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lundi 21 mars 2011

Lybie : « Aube de l’odyssée » (N°1).

Les états-majors sont décidément, dans nos sociétés modernes, le dernier refuge des poètes.

Ainsi comme vous l'avez sans doute constaté, le plus difficile dans toute opération militaire est le choix, premier et indispensable, du nom de code qui servira à la désigner. Nous avons ainsi eu la « tempête du désert » d’Irak puis le « plomb durci » de Gaza ; voici qu’en Lybie se lève, sans qu'on sache si elle est « aux doigts de roses », comme celle du bon Homère, « l’aube de l'Odyssée ». La formule est jolie mais des plus inattendues, ce qui me donne à penser que les militaires qui l'ont choisie, ignorent ou ont oublié que l'Odyssée a duré dix ans, ce qui n’est pas de très bon augure. J'ose toutefois espérer qu'ils n'ont pas prévu la même durée pour l'opération qu'ils ont entamée en Libye.

Cela dit, dans la dénomination des opérations à venir, il sera assurément, pour ce qui est de l'inopportunité, voire de l’indécence, du nom choisi, de dépasser ce que l'on avait obtenu, en 1999, en baptisant « Dresde » les actions de bombardements programmées sur la Serbie. Certes, le nom se justifiait en ce sens qu’on visait à une destruction aussi complète que possible des capacités de défense de la Yougoslavie. Cette action fut dès lors désignée par certains diplomates du nom d’« opération Dresde » par une fine allusion aux fameux bombardements massifs de cette ville allemande en 1945 : 3900 tonnes de bombes incendiaires sur une ville de l’Allemagne quasi vaincue l’anéantirent totalement, y faisant plus de 100.000 victimes.

On a pu constater, dans les derniers jours, les mêmes petits jeux politiques qui caractérisent toujours les relations internationales. La France, dont la diplomatie n'avait brillé ni en Tunisie et en Égypte et qui voulait se refaire une santé, voire une virginité, a cru trouver dans l'affaire de Libye une occasion de redorer son blason, même si la neutralisation de l'espace aérien libyen était, à l'origine, me semble-t-il, une idée de l'assemblée européenne, restée vaine, comme la plupart de ses idées lorsque, par hasard, elle en a.

Le principal événement de l'affaire est qu'on a cru un moment, chez nous, que Bernard-Henri Lévy avait soudain succédé à Alain Juppé au Quai d'Orsay ; seul le départ inopiné de ce dernier pour participer au Conseil de sécurité de l'ONU à New York a pu rassurer à cet égard le bon peuple de France.

Cette réunion a été elle-même un monument d'hypocrisie puisque la moitié de l'humanité (en la circonstance la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil et... L'Allemagne) a eu le courage exceptionnel de s'abstenir, les deux premiers manifestant quasi immédiatement leur opposition aux premières mesures prises, même si elles étaient conduites dans le strict respect de la décision du Conseil de sécurité de l'ONU auquel ces deux nations assistaient. La Ligue arabe, qui était venue à Paris samedi 19 mars 2011 à la réunion tripartite sans enthousiasme excessif (seul le Qatar, formidable puissance militaire comme on sait, étant censé s’engager réellement dans l’affaire), a aussitôt saisi l’occasion d’emboîter le pas à la Russie et à la Chine en désapprouvant dès dimanche 20 mars des actions approuvées la veille.

Lees militaires Américains ne faisant pas mystère de leurs réserves (l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran voire le Pakistan suffisant à les occuper), Obama comme Hillary Clinton nous ont gentiment proposé, tout aussi courageusement, le « siège arrière » du char de guerre, en pressant les deux gogos que sont la France et la Grande-Bretagne de foncer dans le brouillard.

Engagés du bout de lèvres, les Américains désengagent déjà leur centre de commandement de Stuttgart, d’abord proposé pour la coordination des opérations vers la Lybie. Pas fous !

Ayant vaguement parcouru, écouté ou vu la plupart des informations sur le sujet, je suis stupéfait de constater que nul n’a songé, en la circonstance, a évoquer, à propos de ce couple de va- t-en-guerre franco-anglais, belliqueux mais comique et bientôt isolé, et de son intervention dans le monde arabe, la fameuse expédition de 1956.

Petit mais indispensable rappel. Pour prendre ma remarque liminaire, le nom exotique d’« opération Kadesh » fut donné par Israël, en 1956, aux opérations militaires dans le Sinaï contre l'Egypte. Ce nom était celui de plusieurs toponymes dont celui d’un lieu où s’était déroulée une célèbre bataille du XIIIème siècle av. J.-C. Nous-autres nommons plutôt cet événement la « guerre de Suez » ou plutôt la « campagne de Suez » car le terme de « guerre » paraît un peu excessif, vu le caractère et la brièveté (moins de deux semaines) des opérations en cause.

Le conflit éclate en octobre 1956 ; il oppose l'Égypte et les signataires du protocole de Sèvres qui unit Israël, la France et la Grande Bretagne à la suite de la nationalisation du canal de Suez. Dans un jeu très complexe de bluff et de poker menteur, en pleine guerre froide, l’URSS et les Etats-Unis imposeront l'arrêt du conflit (A. Eden et G. Mollet devront manger leur chapeau, la chose étant plus rude pour l'élégant Antony, coutumier du port du huit-reflets) et obligeront les troupes d’élite françaises et britanniques victorieuses à mettre l'arme au pied avant de rentrer au pays l’oreille basse en novembre 1956.

On me dira naturellement, ce que je sais parfaitement, que la situation était très différente puisque ce sont alors précisément la Russie surtout et les États-Unis, à un degré moindre, qui ont arrêté les velléités belliqueuses de la France et de la Grande-Bretagne en octobre-novembre 1956, alors qu’elles les suscitent ou les tolèrent aujourd’hui. Dans le cas présent, la France et la Grande-Bretagne ne semblent nullement isolées (mais pour combien de temps ?) puisque s’engagent à leurs côtés des alliés considérables, dont en particulier le Canada, la Belgique et le Danemark. Voilà qui doit faire trembler Kadhafi !

Combien de temps durera cette belle unanimité qui n’aura même pas survécu aux 48 premières heures? A votre avis quels seront les dindons de la farce ?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

je n'ai pas votre érudition, vos références comparatives cher Usbeck
Je suggère à NS de remballer puisque ceux qui étaient soit pour, soit n'on pas exercé leur droits de veto, dansent aujourd'hui un tango rétrograde, je lui suggère donc de remballer et d'organiser une garden partie dans les jardins de l'Elysée en l'honneur du tribal, de ses chameaux et de lui servir la soupe sous sa tente avec un stylot Mont Blanc et une liasse de contrats
Ca suffit!

Marc a dit…

Il est prévisible que la belle unanimité ne soit déjà défunte, les intérêts particuliers des pays opposants à l'intervention éclatant au grand jour.

La Ligue Arabe se mord les doigts d'avoir laisser se créer un précédent préoccupant, il deviendra délicat de réprimer en paix sans intervention abusive. Coup de chance, l'intervention des troupes saoudiennes et qataris au Bahrein entre dans le cadre de la réponse aux agitations iraniennes, ce qui permet de ne pas s'en mêler.

J'avais posé sur mon blog la question du commandement des coalisés et vous m'apportez un élément de réponse. J'attends de voir comment ce commandement sera réparti entre Albion et Doulce France. Si cela fonctionne, l'équilibre européen risque de changer d'axe, au détriment de l'Allemagne ...

Au risque de déplaire, je suis pour la continuation des frappes, certainement pas chirurgicales, destinées à paralyser sinon à annihiler les moyens de communication, de surveillance et logistique de Khadafi.

Il s'agit d'une guerre civile opposant un régime dictatorial pur sucre à des insurgés qui veulent sa peau. Si Khadafi n'était pas celui qu'il est, l'Occident aurait pudiquement détourné le regard. La coalition veut la peau de Khadafi, c'est indubitable et personne ne pleurerait si par malchance un Tomahawk le pulvérisait.

Paradoxalement, on se retrouve plus ou moins dans la situation de la guerre du Golfe, où il fallait liquider les forcs irakiennes mais surtout ne pas virer Saddam Hussein par peur de vacuité du pouvoir. Nous risquons de vivre le même scénario si la coalition ne peut faire plier Khadafi et lui imposer de se remettre chez son ami Chavez. La différence est que les opposants se sont dotés d'un gouvernement de transition, le CNT, et que ledit gouvernement commence à avoir une légitimité internationale.

Personnellement j'entrevois deux scénarii :

1- L'armée est liquidée, Khadaffi plie et le CNT prend le pouvoir, la guerre civile continue en ramenant le conflit au niveau tribal.

2- L'armée n'est pas liquidée, Khadaffi s'accroche et la Cyrénaïque dirigée par le CNT se sépare de la Libye. Dans ce scénario, les capacités de nuisances de Khadaffi se déploient et l'Occident a du souci à se faire.

Comparaison n'est certainement pas raison mais ce que vous dites concernant la fin de la campagne de 56 peut s'appliquer à la Libye ...

Expat a dit…

Cher Usbek,

juste un apparté sur les noms donnés aux opérations par l'armée française. Vous n'êtes pas sans savoir que l'opération "aube de l'odyssée" se décline chez nous en opération "harmattan".
De fait depuis longtemps la France s'inspire de la nature et de sa faune pour baptiser ses noms d'opération, si bien qu'il est difficile d'extrapoler la vision qu'ont les états-majors du déroulement des opérations en question

A une époque c'était la faune aquatique qui était en vogue. Toutes nos opération en Afrique étaient baptisées du nom d'un de ses représentants. Nous avons eu barracuda, silure,manta (mais j'en oublie sans doute). Sans doute de peur d'être accusés de prédation sur la faune aquatique, nous sommes passés ensuite à celle aérienne ou terrestre, bien qu'il y eu une tentative discrète de revenir aux poissons lors d'une discrète opération espadon (étrangère au film où figure Travolta) qui consistait à exfiltrer des ressortissants dans un pays africain où l'usage était de découper les bras. A Manta (84-Tchad)donc a succédé épervier qui dure toujours d'ailleurs. Parallèlement nous avons eu l'opération daguet qui symbolisait l'envoi de nos faibles moyens dans le golfe ; à cet égard (la faiblesse) peut-être que le nom était finalement bien choisi.
Et puis à force de sacrifier des animaux, on est passé à des créatures imaginaires ; c'est ainsi que l'opération en Côte-d'Ivoire fut baptisée Licorne du nom de cette créature que seules les vierges peuvent capturer, ce qui nous mettait à l'abri du côté de Gbagbo.

Le fait que nous passions maintenant à des noms de vent n'est pas fait pour me rassurer.

Anonyme a dit…

Grande nouvelle chers amis
Je viens d'apprendre par la radio que la dénomination "aube de l'odyssée" venait des Américains. Voilà qui écarte toute idée de référence à Homère! En fait d'Omer, nos amis américains ne connaissent que celui des Simpson. Usbek