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mercredi 30 avril 2014

France Université Numérique (Fin)

Je ne vais naturellement pas reprendre dans cette conclusion ce que j'ai déjà dit ; je ne ferai que souligner ici le caractère à la fois étrange et habituel d'un tel projet.
Comme partout et toujours, nous nous efforçons de faire ce que font ou ont fait les Américains ; comme d’habitude, nous le faisons avec une dizaine d'années de retard et, pire,  souvent même au moment où ils abandonnent eux-mêmes la stratégie que nous leur empruntons.
L'impression que j'ai et que j'exprimais déjà, est que les fameux « moocs », puisqu’il faut bien les appeler ainsi car nous n’avons même pas été capables, en dépit de nos commissions de terminologies multiples, de leur imaginer un nom, ont été utilisés par les grandes universités américaines, qui sont à l’origine de cette mode, pour se faire une publicité gratuite dont elles ne semblent pourtant avoir aucun besoin, puisqu'elles refusent, chaque année, des milliers de candidats prêts à payer les droits d'inscription faramineux qu'elles exigent. Elles cherchaient sans doute plutôt par là à soigner leur image pieuse, grâce à une publicité peu coûteuse, en donnant l'impression fallacieuse d’ouvrir à tous un accès gratuit à leurs enseignements. On a vu qu'il n'en est rien et qu'en réalité, si des cours peuvent être mis sans problème à la disposition de quiconque, on continue à vendre, et fort cher, les diplômes eux-mêmes. Une récente étude dont j'ai entendu parler, sans la lire ni même en avoir la référence, démontre d'ailleurs que 90 ou 95 % des gens qui, à un moment ou à  un autre, suivent ces enseignements sur les moocs, abandonnent et que ceux ou celles qui veulent continuer finissent par s'inscrire à des filières payantes pour valider leur formation.
Nous reviendrons dans la suite aux intentions, probablement cachées, qu'il y a dans le projet français et dont il n'est même pas sûr que Madame Fioraso soit elle-même consciente ( limitation de l’entrée à université de tous les bacheliers, les mauvais n’auront qu’à aller dans les moocs …s’ils savent lire ; majoration des droits d’inscription, etc. J’y reviendrai).
Les moocs ne sont donc nullement une « révolution » dans l'enseignement supérieur où existe depuis toujours un « télé-enseignement » ; à cet égard, il est amusant de voir, côte à côte, dans le site du CNAM, sur la même page, une publicité pour les cours télévisés du CNAM qui existent depuis 1963 et dont le CNAM revendique même l’invention et l’annonce de quatre cours de son mooc, dont les inscriptions sont annoncées comme « terminées », ce qui conduit à s’interroger sur la formule elle-même!
Les moocs sont en outre très loin d'être la réponse aux problèmes qui se posent dans nos universités. Pour plus de détails, je renvoie à mon récent livre Université : l’impossible réforme. Edgar, Valérie, Geneviève et les autres… ( Paris , l’Harmattan, 183 pages, 2013).
On verra sans doute rapidement disparaître la plupart de ces moocs, dont on commence à discuter la place et le mode de prise en compte dans le « service » des enseignants ; il serait intéressant de voir, de plus près, quels sont ceux des étudiants qui en ont tiré quelque chose de réel et comment se fait la validation. Il est un peu étonnant, à cet égard, de voir déjà de prétendus « experts » (en quoi ?) offrie leurs services pour calculer tout cela.
On peut d'ailleurs constater déjà que la vogue des moocs est sur le déclin ; ces derniers sont dorénavant plus ou moins concurrencés sinon remplacés par les « coocs », qui sont des moocs mis en place par les entreprises pour leurs collaborateurs, leurs partenaires ou leurs clients. En février 2014, Orange par exemple a lancé sa « plate-forme de cours en ligne pour les entreprise » dont le premier cours portait sur une « initiation au monde numérique » ! Avec la modestie, naturelle et constante dans les entreprises françaises, Orange prévoyait des millions d'inscrits ici quelques années.
Le programme FUN lancé à grand fracas en octobre 2013 par G. Fioraso et qui est décrit, comme on l’a vu, dans le site officiel du gouvernement français, répond sans doute à plusieurs motivations dont l’une, très générale, est la découverte du « numérique » par la rue de Grenelle ! Aimez-vous le numérique ? On en a mis partout ! Le numérique et les TIC sont à la fois la panacée et la pierre philosophale ! L'une des motivations est, on l’a vu, qui sert de prétexte en tout cas, est l’imitation d’un système américain qui, aux Etats-Unis, existe déjà comme je le dis, à d’autres fins, depuis une bonne quinzaine d'années. Sur la question de l'enseignement à distance, les États-Unis eux-mêmes ont été largement précédés d’ailleurs par d'autres Etats, où l'étendue même et la démographie rendaient bien avant la chose indispensable comme le Canada ou l'Australie.
Le problème est celui de la validation des enseignements ainsi dispensés à distance ; j’ai déjà fait allusion à l'expérience que nous avons conduite à Aix-en-Provence, à la fin des années 90, avec Louis-Jean Calvet et quelques collègues, dans le cadre d'un DESS de « coopération linguistique et éducative ». Il comportait deux filières, l’une dite « présentielle », l'autre sous forme d'un « cyber-enseignement » ; ce dernier avait été rendu indispensable par le fait que les inscrits étaient dispersés à travers le monde dans les instituts ou centres culturels français et avaient tous accès à l’internet. Il ne s'agissait donc pas en fait de simples cours en ligne, puisque dans les facultés de lettres en tout cas, l'usage n'est pas de faire des cours écrits ou dictés. Le travail des étudiants inscrits était de faire un mémoire, sur un sujet concernant souvent l'Etat où ils se trouvaient ; le cours comportait donc à la fois un exposé général de la problématique du DESS mais, surtout et aussi, des documents pertinents indispensables qui n'étaient pas toujours accessibles en Albanie, au Liban ou au Venezuela. (À cette époque, il était beaucoup moins facile qu'aujourd'hui d'avoir accès à des sources bibliographiques sur Internet). Le but était de donner à la fois aux étudiants les outils problématiques et la matière documentaire dont ils pourraient avoir besoin pour leur mémoire (à titre indicatif, le cours que je faisais dans ce cadre sur internet, comportait 600 pages !). Il fallait donc pour ce type d’enseignement (nullement destiné à tous mais réservé à des étudiants de bac + 5) une définition précise du public visé, les soutenances, précédées d’uns session d’enseignement finale, se faisant à Paris en fin d’année.
Au-delà de l'effet de mode (les modes passent aussi vite qu’elles sont apparues), je m'interroge sur les causes réelles de cette opération FUN qui demeure extrêmement modeste et sans réelles perspectives ; elle n'est même pas originale puisque toutes les universités disposent de services de télé-enseignement, sans parler du dispositif national.
Ne viserait-on pas, en réalité, à apporter un concours, plus illusoire que réel, à la politique générale de réduction des dépenses dans l'enseignement supérieur, en ayant l’air de donner une issue de secours convenable à la masse des étudiants qui sont inscrits à l'université sans jamais y mettre les pieds ! Il y a là une illusion de plus, car la grande masse de ces étudiants fantômes ne s'inscrivent nullement en fac pour bénéficier d'un enseignement quelconque (la preuve en est qu'ils ne viennent pas aux cours), mais simplement pour bénéficier des avantages liés à l'inscription en université (bourses, aides diverses, carte de séjour pour les étrangers, sécurité sociale, réduction au cinéma et tarifs réduits en divers lieux, etc.). Si c'est un public désireux d'une formation générale dans quelque domaine que ce soit qu’on vise, le modèle est alors celui de France Culture ; on pourrait tout à fait ajouter aux émissions qui y remplissent déjà cette fonction, d'autres émissions plus spécialisées, en créant peut-être alors un vrai « France Culture universitaire ». Le coût d’un tel projet, « centralisé »,  serait moindre que celui de cent moocs et il aurait au moins le mérite de la franchise et peut-être de l'efficacité.
J'ai déjà essayé de montrer, dans des blogs comme dans mon livre, comment une politique universitaire, sans projet et sans boussole, a conduit depuis trente ans à des erreurs dont l’une des plus évidentes était la multiplication même des universités, dont le nombre a plus que quintuplé et dont les implantations ont été des plus curieuses, car elle ne répondait guère qu'à des projets politiques de ministres, de maires ou de conseils généraux. L'incapacité à gérer réellement la carte universitaire la France avec quelque bon sens n'a fait que rajouter aux conséquences financières désastreuses de cette démagogie politique stupide. Comme toujours, on est passé d'un extrême à l'autre, et les contraintes financières actuelles amènent à des réductions de budgets qui mettent nombre d'universités au bord de l'immobilisme, voire de la faillite. Ce ne sont assurément pas les moocs qui permettront de sortir de cette ornière universitaire.

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