Messages les plus consultés

samedi 19 avril 2014

« Le pouvoir rend fou " ; du cirage des chaussures aux primes

La formule complète, plus valable encore qu’on attribue à de multiples auteurs, de Lord Acton à Alain, est « Le pouvoir rend fou ; le pouvoir absolu rend absolument fou. ». J'ai très souvent vérifié en diverses occasions, historiques ou actuelles, sa pertinence. On vient d'en avoir une application, modeste mais évidente, avec l'affaire d’Aquilino Morelle qui a défrayé la chronique depuis l'article paru dans Mediapart.

Je voudrais aborder ce point par deux souvenirs personnels.

Ayant eu quelquefois l'occasion d'approcher des ministres de notre République, je me suis toujours demandé comment ils pouvaient résister aux flots incessants de compliments et d'éloges que leur prodiguaient, sans relâche, sans retenue et quelquefois sans fondement, leur entourage de courtisans. J'en ai fort peu connu en mesure de résister à cette épreuve et une des seules exceptions que j'ai rencontrées est, me semble-t-il Michel Debré ! Dans un registre plus modeste, il en est un peu de même pour les conseillers des ministres et, plus généralement encore, de  tous ceux qui parviennent, d'une façon ou d'une autre, à s'introduire dans les hautes sphères du pouvoir.

Seconde anecdote. Elle concerne un de mes collègues et ami, professeur de droit, qui était devenu soudain, je sais pas pourquoi d'ailleurs, conseiller au cabinet du Garde des Sceaux. Lors de notre première retrouvaille, quelques mois après cette nomination, il me fit état de la transformation radicale de son existence qu'avait entraînée cette nomination, dans laquelle je n'ai jamais su très exactement ce qu'il avait à faire. Toujours est-il qu'il me confia que sa vie, à Paris bien entendu, avait été radicalement transformée de ce fait. Tout lui était désormais acquis, sans même qu'il ait à demander quoi que ce soit. Se rendait-il en province, pour quelque raisons  personnelle ou professionnelle, une voiture et un chauffeur de la préfecture mis à sa disposition l'attendaient à la gare ou à l'aéroport, que son hôtel était réservé et payé, qu'on le couvrait sans cesse de places gratuites pour tous les spectacles ou événements parisiens, les invitations ici ou là se multipliaient et surtout, ce qui était l’une des choses qui l’avaient le plus frappé, il allait et se garait absolument n'importe où, sans payer la moindre contravention, ce qui pour un Parisien comme lui était le privilège absolu ! Bref sa vie quotidienne en avait été radicalement transformée et il en était évidemment ravi. Comment résister à la tentation d’abuser d’une telle situation ?

Il est évident que quand, comme Monsieur Aquilino Morelle, on se trouve placé dans la position éminente du collaborateur le plus proche du Président de la République et que, semble-t-il, on fait même fonction de faiseur de Premier Ministre, les avantages dont on dispose sont infiniment plus grands et donc plus grandes aussi les occasions comme les tentations d’en abuser.

Nombre de collaborateurs de moindre importance disposent d’une voiture de service le plus souvent changée en voiture de fonction (ce qui est tout différent !); il n'est donc pas étonnant pour Aquilino Morelle d'en avoir deux et, dans sa position, on ne va pas s'amuser à aller chercher ses enfants à l'école quand on peut y envoyer un de ses chauffeurs. Je ne trouve pas ailleurs ce détail scandaleux s’il dispose de deux chauffeurs et que, de toute façon, il faut bien les occuper. En outre, pour lui les journées finissent après les écoles puisqu’il n’arrive « au bureau » qu’à onze heures du matin (dans ces milieux le non-respect des horaires est le signe même de l’appartenance à l’élite administrative!).

Je ne parle pas évidemment ici des affaires antérieures à sa dernière  nomination et des conflits d'intérêts sur lesquels la justice aura à se prononcer. L'amusant de la chose est que peut-être Messieurs Aquilino Morelle et Jérôme Cahuzac ont eu l'occasion de se rencontrer, voire de déjeuner ensemble aux frais des laboratoires dont ils étaient les stipendiés ! Comment résister aux petits et grands avantages de la vie quotidienne et comment ne pas abuser de toutes ces facilités qui sont offertes si généreusement. Il est probable toutefois que tout cela suscite nombre de jalousies et que toutes ces menues informations, causes majeures du scandale public et qu’on ne peut guère nier, sont venues sans doute, comme c’est en général le cas, de collaborateurs voire d'« amis » qui devaient en concevoir quelque jalousie.

En revanche, il semble que le journaliste de Mediapart n’ait pas obtenu d’informations sur le montant de la prime qui était celle de Monsieur Aquilino Morelle à l'Élysée. Elle était sans doute fort confortable. Toutefois, dans les médias, au même moment, cette question des « primes de cabinet » a un peu éclipsé celle, plus générale et infiniment plus importante, des primes que s'attribuent la grande majorité des hauts fonctionnaires.

Ce sont là des secrets, non de « défense nationale » mais de « la haute administration française » où il faut bien arriver à contourner la fameuse « grille de la fonction publique » En effet, on avance des chiffres qui sont de l'ordre de 10 à 15 000 € (chiffres qui circulaient déjà à l'époque de Nicolas Sarkozy), alors que le traitement maximum d'un fonctionnaire français (hors primes bien entendu), dans l'échelle officielle de la fonction publique, ne doit guère dépasser, à mon avis et à la louche, les 6000 ou 6500 €.

Le « gel » annoncé  des rémunérations publiques ne gênera donc en aucune façon les hauts fonctionnaires et n'atteindra que les cadres inférieurs ou modestes ou, en tout cas, exclusivement  ceux dont la rémunération tient essentiellement au salaire proprement dit. En effet, dans la haute fonction publique, on négocie « sa » prime, qui souvent conduit à doubler le salaire proprement dit voire davantage et toute façon totalement indépendante de ce salaire. Dans ce cas bien entendu, le gel des rémunérations ne fait donc ni chaud ni froid aux intéressés dont  le salaire total (traitement + prime) est évidemment quasi indépendant de la rémunération proprement dite. La principale et quasi unique revendication de ces hauts fonctionnaires est d'ailleurs d'obtenir que ces primes, qui souvent constituent l'essentiel de leur rémunération mensuelle, soient intégrées à leur traitement, afin qu'elle soient prises en compte dans le calcul de la retraite, ce qui n’est évidemment pas le cas actuellement. Ce sont probablement les fonctionnaires du Trésor qui seront les premiers à bénéficier d'une telle mesure car, comme souvent, ils sont les premiers à se servir.

Ce point me paraît finalement plus intéressant que les modalités  du cirage des chaussures de Monsieur Aquilino Morelle ou l'usage abusif qu'il fait de ses voitures dites de fonction alors qu’elles ne sont sans doute, comme souvent, que des véhicules de service.

Aucun commentaire: