Le même jour, a été célébrée « la journée de la femme »
et a éclaté l'affaire des écoutes officielles dont font l’objet, depuis près
d’un an Nicolas Sarkozy et, par voie de conséquence, son avocat Maître Herzog.
La chose a fait si grand bruit dans le landerneau de la justice parisienne que
la Garde des Sceaux a dû sortir de sa réserve. Dès lors, comment ne pas songer
à modifier l'horrible formule machiste du sinistre Arnolphe dans l’Ecole des femmes (« Du côté de la
barbe est la toute-puissance ») pour la remplacer par « Du côté de la robe est
la toute-puissance ». Voilà qui est plus conforme au désir affirmé d'honorer la
femme dans cette journée qui lui est consacrée et répond à la charge
imprévisible de la brigade légère des avocats parisiens, conduite de façon un
peu inattendue par leur bâtonnier P.O. Sur, qui, pourtant, aux termes de la loi,
devait être informé de cette procédure comme l’a souligné la Garde des
Sceaux dans son intervention sur France Infos :
« Des
règles protectrices existent au bénéfice de certaines catégories de personnes :
les parlementaires, les magistrats et les journalistes ». Pour les avocats,
la loi précise en effet que le bâtonnier doit être informé des écoutes
téléphoniques réalisées par les juges d'instruction. … Par ailleurs, les
conversations entre client et avocat peuvent être écoutées par un service
d’enquête. Mais elles ne peuvent pas être retranscrites et versées en procédure
quand elles portent sur la défense du client. ». Tout cela est
clair ! Concernant les perquisitions et les saisies aux cabinet et
domicile d’un avocat, cette mesure est parfaitement légale, à partir du moment
où un représentant de l’ordre des avocats est présent, ce qui a été, dit-on, le cas
lors de la perquisition du domicile de Maître
Herzog
Laissons ce fatras procédural passablement absurde d’ailleurs.
Que se passe-t-il, en effet, si la personne écoutée (N. Sarkozy en la
circonstance) est contactée au téléphone par un avocat nouveau ou inconnu
? On les prévient « Attention vous êtes écoutés ! », les policiers en
service d’écoute font venir des témoins pour faire constater qu’ils se bouchent
« les yeux et les oneilles » ou, faute de les informer, on fait
annuler toute la procédure ! On peut écouter mais pas transcrire ? Va
comprendre Charles !
Tout cela est ridicule ! Tableau de genre. Le lendemain
j'ai vu descendre de je ne sais quel palais de justice, trois avocats en robe,
pleins de majesté (et à l’évidence de satisfaction !), poussant avec
gravité leurs embonpoints, toutes
décorations dehors (et bene pendentes),
en direction des caméras. Mais, au fait, qu'est-ce qui dans leur activité professionnelle destine davantage un avocat à
se voir ainsi décoré plutôt qu'un boulanger ou un maçon ? A quel
titre ? Décidément, ils sont impayables, si l’ose dire, ces avocats !
Comme on l’a vu, Madame Taubira s'est exprimée avec un parfait
bon sens et une grande clarté ; elle a assuré qu'elle faisait montre d'une
« vigilance totale » en ce qui concerne les droits de la défense, mais qu'elle n’allait
assurément pas
« assurer l'impunité à la profession d'avocat ». Elle a
souligné aussi, toujours avec la même pertinence, que, si la défense de Nicolas
Sarkozy souhaitait contester les décisions de justice dont ce dernier faisait
l'objet, il lui suffisait de faire appel aux voies de recours prévus par la loi,
sans avoir à faire écrire à ce sujet au Président de la République, comme
menaçait de le faire le bâtonnier de Paris qui pourtant que pourtant on peut
supposer parfaitement au fait de la sitation comme des moyens de contestation
légaux. J’ai cru comprendre, à l’écouter, que ce qui l’avait le plus choqué,
était qu’on ait pu réveiller, à six heures du matin, pour une perquisition un
avocat ou un magistrat comme on le fait toujours un quelconque pékin !
C'est, je crois, ce même bâtonnier qui a allégué un point de vue
qui vient, une fois de plus, souligner cette malice du hasard qui justifie la
modification que j'ai déjà apportée aux propos d'Arnolphe, en suggérant que : «
Du côté de la robe est la toute-puissance ». Ce bâtonnier déclare en effet
que le cœur et le symbole des « libertés publiques » en France : « est
le secret professionnel chez l'avocat, secret professionnel chez le médecin, le
secret professionnel chez le curé ».
Vous n'aurez évidemment pas manqué de noter que les trois
catégories professionnelles, si j'ose dire, qu’il distingue, se caractérisent
où se sont, en effet, caractérisées dans le passé par le port commun de la robe.
La catégorie la plus conservatrice est certes celle des avocats
(je reviendrai ensuite sur ce point) ; elle est fort attachée à la robe à
33 boutons, qui s’accompagne de l’épitoge, herminée ou non (celle des avocats
docteurs en droit a trois rangs d’hermine), la toque ayant hélas disparu.
Les curés, en France du moins, ont désormais souvent renoncé à
la soutane (donc à la robe) pour des tenues bourgeoises, sauf dans quelques
minorités religieuses conservatrices qui y restent farouchement attachées.
C’est pire encore pour les médecins pour lesquels je suggérerais
volontiers, dans cet esprit, de rétablir les robes et les bonnets pointus qui
sont ceux de Molière ; comme nos avocats, ils ont un irrepressible
penchant pour le latin, souvent, de cuisine plus que de Cicéron. « Clisterium
donare, / Postea seignare, / Ensuitta purgare. » !
La robe
est assurément un élément central et fondateur dans la conservation perpétuelle
de nos libertés publiques et elle constitue un permanent rappel de la force de
la tradition, y compris dans nos universités actuelles où elle fait un retour
en force.
J'entendais,
l'autre jour, sur une radio, un avocat commencer un propos anodin sous une
forme à la fois étrange et tonitruante par cette formule qu'il nous a délivrée
avec une lenteur gourmande : « Il appert que… ». Si les avocats craignent
d'être écoutés, il leur suffirait, pour ne pas être compris du vulgum pecus, fût-il policier, d'user de
ce vocabulaire juridique, dont ils sont tellement friands, même s'ils ne
sont pas sensibles au ridicule de son archaïsme.
Comment
résister ici au plaisir, pour leur information, de citer un usage de ce verbe qu’ils aiment,
tant dans une orthographe et une citation pour le coup authentiques :
« Constitué Louis Damour, mesnager, du lieu de
Velaux, aagé d’environ 50 ans, témoing assigné et produit à la request de M. le
procureur général du Roy, ainsin qu’il a faict apparoir de la coppie. — (Extrait d’information faite à la requête de
M. le Procureur général du Roy contre le ministre des religionnaires de Vellaux,
24 may 1683) » ?
Pour mettre
une note de gaieté dans ces propos austères, je citerai, en complément, une des
rares mentions de ce terme dans le Trésor
de la langue française : « attendu qu'il appert clairement des débats que Lagoupille, par le
désagrément de son commerce et ses exigences sans nom, a réussi à mettre en
fuite la clientèle ordinaire du café du « Pied qui remue »...
COURTELINE, Un
Client sérieux, 1897, 3, p. 76 ». Le
caractère plaisant de l'usage n'apparaît que si on ajoute qu'il s'agit là d'un
extrait d'une œuvre de Courteline, Un
client sérieux, 1897, page 76 » !
Le lexique des termes juridiques se flatte,
dans son édition 2014 (la 21ème me semble-t-il), d'offrir plus de 5500 entrées.
Cet ensemble comporte aussi bon nombre de termes latins dont on se demande à
quoi ils servent, d'autant que leur latinité elle-même est souvent des plus
douteuses, surtout si l'on prend pour référence la langue de Cicéron. Mais
revenons, pour finir, au fameux « appert » qu'affectionnent tellement
nos gens de justice, je soupçonne bon nombre d'entre eux de le rattacher, bien
à tort, au verbe « apparaître », alors qu'il s'agit en fait du verbe « apparoir »
que naturellement des dictionnaires du français ignorent ou, au mieux, signalent
comme désuet, même s'il demeure utilisé chez nos cousins québécois, ce qui ne
fait qu’en souligner l'archaïsme savoureux.
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