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samedi 23 avril 2011

Tunisie, Côte d’Ivoire, Haïti. De l'usage de la démocratie.

On vient d'apprendre, en ce matin du samedi 23 avril 2011, que le président élu en Haïti Michel Martelly, jusque là silencieux sur cette question, demandait à la communauté internationale de ne pas reconnaître les résultats finaux, enfin plus ou moins connus, des élections législatives, très favorables au président sortant René Préval, qui les aurait largement manipulés en faveur des candidats de son parti.

La chose survient au moment même où on voit naître une crise au sein de l’Union Européenne face à l’arrivée de dizaines de milliers de Tunisiens fuyant leur pays en marche vers la démocratie, régime dont on nous avait dit qu’ils souhaitaient pourtant, ardemment et depuis longtemps, l'avènement. Cette chère démocratie ne semble donc pas suffire au bonheur des citoyens de Tunisie.

Tout cela n'est évidemment pas sans nous rappeler les événements de Côte d'Ivoire et en particulier le spectacle, insolite et cocasse, d'un représentant du Conseil constitutionnel ivoirien s'emparant, pour les froisser et les déchirer rageusement, des feuillets que le président de la commission électorale internationale s'apprêtait à lire et qui proclamaient la victoire de Ouattara Certes, dans la suite, toutes les instances internationales, qui avaient en principe surveillé le scrutin, ont confirmé la régularité du vote et donc, par là même, cette victoire. Toutefois, même sans ajouter foi aux déclarations, sans grand fondement, de Dumas et de Vergès, on ne peut cependant pas être tout à fait sûr que les élections, lors du deuxième tour, se sont déroulées de façon totalement normale, étant donné les résultats, au moins dans certaines régions du pays.

Proclamer officiellement la démocratie est une chose, la faire fonctionner dans des conditions normales en est une autre.

Le cas d'Haïti est à cet égard tout à fait exemplaire puisque, dans le comptage comme dans le dépouillement des bulletins, à grands frais, on a déployé des moyens importants et surtout extrêmement rapides et modernes, allant des ordinateurs aux scanners, sans que ces outils puissants aient permis une proclamation rapide des résultats. Dès lors, même si le scrutin s'est déroulé, en gros, dans des conditions à peu près normales (ce qui n’est pas simple dans un pays comme Haïti ravagé, un an avant, par un gigantesque séisme causant 230.000 morts), nul ne peut s'empêcher de penser à tout ce qui peut se passer dans une période de dix ou quinze jours qui sépare le vote lui-même de la proclamation des résultats finaux.

Lors de la dernière élection haïtienne où étaient couplées, le même jour, l'élection présidentielle et des élections législatives (pour les député et les sénateurs), on ne peut être qu'étonné de constater que le fort mouvement de rejet de l'équipe au pouvoir (celle du président René Préval), qui avait conduit, au premier tour, son candidat déclaré Jude Célestin à devoir se contenter de la troisième place (alors que les premiers résultats lui avaient accordé d’emblée la deuxième !) a amené une très large majorité à se prononcer en faveur de Michel Martelly (plus de 67 % des voix au deuxième tour) mais avec un total insuccès ou presque lors de l'élection législative (trois élus seulement !). La chose n'est pas très logique même si, naturellement, dans ce type de vote, la personnalité des candidats locaux joue un rôle important.

Michel Martelly, inévitablement contraint à la recherche d'un accord politique avec René Préval, dont il a donné des signes ostensibles par des embrassades publiques et des rencontres plus discrètes, n'a d’abord pas contesté les résultats des élections législatives. Désormais fort du soutien extérieur unanime, il vient de le faire, de la façon la plus nette, en appelant même à la communauté internationale. S'il n'y avait pas eu trop d'incidents lors de la première proclamation des résultats de ces élections (un mort cependant, mais en Haïti c'est un résultat très convenable), il risque d'y en avoir désormais, puisque le président élu met officiellement en cause les résultats et surtout le rôle qu'a pu jouer dans cette affaire le président Préval.

Il faut dire que, du côté gouvernemental, on a poussé un peu loin le bouchon en inversant les résultats pour 18 circonscriptions, ce qui fait passer le nombre des élus du parti de Préval, « Inite » ( = l'unité), d’une petite trentaine à 46. On cite même un cas où le candidat d’Inite est finalement élu alors qu’il avait, lors du premier dépouillement, 15.000 voix de retard ! Ces manoeuvres donneraient donc une position extrêmement forte à Inite pour la suite des événements.

Il en est résulté un déchaînement médiatique de la part des victimes de ces « corrections », dans les radios locales surtout ; on est allé jusqu'à parler d'« assassinat politique » et d'une « conspiration pour replonger le pays dans le chaos » en empêchant toute action du président élu dont la prise de fonction est prévue pour le 10 mai. Il en résulte que l'élection de Michel Martelly que tout le monde avait saluée avec soulagement et espoir et dont on pensait qu’elle pouvait amener une ère, sinon de prospérité, du moins de calme politique, risque fort d'ouvrir une nouvelle période de troubles voire de violences.

La démocratie serait-elle, comme la langue selon Esope, la meilleure et la pire des choses ?

Dernière minute à propos d'Haïti :

"Selon les Etats-Unis dans un communiqué, « Après avoir réexaminé les résultats et les matériels fournis par le CEP, les Nations Unies, et les observateurs internationaux, nous n'avons trouvé aucune explication quant au revirement observé dans les résultats définitifs pour 18 cas des législatives, et lesquels cas, à l'exception de deux, profitent au parti au pouvoir [INITE} . Ces revirements incluent, parmi d'autres, le cas d'un candidat du parti au pouvoir qui avait été placé en troisième position selon les résultats préliminaires, et qui aujourd'hui remporte la première place suivant les résultats définitifs. Dans son cas, les résultats montrent une augmentation de 55.000 votes; de 90.000 votes obtenus pour les préliminaires, il a gagné avec plus de 145.000 votes. »

« Deux autres candidats du parti au pouvoir avaient été placés en deuxième position suivant les résultats préliminaires, et les résultats définitifs du CEP montrent que le total de leur vote est le double de ce qu'ils avaient obtenu pour les préliminaires, et pour l'un d'entre eux, ces résultats montrent également que ses votes dépassent le total des votes enregistrés pour toute sa région », a poursuivit le communiqué des Etats-Unis". Robenson Geffrard dans le Nouvelliste.
rgeffrard@lenouvelliste.com

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourquoi ne peut-on pas avoir le rejet de la personne du Président d’un côté tout en étant pour le maintien au pouvoir de son parti ?

En France ça donnerait l’élection de Hulot avec une majorité UMP à l’assemblée. Alors là vous pourrez vous en donner à cœur joie dans le tir aux Ortolans :-)

Anonyme a dit…

Cher Onvousditpastout,
On ne nous dit pas tout et en particulier sur l'assassinat de Ph. Rémond à Yamoussoukro dont on n'a guère parlé et donc on a cessé très vite de parler. J'ai lu votre texte ou du moins celui de votre blog qui est très éclairant sur cette affaire!J'en recommande vivement la lecture car il est clair que l'affaire est close pour ADO! Usbek