Beaumarchais est décidément d’actualité. J’ai failli mettre mon post d’hier sur notre belle démocratie française, gardienne si scrupuleuse et si vigilante de la liberté d’expression, sous le signe de la fameuse formule de Figaro dans son monologue : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. ». En dépit de la pertinence accrue de cette jolie formule, je me suis toujours détourné de la citer pour la voir citée, contre toute attente, en tête d’un journal qui porte, de façon incongrue désormais, le nom même du barbier de Séville !
« Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint » lit-on aussi dans le Mariage de Figaro. S'il est sûr qu'en Haïti ce n'est pas un danseur qui obtiendra la présidence de la République, il y a quelques chances, de plus en plus selon les rumeurs, que ce soit un chanteur.
Jean Wyclef, chanteur hip-hop haïtiano-américain, qui n'avait pas pu se porter candidat à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle, est revenu sur le devant de la scène à l'occasion du second. Non plus comme candidat mais supporter de Michael Martelly puis désormais comme victime, puisqu’il aurait été blessé par balle(s), samedi 19 mars 2011 au soir, la veille même du vote. Rassurez-vous, il ne s'agit que d'une éraflure à la main, « consécutive à un tir » comme il le précise lui-même, même si les faits ne sont pas très exactement établis selon la police. La blessure, d’après les premiers constats, résulterait plutôt d'une coupure par du verre. Si l'on ajoute que la voiture du chanteur est blindée et qu'aucun des autres occupants n'a été blessé, on voit que les faits sont des plus incertains ; on ne dispose ni de témoignages ni d’indices matériels (pas douilles ni d’impacts sur le véhicule). On n'en saura sans doute pas davantage sur cet incident que l'on pourrait porter au compte de la tension politique dans la mesure où le chanteur s'était déclaré un très ferme soutien de Michel Martelly. Il a en tout cas quitté Haïti dès le lendemain du vote, le 21 mars 2011.
L'opération électorale est certes d'importance puisqu'on ne compte pas moins de 11.186 bureaux de vote pour 4,7 millions d’électeurs dans un pays où les communications de toutes natures ne sont pas faciles. Les choses sont d'autant plus compliquées que l'élection présidentielle se double d'élections législatives (députés et sénateurs). Leur caractère régional fait que les candidats s'y affrontent de façon relativement différente et souvent avec plus de violence. En effet, si les deux candidats à la présidence Mirlande Manigat et Michel Martelly, débattent surtout par communiqués et déclarations, en partie désormais relayés par les « réseaux sociaux » (Facebook et Twitter), les partisans des candidats à la députation ou au Sénat usent le plus souvent, dans leurs différends, de moyens plus traditionnels et plus rustiques qui vont des galets aux machettes en passant parfois par les fusils.
Dans de telles conditions de tensions où les rumeurs vont bon train, on comprend que différer au 30 mars 2011, au minimum, et peut-être même au 16 avril, la proclamation des résultats définitifs augmente considérablement les risques de violences qui, pour le moment, se sont limitées à deux ou trois morts et à quelques incidents ou rixes dans les bureaux de vote.
La modernisation des techniques de comptage et d'enregistrement (scanners, ordinateurs, etc.) et l’établissements d'un « manuel de procédure » ne sont pas des garanties absolues de la sécurité et de la régularité des opérations électorales. On a pu lire dans le Nouvelliste (la meilleure source d'information sur les réalités haïtiennes) des récits pittoresques sur les dépouillements du dimanche 20 mars au soir, à Port-au-Prince même et non pas dans les mornes ! Les caprices de l'alimentation en électricité dans les bureaux de vote (quand il y en avait), ont fait que, tour à tour et selon les lieux, on a dépouillé à la lumière électrique, dans le noir ou à la bougie, ce qui ne facilitait sans doute pas le bon déroulement de ce genre d'activité ; ces incidents ont, en effet, entraîné, en outre, le ralentissement des procédures et, par conséquent, le départ d'un certain nombre de scrutateurs ou d'observateurs pressés d'aller se coucher !
On doit rappeler aussi que le déroulement même du premier tour n'a guère contribué à créer un climat de confiance. Alors que les premiers résultats (fin novembre 2010) avaient donné comme vainqueurs Mirlande Manigat (avec en gros 10 % d'avance) et Célestin Jude, ces résultats ont été, dans la suite, invalidés. Les nouveaux comptages, dont les détails demeurent obscurs, ont conduit à écarter Jude Célestin au profit de Michel Martelly dont les partisans avaient protesté, dans les rues, lors des premiers résultats, avec beaucoup de violence. Après de longues semaines de tergiversations, « Tèt kale » a été déclaré candidat pour le deuxième tour, sans toutefois qu'on donne les résultats définitifs, effectivement établis pour l'un et l'autre des deux candidats admis à se présenter à l'élection définitive. Tout cela ne contribue naturellement pas à créer un climat de confiance, même si Rosny Desroches (leader du mouvement de la « Société civile ») se déclare globalement satisfait du contrôle et du mode de décision sur les procès-verbaux qui poseraient problème.
L'analyse la plus sereine et la plus lucide me semble celle que fait Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste.
« Allons-nous avoir recours encore une fois à l'Organisation des Etats Américains pour désigner le gagnant de la présidentielle du 20 mars ? [...] La dernière fois que l'OEA est intervenue dans le processus, il n’a fallu qu'une poignée de ces précieux procès-verbaux pour changer le cours de l'histoire. La fraude massive des principaux candidats, la désorganisation totale du CEP, le manque de confiance dans les conseillers et l'ombre du pouvoir de René Préval ont pesé lourd dans la balance, mais, au final, il a fallu peu pour décider qui irait au second tour. Aujourd'hui encore, s'il faut corriger une erreur dans le cours des élections, il suffira d'un ordre. Les millions dépensés et les énergies mobilisées ne changeront rien à l'affaire. Et tirant leçon du premier tour, le candidat déclaré perdant ne pourra que s'incliner avec élégance.Le piège du premier tour était à double action ».
On pourrait compléter cette conclusion de Frantz Duval par la formule antique « Quis custodem custodiet » (= Qui gardera le gardien ? ») ou plutôt, dans le contexte électoral haïtien « Qui observera l’observateur ? ».
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