« Ils viennent d’arriver en France. Ils sont Irlandais, Serbes, Brésiliens, Tunisiens, Chinois ou Sénégalais... Pendant un an, Julie Bertuccelli a filmé les échanges, les conflits et les joies de ce groupe de collégiens âgés de 11 à 15 ans, réunis dans une même « classe d’accueil » pour apprendre le français. Dans ce petit théâtre du monde s’expriment l’innocence, l’énergie et les contradictions de ces adolescents qui, animés par le même désir de changer de vie, remettent en cause beaucoup d’idées reçues sur la jeunesse et l’intégration et nous font espérer en l’avenir... » . Ne cherchez pas à en savoir plus, toutes les notices de promotion du film sont reprises, mot à mot, par toutes les annonces dans Google car J. Bertuccelli n’est pas Polanski !
Dans la présentation de ce film, sur Canal+ en ce jeudi 6 mars 2014, dans son « Grand Journal », il est clair que le plus mauvais a été, alors qu’il était pourtant chargé d'ouvrir la séance, le ministre de l'éducation nationale Vincent Peillon. Il faut dire qu'à la différence de toutes les autres protagonistes, il n'avait pas répété sa prestation. Pour les autres, en effet, la séance du Grand journal comportait à peu près toutes les mimiques, répliques et situations qu'on trouve dans la brève présentation promotionnelle du film. Lui semble ne pas avoir répété sa modeste intervention !
Toutefois le mérite dans l'affaire revient peut-être plutôt à Freud qu'à Monsieur Peillon lui-même. Il nous a, en effet, sorti, un superbe et des plus opportuns lapsus, en disant « l'écueil » au lieu de « l'école » et, en se corrigeant aussitôt, ce qui était la meilleure façon d'attirer l'attention sur la chose. Quoi qu'il ait assez peu parlé, il nous en a sorti aussi une autre bien bonne, pour nous inviter à admirer l'école française, si scrupuleuse, si vigilante et si efficace dans l'accueil des étrangers non francophones, en disant (la citation est parfaitement exacte et vous pourrez vérifier) : « Regardez ce que fait la République là où elle est encore debout ! ». Je continue à ne pas en croire mes oreilles et je comprends tout à fait qu'avec des idées comme celle-ci, Monsieur Vincent Peillon envisage de quitter le 110 de la rue de Grenelle pour Strasbourg et le Parlement européen, qui sont des havres plus sûrs.
Cette petite séance du « Grand Journal » m'en a rappelé une autre sur laquelle j'avais même fait un billet que je pourrais peut-être retrouver. C'était au sujet du film « Entre les murs », car, comme vous le savez et c’est notre malheur, notre télévision sert essentiellement à faire la promotion des films dans lesquels les chaînes mettent des sous, ce qui est le cas de la plupart de nos nombreuses productions. Cofinancer un film revient en effet moins cher que d'acheter les droits d'un match de foot de notre misérable Première Ligue !
Cette émission a été, comme toujours, une simple forme de promotion pour je ne sais quel produit ou personnage ! Antoine de Caunes, qui hélas n'est plus ce qu'il était, et ne compte plus que sur les charmes de sa Miss Météo (Daphné devrait se méfier !), s'est borné, en gros, à étirer comme du chewing-gum la présentation du film qu'on trouve à tous les étages de Google, avec les mêmes personnages, les mêmes répliques, les mêmes situations ce qui, offrait évidemment à ses yeux, la garantie que les trois minettes (pas de garçon bien sûr) nous donneraient ainsi une image assez flatteuse de leurs compétences en français grâce à des propos cent fois répétés.
Naturellement, il fallait aussi jouer sur la séduction en prenant trois grâces (cachons les boudins !), un parfait échantillonnage de jeunes beautés exotiques, une Libyenne (bien blanche) pour l'Islam, une Guinéenne pour l'Afrique profonde et une Ukrainienne, qui, en outre, nous en a poussé une à la fin car elle chante, dans le film comme dans la présentation et comme dans le Grand Journal. C'est à la fois utiliser les physiques et les compétences, sans prendre de risques. Elles en ont d'autant moins pris pour la circonstance que, comme je l'ai déjà dit, elles avaient répété cent fois des phrases qui sont non seulement dans le film lui-même, mais également dans la présentation qu'on peut en trouver dans Google ; vous pouvez consulter, ce qui vous dispensera d'aller voir le film.
Le vrai drame est que ce type de produit est à la fois mensonger et stupide ! La non-pratique de la langue française est évidemment la cause majeure de l'échec scolaire des enfants de l'immigration qui parlent de moins en moins et de plus en plus mal le français. Sur ce plan, ce film est une vraie fiction ; il m'arrive souvent d’entendre des jeunes parler entre eux, ici ou là, à Paris comme à Marseille ; je puis vous dire que leur langue véritable (la variation du français est un des thèmes de ma recherche et j'ai beaucoup écrit sur ce point) n'a pas grand-chose à voir avec les énoncés que nous ont produits, pour la télévision, ces trois jeunes filles, au demeurant ravissantes mais dont le témoignage n'a pas l'ombre de la moindre pertinence. Tout cela ne ser à rien sionon à écarter les vrais problèmes !
Il est évident qu'enseigner le français, de façon urgente et prioritaire mais surtout efficace, est une nécessité pédagogique absolue mais que le faire, comme dans ce film, à des élèves qui ont entre 11 et 15 ans est évidemment beaucoup trop tard. On se demande ce qu'ils (les vrais enfants et non ces figurantes de luxe dans un quartier bobo !) ont pu faire à l'école pendant la dizaine d'années précédentes, puisqu'ils recevaient un enseignement dans une langue qu'ils ne comprenaient pas et surtout qu’on ne s’était jamais réellement préoccupé de leur enseigner, puisqu'on les traitait exactement comme des enfants dont le français était la langue maternelle.
Bref je ne veux pas m'attarder trop sur cette question car j'ai sous presse un livre dont je ne donnerai ici que le titre, tout à fait significatif : L’école française : refondation, rénovation ou replâtrage ? Il est évident qu’à mes yeux c'est la troisième dénomination qui est la bonne et ce film en apporte une illustration de plus ! Cerise sur le gâteau s’il en est besoin. Ce film a été tourné dans un collège de rue de la Grange-aux-Belles, dans le Xe arrondissement de Paris, tout près du Canal Saint Martin et de l’Hôtel du Nord, sans doute dans ce qui fut le siège du « Laboratoire de pédagogie expérimentale » ! Comment trouver un lieu plus propice ? On n’allait tout de même pas aller s’encanailler dans le 93 !
L'apport personnel d'Antoine de Caunes a été d'administrer la preuve du succès de l'entreprise en demandant à ces trois jeunes filles les sens de trois mots quasi inconnus de la langue française, qu'elles ont évidemment donnés sans coup férir ! Elles avaient bien entendu été prévenues et avaient longuement répété l'épisode auparavant, alors que 999 Français sur 1000 auraient été bien empêchés de répondre.
Cher Antoine de Caunes, comme disait ma bonne grand mère, « Il ne faut pas mettre du sucre sur le miel » ; c’est ce que vous avez fait et j’en ai la preuve, même si je suis sans doute un des seuls spectateurs à l’avoir noté et pire encore à le prouver.
Vous avez en effet demandé à la jeune Libyenne le sens du mot « matabiche » qu’elle a donné sans la moindre hésitation. Cher Antoine, vous avez par là doublement signé votre crime. Il est bien évidemment impossible que cette minette ait connu ce mot qui est ignoré de tous et figure à peine dans mon cher TLFI où ne l’ont amené d’ailleurs que les citations de Gide. Mais surtout ce terme, ancien et oublié, est un terme de l’Afrique Centrale (Congo), à des milliers de kilomètres de la Libye, ce qui démontre à la fois la stupidité de la question et l'évidence du trucage de cette interrogation. La chose a toutefois permis à Monsieur le ministre de faire assaut de modestie avec le public (les trois minettes allogènes non comprises, car elles, elles étaient bien sûr, dans le coup !) en confessant une ignorance qui n'a rien de scandaleux.
Cher Antoine de Caunes , vous ne devriez pas nous prendre ainsi pour des imbéciles ! Comme preuve de ce que j’avance, voici l’article sur « matabiche » dans le TLFI que vous me copierez dix fois pour lundi !
« Matabiche : subst. masculin. Région. (Afrique noire). Pourboire, pot de vin. Synon. bac(c)hich, bak(s)chich.Le vieux (...) ne s'attendait évidemment à rien recevoir, car, lorsque je lui glisse un matabiche dans la main, son visage (...) se détend (Gide, Voy. Congo, 1927, p.832). J'écris à Coppet également à ce sujet, afin que ces pauvres gens ne soient point frustrés; de plus, quelques matabiches récompenseront les bons vouloirs (Gide, Retour Tchad, 1928, p.920).Prononc.: [matabiʃ]. Étymol. et Hist. 1927 (Gide, Voy. Congo, p.744). Mot du Congo Belge et d'Afrique Équatoriale Française, empr., par l'intermédiaire du bantou [d'Angola] matabicho «pourboire», au port. matabicho «gorgée de boisson alcoolique», lui-même issu de l'expr. matar o bicho «tuer le ver, en buvant à jeun un verre de vin ou d'alcool» littéralement «tuer (matar, v. matador) la bête (bicho, v. bête et biche)»; v. Boletim de filologia, t. 18, 1959, pp.301-307. Fréq. abs. littér.: 15. ».
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