Un simple communiqué du Conseil électoral provisoire (CEP), ce mardi 29 mars 2011, a, une fois de plus, reporté la publication des résultats « préliminaires » (et par là, une fois de plus, provisoires) de l’élection présidentielle : « Les dispositions qui se sont avérées nécessaires pour la fiabilité des résultats ont malheureusement affecté le rythme de travail du Centre de Tabulation, lequel n'est plus en mesure de produire son rapport à la date initialement prévue. [...]. Le Conseil Électoral Provisoire est donc amené à reporter au lundi 4 avril 2011 la publication des résultats préliminaires ».
On se souvient pourtant qu’après le 20 mars 2011, les observateurs nationaux et surtout internationaux (de l’ONU à l’UE en passant par le Canada et la France) étaient d'avis que le second tour de ce scrutin s'était déroulé dans des conditions bien meilleures que le premier, avec moins d'irrégularités et de potentialités de fraude.
Or voici qu’on avance le chiffre de 18 à 20% de mises en cause voire d’invalidations des suffrages. Selon le collectif des organisations d'observation électorale, près de 15 000 procès-verbaux sur environ 25 000 ( élections présidentielles et législatives) ont été mis en examen au Centre de tabulation, alors qu’à peine plus du tiers des procès-verbaux auraient été traités.
Comme souvent, une des meilleures analyses locales est celle que donne Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste, dans un éditorial qu’il intitule avec humour « Coup d’étau ». En voici quelques extraits significatifs.
« Toutes les spéculations sont permises après la publication de cette note [celle que j’ai citée en commençant] qui tombe comme une douche froide. Ceux qui croient que le CEP est constitué d'une collection d'incapables estiment ce retard normal: ils ne peuvent pas remettre leur devoir à temps, ironisent-ils.Ceux qui pensent que le Conseil est aux ordres de la communauté internationale, du pouvoir sortant ou d'une coalition d'intérêts inavouables, avancent que le CEP a besoin de temps pour modifier les résultats dans le sens des diktats de ses tuteurs. Ce maquillage prend du temps.D'autres voient dans le renvoi une manoeuvre pour pousser à la faute l'un ou l'autre des candidats engagés dans la course. Les stratèges espèrent que la population chauffée à blanc par un candidat inquiet provoquera des troubles pour faire disqualifier celui qu'elle tentera d'imposer.Enfin, il y a une partie des observateurs qui pensent que tout va bien. Les résultats sont si massivement exprimés dans un sens ou si proches qu'il faut regarder à deux fois avant de les proclamer. La prudence et le souci de bien faire seraient les seuls guides du CEP.Toutes ces spéculations ont une seule source, l'étau d'acier trempé que le CEP a dressé autour du processus dont il a la charge et qui empêche les informations de circuler. [...]. Ce coup d'étau est-il les premières prémices d'un coup d'Etat comme les black-out précèdent les coups de force en Haïti ? Trop tôt pour le dire. »
Revenant sur l’absence d’observations au moment même du vote, Frantz Duval poursuit : « Le CNO et ses près de cinq mille observateurs, comme les autres observateurs en provenance de l'OEA, du Caricom, de l'Union Européenne et tutti quanti ont donc tous raté l'observation de la journée du vote, le dimanche 20 mars ?Tous ces observateurs qui engloutissent des millions ont-ils mal fait leur travail, lundi et mardi dernier, pendant le transport des procès-verbaux ? Le niveau élevé de fraudes et d'irrégularités de diverses natures décelées lors de la tabulation des votes ce mardi 29 mars par le CEP, a-t-il échappé à leurs radars ? Que vont-ils nous annoncer encore qu'ils n'avaient pas vu ces acteurs du processus électoral ?Vous avez bien lu acteurs. C'est bien le mot qui convient dans cette affaire ».
Quant aux équipes et aux partisans des deux candidats, selon la loi du genre, ils se montrent à la fois optimistes et déjà soupçonneux.
Du côté de Mirlande Manigat, le CTV doit « prendre le temps de bien faire son travail ». Du côté de Michel Martelly, on pense que le CEP est une boîte noire [au sens anthropologique du terme, c’est-à-dire un lieu à l’abri des observations, où l’on voit ce qui entre et ce qui sort sans savoir ce qui s’y passe] et on a du mal à comprendre les mobiles réels de tels retards. « Le CEP est une boîte noire. Il ne travaille pas pour son compte personnel, mais il travaille pour nous et avec nous. Quand il prend les décisions, il devrait avoir la décence de nous contacter pour nous mettre au courant des changements », a déclaré Fritz Jean-Louis, membre de « Repons Peyizan » et qui croit fermement en la victoire finale de « Tèt kale ».
Le responsable de la « l’Initiative de la Société civile », l’ancien ministre de l’éducation nationale, Rosny Desroches observe, avec raison, sans prendre parti : « Il est à craindre, que le secret d'Etat ne devienne raison d'Etat et que, pour raison d'Etat, on décide de qui va remporter les présidentielles ». R. Desroches, dans le même esprit, avait déjà critiqué la décision du CEP d'interdire aux médias, sous peine de poursuites, de publier les résultats partiels affichés.
Secret d’Etat (ou d’étau !) et coup d’Etat ? Espérons ne pas voir se reproduire, une fois de plus, des événements si présents dans l’histoire d’Haïti !
Dernière minute : « Quatorze pour cent des procès-verbaux constatant les résultats du deuxième tour des élections législatives et présidentielle en Haïti du 20 mars sont frauduleux, a annoncé mercredi le Conseil électoral provisoire.
Concernant le seul scrutin présidentiel, quelque 1.518 procès-verbaux envoyés par les différents centres de vote ont été "jugés visiblement frauduleux" et mis à l'écart, en attendant une décision du tribunal électoral à leur sujet, a indiqué un responsable du CEP, Widmack Matador, lors d'une conférence de presse à Port-au-Prince.
Interrogé pour savoir si le taux de fraude pouvait remettre en question le 2e tour des élections, il n'a pas répondu. ». Le nouvelliste, 30 mars 2011.
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