexorable mise en place de cette vaste mais incohérente usine à gaz !
Et c'est là où intervient la date fatidique du 1er janvier 2014, moment historique  que nous avons vécu sans y prêter suffisamment attention ; cette date mémorable avait été fixée de façon définitive par la réforme des collectivités territoriales de 2010, qui a rendu obligatoire pour les communes l'adhésion à une intercommunalité. Comme tout cela était encore un peu trop simple, on a aussi mis en place de nouvelles formes d'associations, la « métropole » et le « pôle métropolitain ». On ne saurait  être plus incohérent en matière de simplification ; la seule satisfaction que peuvent avoir les « penseurs » de cette réforme tient à une meilleure définition du « périmètre » et une simplification de la « carte intercommunale » qu’il fallait bien finir par établir.
Comme le disait, avec sa prudence et sa précision habituelles, feu Philippe Seguin « la situation de l'intercommunalité est un indéniable succès quantitatif mais la situation n'est pas pleinement satisfaisant sur le plan qualitatif ». Ah qu’en termes galants… ».  Au 1er janvier 2013, on comptait 14. 800 syndicats communaux ce qui est encore beaucoup, même si on se félicite d’une diminution de 3% de ce nombre !
De la logique profonde qui a présidé à ces réformes, je ne citerai que deux points essentiels car, si peu originaux qu’ils soient, ils ont été fixés après mûres réflexions : d’une part, le périmètre d'une communauté doit en effet respecter un principe de « continuité territoriale » (ce qui empêche, hélas, de mettre dans la même communauté, une commune du Pas-de-Calais et une autre des Alpes-Maritimes) , d’autre part, le fait qu’une commune ne peut appartenir qu'à une seule communauté, ce qui paraît aussi relativement logique, même si ce principe n'est pas une puissante originalité.
La principale nouveauté de ce scrutin de mars 2014 est que, comme vous l'avez constaté au premier tour, si toutefois vous avez été dans la minorité d'électeurs qui se sont rendus aux urnes et on regardé le bulletin, vous avez eu en mains la liste des candidats pour le « conseil communautaire », alors qu'auparavant cette liste était mystérieusement concoctée à l'intérieur de chaque commune ; en réalité, cela ne change pas grand-chose puisque cette liste vous est imposée lors du vote et que le panachage est interdit. Vous voyez donc une fois de plus le caractère totalement bidon de ce type de prétendue réforme majeure visant à plus de « démocratie ». « Démocratie mon cul ! » comme dirait Zazie !
Deux points essentiels sur lesquels il faut que vous soyez éclairés ; d'une part, le financement de l’intercommunalité et d'autre part ses compétences. Pour le financement, les communautés de communes sont dotées d'une fiscalité propre qui peut être « additionnelle aux taxes perçues par les communes » (d'où, en clair, une probable augmentation de l'ensemble de ces taxes) ou prendre la forme de la « taxe professionnelle unique » (TPU) dans le cas des communes qui ne la perçoivent plus.
La question des compétences est plus épineuse puisque les collectivités territoriales ont une compétence générale, alors que les communautés possèdent une compétence spécialisée ; les communes se sont donc dessaisies de toute capacité d'intervention dans les domaines de compétence transférées selon le si joli principe de l'exclusivité (en clair chacun son truc). En théorie, les choses sont simples mais en pratique elles le sont bien moins car très souvent une compétence spécialisée a des incidences sur une compétence générale et inversement.
On s'engage dans la voie de cette réforme, alors que, depuis plus de dix ans, dans de multiples études officielles de très nombreuses et sévères critiques ont été formulées à son endroit : soyons bref, là encore. En juillet 2005, rapport d'Hervé Mariton, qui montre que la coopération intercommunale « sera un facteur significatif d'augmentation des taux des impôts locaux en France » ; cette augmentation de la pression fiscale s'accompagne en outre (on le devinait), hélas d'une inflation des personnels administratifs, en raison en particulier du houblonnage des postes entre communes et intercommunalité. Un autre rapport parlementaire, au titre aussi significatif qu’inquiétant,  Le livre noir de l'intercommunalité (septembre 2005), préparé par les députés Beaudouin et Pernezec affirme que cette réforme comprend, outre les doublets dans des  personnels pléthoriques signalés par H. Mariton, une « insécurité juridique » manifeste, la différence entre les compétences communales et intercommunales n'étant jamais clairement définie, comme on vient de le voir. Ces conclusions sont, en gros, les mêmes que celles du rapport, exactement contemporain, de la Cour des Comptes a propos de l'intercommunalité en France (23 novembre 2005) déjà évoqué ci-dessus lui aussi. Pour en faire un tel usage, on aurait pu au moins faire l’économie de ces rapports qui, d’une façon spectaculaire, vont tous dans le même sens (et finissent dans la même poubelle !).
On voit donc que, comme toujours en France, lorsqu'on entend simplifier, dans les meilleures intentions, un ensemble trop lourd et complexe, on en accroit encore les défauts, en se bornant à ajouter une assiette sur la pile, sans songer un instant à retirer, dans le dessous, une ou deux de celles qu’elle est censée remplacer !

Aucun commentaire: