Messages les plus consultés

lundi 7 mars 2011

De l’outremer à l’outre-mer



Petite introduction historique et lexicale.
Des siècles durant, le bleu outremer ou par abréviation l’outremer, bleu profond très utilisé par les peintres, a été une matière aussi rare que coûteuse puisqu’on le produisait à partir d’une pierre (semi) précieuse, le lapis-lazuli qu’on faisait venir de fort loin (souvent d’Afghanistan) donc d’au-delà des mers, ce qui, à la fois, expliquait son nom et justifiait son prix.

On nomme aussi le bleu outremer « bleu Guimet » car, au XIXème siècle, un chimiste français Guimet (le fondateur des musées de Paris et de Lyon qui portent son nom pour des raisons tout à fait différentes d’ailleurs) a réussi à fabriquer industriellement un « outremer artificiel » qui, dans la suite, a été désigné souvent par le nom de son inventeur.

Dans notre langue, si riche et si subtile, un simple trait d’union distingue la couleur (« outremer ») de la locution adverbiale « outre-mer » (= au-delà des mers) qui s’applique, par rapport à la France, prise comme référence, à des pays lointains d’Afrique ou d’Amérique. De ce fait, avant la décolonisation on nommait souvent « la France d’outre-mer » nos colonies du reste du monde. De même, en 1946, on a nommé « Départements d’Outre-mer », lors de leur intégration totale à l’ensemble national, les quatre « vieilles colonies » de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion (par abréviation les D.O.M.).

Du fait de ces usages, le terme « outre-mer » a vu s’attacher à lui une connotation « coloniale », voire « colonialiste » qui a conduit par exemple à modifier le nom même d’une institution scientifique française importante, l’Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer, l’ORSTOM, qui était une sorte de CNRS comprenant plusieurs milliers de chercheurs et de techniciens mais opérant exclusivement hors de France. En 1998, on a donc fait disparaître cette dénomination quelque peu suspecte au profit d’Institut de Recherche pour le Développent (IRD). Sans doute n’a-t-on pas pu trouver de nom qui permette de conserver le sigle, bien connu depuis longtemps, ce que le Sénégal a su faire pour l’IFAN ( Institut Français d’Afrique Noire) qui, à l’indépendance du pays, est devenu l’Institut Fondamental d’Afrique Noire.

Sans doute le fait que M.L. Penchard, nommée en 2009 « secrétaire d’Etat à l’outre-mer » soit originaire de Guadeloupe, l’a-t-elle rendue plus sensible à ce relent de post-colonialisme que présente le mot « outre-mer ». Il est probable aussi que les événements des Antilles et de la Réunion, en 2009, qui ont d’ailleurs été à l’origine de l’éviction d’Yves Jégo, le précédent responsable de l’outre-mer, et donc de la promotion de M.L. Penchard, ont été pour quelque chose dans le glissement progressif de l’usage de « DOM » vers « outre-mer » et « ultramarin ».
Le statut de ces territoires était, paradoxalement, regardé, pour partie au moins, comme responsable de leurs problèmes économiques et sociaux, ce qui est tout de même paradoxal, puisque ces DOM ne vivent guère qu’un mois par an sur leurs propres ressources, l’économie des onze autres mois étant assurée par les tranferts de la métropole ! Les électeurs de la Martinique et de la Guyane ne s’y sont d’ailleurs pas trompés quand, un peu plus tard, on les a fait voter sur une éventuelle évolution du statut de leurs départements.

L’usage récent des mots « les outre-mer » (pour désigner les DOM-TOM eux-mêmes) et « ultramarins » pour qualifier leurs habitants (parfois nommés précédemment « domiens ») conduit à deux observations.

La première est que le mot « ultramarin/ultra-marin » est peu connu de nos dictionnaires, même les plus grands. Le Trésor de la Langue Française, le TLF, auquel j’ai recours en pareil cas, met dans la même rubrique, l’adjectif avec et sans trait d’union, ce qui, il faut bien le dire, n’est pas très logique : « 1. Littér. Qui est de la couleur du bleu outremer. Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs (RIMBAUD, Poés., 1871, p. 130). 2. Qui se situe outre-mer, au-delà des mers. Randonnées ultra-marines. Avec, par-dessus les toits, par-dessus les amours miteuses au ras du quotidien le plus fade, un grand rêve ultramarin vers l'Argentine qui bien sûr ne se réalise jamais (Le Nouvel Observateur, 12 oct. 1984, p. 100, col. 2) ».

La seconde remarque, de moindre importance, touche à l’orthographe, au pluriel, du mot « outre-mer » où l’adjonction d’un –s est quelque peu discutable !

En tout cas, M.L. Penchard entend marquer son ministère par cette innovation lexicale ; les anciens Domiens sont désormais les « Ultramarins , tandis que, selon le mot de M.L. Penchard : « Les Outre-mer sont les lumières de la France dans le monde » !

Comme l’a fait remarquer, non sans quelque perfidie, C. Taubira, dans une telle perspective, le choix parisien du Jardin d’Acclimatation, où se tinrent autrefois les « expositions coloniales », comme lieu majeur de « l’année des outre-mers »,est quelque peu discutable voire même malheureux, mais peut-être ne songe-t-on pas vraiment à y reproduire les spectacles indigènes qu’on tint à l’époque en ces lieux !

Un des clous de cette célébration parisienne de « l’année des outre-mers » est « la mise en lumière du Palais Bourbon aux couleurs des Outre-mer ». Pourtant, si l’on veut associer un bleu à la célébration des outre-mers, ce devrait être plutôt l’indigo que l’outremer ! En effet, alors que l’outremer, jusqu’au XIXème siècle, venait de l’Afghanistan (que la France n’avait pas encore songé à occuper), c’était avec l’indigo qu’on teignait en bleu les étoffes et l’indigotier était l’une des ressources majeures de nos colonies. Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti, était alors le grand centre de production de l’indigo. C’était d’ailleurs de cette couleur qu’on teignait les habits des esclaves, ce dont le créole réunionnais a gardé, des siècles plus tard, le souvenir puisque la rumeur publique s’y nomme encore très joliment « gazet sifon blé » (la « gazette en habit bleu »). Fort heureusement sur ce point au moins M.L. Penchard n’a pas à craindre de remarque perfide de Madame Taubira qui ignore naturellement tout de ce genre de détails sur la vie coloniale.

Aucun commentaire: