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dimanche 6 mars 2011

Haïti : le diable et le bon dieu (suite et fin)

On pourrait aussi et pour conclure, lire ce film, d’une façon un peu géopolitique, à la lumière des perspectives qu'un tel tableau offre sur les relations d’Haïti tant avec les Etat-Unis qu’avec la France mais aussi avec la francophonie et en particulier avec le Québec, dont Haïti est proche à bien des égards, mais dont la politique haïtienne n’est pas toujours des meilleures.

La francophonie haïtienne, déjà fortement ébranlée, depuis des décennies, par l’attraction globale très forte de l’Amérique du Nord où va désormais se former l’essentiel de ses « élites », ne peut guère qu'être encore plus mise à mal par l’invasion de ces nouvelles cohortes évangéliques américaines. D'une certaine façon, en dépit de l’identité de la visée religieuse, ces dernières me semblent fort différentes, au moins au plan linguistique, des missionnaires protestants qui sont venus dans le passé et qui s'étaient fortement attachés à la promotion du créole haïtien.

Ce point me fait penser à l’une des erreurs commises, dans le passé, par la diplomatie française, quand elle voyait dans l’officialisation de la graphie du créole haïtien, la main sournoise de la CIA, alors que c’était simplement, et sans le moindre doute, celle de la coopération française, aveugle en l’occurrence, via l’accord passé, vers 1975, avec le soutien financier français, entre l’université Paris V (où le maître d’oeuvre était A. Bentolila) et l’Institut Pédagogique National de Port-au-Prince !

Puisque nous en sommes à évoquer le passé, la présente dénonciation du vaudou par les évangélistes américains, comme cause directe et divine, du séisme du 12 janvier 2010, puis désormais de l’épidémie de choléra n’est pas sans évoquer la « campagne anti-superstitieuse » du début des années 40. Son inspiration majeure était déjà bien plus dans le protestantisme américain que dans le catholicisme, plus accommodant avec la culture locale. Elle ne dura guère que deux ans (1941-2) et si, à ce moment, des » hounforts » (temples) furent détruits, la persécution n’atteignit jamais les violences qu’on a pu observer tout récemment. En effet, selon le film en cause, quarante-cinq « houngans » auraient été tués suite à l’épidémie de choléra, dont on les accusait et dans laquelle les malheureux n’étaient évidemment pour rien, la cause étant clairement asiatique, de l’avis de tous les experts.

Il est, en tout cas, à craindre que les politiques francophones (celle de la France comme celle de la Francophonie) n'aient ni les moyens ni les stratégies pour résister au déferlement des shows évangéliques américains qui, inévitablement et au détriment du français, entraîneront l'anglo-américain dans leur sillage.

Il serait évidemment absurde (et je suis aussi éloigné que possible d’une telle position) de revendiquer, pour la France et pour la Francophonie, une position et un rôle comparables à ceux des Etats-Unis. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre en considération l’histoire américaine et la doctrine de Monroë, toujours vivace, mais plus encore la géographie (on sait que les Français ignorent la géographie !), en regardant simplement une carte de la zone pour y méditer sur la position d’Haïti, tant par rapport à Cuba qu’à la Floride. On peut aussi, dans un autre genre, plus anecdotique, rappeler que, dit-on, la deuxième ville d’Haïti est New-York, où certaines banques mettent à la disposition de leurs clients des formulaires en créole haïtien.

Curieusement, les diplomaties américaine et française ont fait, sur la même réalité culturelle et linguistique du pays, le créole, des analyses quasi opposées et paradoxalement aussi fausses l’une que l’autre.

Les Américains ont tenté de pousser le créole en espérant, par là, éloigner Haïti de l’influence française et en déloger, à terme, le français. Les Haïtiens, pensaient-ils, ont oublié, s’ils l’ont jamais su, que les Etats-Unis furent le dernier des Etats importants du monde d’alors à reconnaître la République d’Haïti (en 1862 seulement donc après avoir aboli l’esclavage sur leur propre sol) . Actuellement, l’arrivée massive des évangélistes étatsuniens n’est, après tout, que la troisième invasion américaine !

Les Français, eux, ont longtemps considéré (et je ne suis pas sûr que certains, au « Quai », ne le pensent pas encore) que le créole était le principal ennemi du français en cette terre qu’on disait, de loin, « francophone » mais qui ne l’est guère dans les faits. Même dans le début des années 80 quand la politique française semblait soutenir une promotion du créole, avec la réforme Bernard par exemple, les réticences, quoique discrètes et souvent tues, demeuraient incontestables, et se marquaient dans l’absence totale de prise en compte du créole local et surtout la faveur systématique accordée au français « pur » comme on dit là-bas (hypernormé et alambiqué jusqu’à l’amphigouri) auquel reste très attachée l’élite francophone haïtienne.

En fait, et en cela, les deux analyses, américaine et française, sont fausses, car dans la langue et la culture créole haïtienne, l’héritage français tient une place considérable. Nul ne le mesure ni même ne le soupçonne, et surtout pas la plupart des Haïtiens qu’on a endoctrinés et qu’on continue à endoctriner, sur le thème de l’africanité du créole, de S. Sylvain à Y. Dejean en passant par C. Lefebvre et quelques-uns de ses épigones.

Ce n’est que tout récemment que grâce à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a été engagé un programme visant à la définition et à la mise en oeuvre d’une didactique « adaptée » de la langue française qui demeure, pour le moment du moins « langue officielle » de la République d’Haïti, tout en étant, avec le créole haïtien, une des deux langues nationales. Il est clair, en effet que la seule et unique vraie raison d’un maintien du français en Haïti tient à ce que cette langue est la composante initiale majeure de la langue et de la culture d’Haïti, qu’on le veuille ou non et qu’on le souligne ou qu’on le cache !

Si, dans une stratégie pédagogique intelligente, on s’attache à faire coopérer les deux langues dans la didactique du français au lieu de les opposer, comme souvent dans le passé, avec des contresens linguistiques et des mensonges idéologiques qui ont la vie dure, on devrait enseigner, plus vite et plus efficacement, le français aux enfants haïtiens qu’aux petits Chinois ou aux jeunes Japonais, tout en les éclairant du même coup sur leur propre langue et culture créole. Cette action a hélas, depuis un an, été contrariée par les catastrophes successives qui ont frappé cet infortuné pays. Ce que nous montre cet excellent documentaire « Bondye bon » n’incite malheureusement pas à l’optimisme.

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