jeudi 3 octobre 2013
Après France Université Numérique, à quand l'invention de la roue ?
Je m'étonne que l'invention de la roue ne figure pas parmi les grandes projets de recherche innovante dont notre Président de la République a évoqué récemment l'imminence de la conception et de la mise en oeuvre !
Grande nouvelle de ce matin, jeudi 3 octobre 2013, sur toutes les médias. Geneviève Fioraso, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche (sans oublier l'espace et désormais la roue) a présenté son projet France Université Numérique, dont l'objectif est de mettre, d'ici 2017, 20 % des cours universitaires en ligne. Notre ministre qui prêche pourtant si bien en faveur de la place de l'anglais dans nos universités n'a sans doute pas pris garde que l'acronyme choisi pour France Université Numérique qui est FUN est parfaitement adapté au comique de cette prétendue innovation, mais risque d'entraîner de fort mauvais jeu de mots dans le monde anglophone qui ne manquera pas, lui, de trouver ce projet "funny" (à l'intention du cabinet de la ministre = drôle, comique, curieux) !
Son argumentaire fait état du retard que nous avons dans ce domaine, alors qu'aux États-Unis prês de huit universités sur 10, y compris les plus prestigieuses comme Harvard, Stanford ou le MIT offre « ce service gratuit aux étudiants ou à des auditeurs libres partout dans le monde ». C'est bien plus que du retard comme on va le voir et on n'a pas compris grand chose au système !
Pour lancer ce mouvement en France, la ministre va créer une plate-forme nationale dotée de 12 millions d'euros qui proposera dans un premier temps une vingtaine de cours accessibles dès janvier avec la collaboration de diverses universités aux grandes écoles. Soit !
Il est fâcheux que ce qui est une grande nouvelle pour les penseurs du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace soit, aux yeux d'un pauvre diable comme moi, une vieillerie. J'ai entendu parler aux États-Unis de tels projets depuis une bonne grosse douzaine d'années ; je n'ai pas fait de recherche particulière sur la question mais, sauf erreur de ma part, c'est le Massachusetts Institute of Technology, le MIT qui, dès 2001, en tout cas, a été la première université américaine à offrir un nombre important de ses cours, même si, déjà auparavant, le MIT avait commencé ce type d'offre. proposait une partie de ses enseignements en ligne
L'opération Open Course Wa (OCW) a été lancée en 2001, en tout cas, avec la mise en ligne de 50 cours ; une grande majorité des 940 professeurs du MIT a accepté ce principe (et a participé au projet, sans rémunération supplémentaire) de partager dans un tel cadre, recherche, pédagogie et connaissance. Depuis 2006, plus de 1500 cours sont disponibles en ligne et le site reçoit 1,5 millions de visites mensuelles du monde entier dont 60 % sont des consultations extérieures aux États-Unis. La majorité des cours est en PDF, mais on trouve aussi des fichiers audio et des cours en vidéo.
C'est là où nous touchons le point le plus important de cette affaire qui, comme toujours, est totalement ignoré de nos organes d'information.
Au moment où j'ai appris l'existence de ce système (j'étais alors aux États-Unis et c'était il y a une bonne douzaine d'années), je me suis étonné de la générosité peu courante de cette université américaine qui allait fatalement en entraîner beaucoup d'autres derrière elle.
On m'a rapidement fait comprendre mon erreur ; si tous ces cours sont disponibles sur Internet, gratuitement et sans limitation, les études récentes sur leur public montrent qu'il est très rare que suivre ces cours conduisent à se voir délivrer un diplôme ! L'astuce consiste en effet à mettre ces cours gratuitement sur Internet, mais à continuer, en quelque sorte, à les FAIRE PAYER aux candidats éventuels à travers la délivrance d'un diplôme, qui suppose naturellement une inscription à l'université qui, pour les cours suivis par des étudiants du MIT, se situe, "à la louche" aux environs de 25.000 € pour une année.
Le MIT lui-même insiste sur ce détail, sans le souligner toutefois dans une perspective trop mercantile, en précisant que l'OCW n'a, en aucun cas, pour but de remplacer les études universitaires classiques, mais de « fournir du matériel gratuit pour les enseignants, les étudiants et les autodidactes du monde entier ». Ben voyons ! On ajoute même, en prenant une pause avantageuse, que la « principale valeur [au MIT], c'est l'expérience humaine ». On s'en doutait !
Je n'insisterai pas davantage sur le caractère quelque peu désopilant ("funny" non ?) de cette tardive mais soudaine découverte faite par notre MRES ni sur le choix douteux de l'acronyme qui désigne cette opération inspirée par les USA!
En réalité, dans certains secteurs universitaires, l'expérience a même commencé, en douce, faute de mieux et par nécessité ; selon certains bruits qui me reviennent, en première année de médecine, à Tours par exemple, les cours en amphi ont été remplacés par des mises à disposition en vidéo ou sur Internet, dans la mesure où les étudiants recalés l'année précédente, venaient perturber les cours donnés en amphi ; on a choisi cette solution pour éviter les chahuts qui étaient régulièrement organisés. Ce détail concerne les premières années, mais, dans les années suivantes, à Marseille par exemple, dans les mêmes enseignements de médecine, les étudiants choisissent souvent de ne pas assister aux cours, puisque ils sont souvent rendus accessibles en DVD sous leur forme la plus littérale.
Je ne vais pas une fois de plus tirer sur les ambulances, mais fournir, bien au contraire des "éléments de langage" à un ministère qui en semble singulièrement dépourvu.
On pourrait en effet souligner que, si le système américain que j'ai illustré par le cas du MIT, n'est en rien démocratique et ouvert puisque, en fait, si on veut un diplôme, il faut payer l'enseignement sur Internet, comme on le payerait en enseignement presentiel et surtout au même tari. En France, au contraire, il y a une vraie perspective de gauche, avec une vraie démocratisation par ce biais. L'enseignement universitaire est, en effet, pratiquement gratuit, "funny" ou pas, vu la modicité des coûts réels d'inscription aux cours comme aux examens, qui ne s'élèvent guère au-delà de 200 € par an! Mieux même ; beaucoup d'étudiants qui travaillent (à condition que ce ne soit pas "au noir" comme c'est souvent malheureusement le cas) sont même déjà affiliés à la sécurité sociale et l'enseignement "funny" leur évitera même de prendre une nouvelle inscription à la sécu étudiante, sans souci des horaires, dimanche ou pas !
A la différence du MIT et des autres universités américaines, la France est donc susceptible d'être un lieu d'expérience en ce domaine véritablement innovant, par la gratuité totale des enseignements comme de la délivrance des diplômes.
Chère Madame Fioraso c'est sur ce point qu'il faudrait insister plutôt que sur le caractère prétendument novateur de cette nouvelle diffusion de l'enseignement universitaire. Qu'est ce qu'on dit au monsieur ?
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