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lundi 7 avril 2014

Mes amis rwandais


Avant de faire un billet sur la situation rwandaise elle-même (faute de temps, je ne le prévois que pour demain), je voudrais en faire un autre en guise ; il concerne d'introduction sur deux de mes amis rwandais, l'un et l'autre linguiste et avec qui j’ai eu souvent l’occasion de travailler dans le passé.
In memoriam.
Je commencerai donc par Boniface Ngulinzira. La dernière fois que j'ai rencontré, à Paris, ce devait être vers la fin des années 80 ou au au début des années 90. Je lui avais demandé ce qu'il devenait et lui avait parlé un peu des projets que j'avais et dont il était informé. Questionné sur son avenir immédiat, il me répondit avec un sourire « Je serai soit en prison, soit ministre ». Boniface Ngulinzira était l’un des fondateurs du parti d'opposition MDR issu de l'ouverture démocratique de 1991 au Rwanda. En avril 1992, dans le deuxième gouvernement « pluripartite » de Juvénal Habyaramana il devient ministre des Affaires Etrangères et est l'un des grands artisans des « Accords de Paix d'Arusha ». Il a croyait qu'un autre Rwanda pouvait naître de la réconciliation. Il quitte le gouvernement en juin 1993.
Le 7 avril 1994, la " Solution Finale " programmée en haut lieu commence avec, outre les massacres du « génocide », des meurtres politiques visant systématiquement les opposants, y compris tutsis. Le 11 avril 1994, Boniface Ngulinzira, qui a tenté de fuir avec les siens, est assassiné, sans doute par la garde présidentielle.

Le second de mes amis, toujours vivant fort heureusement pour lui, est Laurent Nkusi. Lui aussi a été ministre, dans diverses fonctions dont je ne me souviens plus trop, sauf l’information. Ses fonctions l’ont empêché de collaborer dans la suite à l'État de la francophonie dans le monde que j'ai publié en 2004 avec Dorothée Rakotomalala ; il s’est borné à des remarques et a confié la rédaction du texte lui-même à L. Munyakazi. N'allez pas croire toutefois que je connais du Rwanda que les ministres et ce n'est assurément pas pour vous parler d’eux que je rédige ce billet.
Le point où je veux en venir est que je n'avais évidemment jamais songé à demander à l’un ou à l'autre s'il était Tutsi ou Hutu. Me fiant aux stéréotypes (et non à leur carte d'identité où figurait cette appartenance mais que je n’avais jamais vue), j’étais persuadé que Boniface était tutsi, car, grand et mince, correspondrait parfaitement à ce qu'on n'imagine comme le stéréotype des Tutsis dont le physique serait un peu celui des Peuls de la côte occidentale de l'Afrique, dont, comme on le verra, on les a souvent rapprochés ; je pensais en revanche que Laurent que, plutôt de taille moyenne et trapu était un Hutu puisque là aussi c'est ainsi que le stéréotype ethnique les présente. À partir du moment où se sont déroulés les événements dont il est en question aujourd'hui, je me suis rendu compte en fait que j’avais tout faux. Boniface était Hutu et Laurent Tutsi. Le premier a plus vraisemblablement été assassiné pour des raisons politiques et le second n’a dû son salut qu’au fait qu’il était alors en Belgique !
Je reviendrai demain d'une façon plus sérieuse sur ces questions, mais je dois dire que, dans la suite, averti par cette expérience, j'ai essayé de différencier à leur physique les Hutus et les Tutsis et que je n'y suis jamais parvenu. J'ai pu récemment renforcer cette conviction en voyant un film où il était tout à fait impossible de faire la distinction qu'on donne pourtant souvent comme classique voire évidente.
Sans anticiper sur le billet que je ferai demain et dont j'ai pas encore véritablement une idée précise, je voudrais dire que je suis fort étonné de ne pas avoir entendu sur ces questions un autre de mes collègues (que j'ai pas vu depuis fort longtemps) et qui est Jean-Pierre Chrétien ; je le considère, comme le font la plupart des personnes qui connaissent ces questions, comme le meilleur spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs et du Rwanda en particulier. Je puis facilement en revanche recueillir son sentiment, puisqu'il s'est exprimé lui-même, sans qu’on songe à l’interroger dans les médias, dans différents articles à l'occasion de la cérémonie du 20e anniversaire du massacre de 1994.

J'ai en revanche perdu toute contact avec une amie, Thérèse Pujolle dont je n'ai pas réussi à retrouver la trace et dont l’avis m'aurait été précieux et éclairant dans la mesure où elle avait été chef de mission de coopération culturelle à Kigali de 1981 à 1983 et qu'elle connaissait donc parfaitement toute cette affaire qui a commencé bien avant le 6 avril 1994.


A demain donc !

1 commentaire:

Expat a dit…

Il est effectivement difficile de distinguer un Hutu d'un Tutsi parce que ça n'a aucune pertinence.
C'est une situation sociale qui a été transformée, parles Allemands d'abord puis parles Belges ensuite en situation ethnique, cette transformation, au passage ayant eu une la conséquence, et c'est lourd de sens pour l’avenir, de figer la situation sociale. Tandis que le passage de l'un ou l'autre groupe était auparavant possible (déclassement dans le sens Tutsi-Hutu et promotion sociale dans l'autre sens), l'ethnicisation a rendu cela impossible.

Si des différences physiques étaient peut-être observables à une époque elles étaient dues à des modes de vie différents et notamment une alimentation qui n'était pas la même, entre des éleveurs et des agriculteurs, entre des gens occupant des positions sociales élevées et des gens "du peuple". C'est un peu comme si des étrangers étaient venus coloniser la France du 18ème siècle et avaient trouvé que les nobles avaient bien meilleure allure que les paysans et avaient décidé que naturellement existait une race des nobles supérieure et une race des croquants inférieure, ou un siècle plus tard créant la race des bourgeois supérieure à celle des ouvriers inférieure.

Le grand drame est que parmi cette population de la région beaucoup ont intériorisé cette classification arbitraire issue des lubies racialistes européennes de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. Ce qui nous ramène à ce principe décrit par un sociologue américain du début du 20ème siècle (Thomas): quand une chose est perçue comme réelle elle devient réelle dans ses conséquences.