samedi 5 mars 2011
Haïti : le diable et le bon dieu (suite)
Dans le film « Bondye bon », ce qui m'a frappé aussi est que la propagande politique en Haïti se greffe sur des actions religieuses.
Le premier point de doctrine est que le séisme de janvier 2010 a été envoyé par Dieu pour punir Haïti en particulier de sa dérive en direction du vaudou donc du diable. Cette vérité d'évidence est répétée à satiété et revient à de multiples reprises dans le film. En revanche, ce qui est plus curieux est que cette action des évangélistes est couplée avec la promotion d'un candidat à l'élection présidentielle, car le film a dû être tourné à l'automne de 2010. Il s'agit du pasteur Chavannes Jeune que l’on voit à plusieurs reprises, dans diverses situations. Il apparaît toujours vêtu d'un costume sombre et portant cravate comme ses promoteurs évangélistes, mais lui parle créole et, plus rarement français, pour souligner que Haïti est, selon ses termes, « dans le collimateur de Dieu ». Espérait-on, du côté américain, en faire un nouvel Aristide, protestant pour le coup ?
Ces clivages socio-vestimentaires correspondent naturellement, pour partie, à des choix et des usages linguistiques ; ils sont obligés pour les Américains qui, évidemment, ne peuvent s'exprimer ni en créole et en français ; les choix sont plus intéressants pour les Haïtiens qui s'expriment peu en français (sauf Max Beauvoir et parfois Chavannes Jeune) mais dans des variétés différentes du parler haïtien, tour à tour très décréolisé ou, au contraire, plus basique. Ainsi, par exemple, dans la séance de vaudou, le houngan s'exprime assez longuement dans cette langue et développe le thème de la lutte de la religion nationale contre les religions « importées »! En revanche, seul le diable est polyglotte puisque l’on voit un jeune évangéliste américain se livrer à un exorcisme dans sa propre langue et chasser le diable créole sans avoir recours à un interprète ! Le diable, non seulement s'habille en Prada, mais, en plus, il parle anglais.
Il est évident que les troupes évangélistes américaines sont arrivées en force et en nombre et qu’elles disposent là-bas de moyens considérables et d’équipements modernes comme de stratégies méditées. On organise des cortèges où l’on scande « Non au vaudou ! Non au diable ! » ; on appâte les foules, selon les âges, par des distributions de friandises ou d'objets (des bonbons pour les enfants ou des T-shirts pour les adultes) et en se livrant à des shows mystiques où la danse et la musique tiennent une place qui, évidemment, les rend particulièrement attirants pour les Haïtiens. En effet, c'est l’un des traits qui marquent le film où, quels que soient l'horreur et la désolation des cadres où l’action se déroule, au milieu des décombres et dans la fange des abris de fortune, on nous donne à voir une population haïtienne que caractérise à la fois son goût de la musique et la danse (on a l’impression que les Haïtiens ne peuvent se déplacer autrement qu'en esquissant des pas de danse) et son attirance pour la religion et la religiosité, quelles qu'elles soient. Comme le souligne, à un moment, Frantz Duval, rédacteur en chef du quotidien national Le nouvelliste, les Haïtiens passent, sans encombre ni gêne, de la cérémonie vaudou au temple ou à l’église !
On peut dire que cet aspect est symbolisé par le titre même du film car « Bondye bon » est l’inscription qu’on voit un Haïtien « taguer » à la bombe sur un mur en ruines ! Tout un programme !
Si ce film est fort intéressant comme témoignage, il contient, en revanche, aussi un certain nombre d'assertions, avancées par l’un ou l’autre des témoins qui s’y expriment, mais qui sont clairement des contre-vérités. Les hommages appuyés rendus par divers intervenants à l'empereur Jean-Jacques Dessalines ne font pas mention du fait que ce « père de l'indépendance », qui, une fois au pouvoir, n’avait guère tardé à se faire empereur, a été lui-même assassiné, peu après, par des compatriotes qui ne lui ont guère su longtemps gré de les avoir libérés.
Selon les évangélistes américains, le pacte d’Haïti avec le diable, scellé par le vaudou, daterait du fameux serment du Bois Caïman qui relève plus du mythe que de l’histoire. Celui qui aurait donc entraîné Haïti sur la voie de la perdition serait le fameux Boukman, présenté comme un prêtre vaudou venu la Jamaïque et qu’on appelle dans le film, de façon amusante, « Boukemane », comme "Superman" ou « Spiderman » ! Significatif !
La note finale du film, contre toute attente optimiste, est donnée par les propos du fameux peintre Prefete Duffaut (né en 1923 et que je croyais mort ). Il pense, et c’est la conclusion, qu'Haïti finira par présenter au monde la vision édénique sous laquelle il s'emploie souvent, depuis un demi-siècle, à représenter son pays.
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