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lundi 14 octobre 2013

Gérontocratie européenne


Grande fiesta européenne pour les Journées de Bruxelles organisées, ce jeudi 10 octobre 2013, par le Nouvel Observateur avec comme animateur Laurent Mouchard dit Laurent Joffrin, qui aurait été mieux inspiré dans ce rôle en révélant un peu aux spectateurs, souvent jeunes semble-t-il, le dessous des cartes.

 À la télé (car vous l'aurez deviné, je n'étais pas à Bruxelles), le spectacle avait des allures de musée Grévin, car il s'ouvrait par la présentation des deux vedettes de la soirée. Le premier arrivant était Valéry Giscard d'Estaing, 87 ans aux prunes, quasi momifié, qui était chargé d'ouvrir le spectacle ; son concurrent direct, qui le suivait de près, était Jacques Delors, son aîné d'une année (88 ans). Il manquait hélas à cette petite fête, Monsieur Martens, hélas ravi à l'affection de l'Europe quelques jours auparavant, à 77 ans, frappé en pleine jeunesse par un inexorable destin.

Ce qui est admirable dans toute cette affaire, c'est que l'un et l'autre, car je n'ai guère entendu que des fragments des discours de ces deux vedettes, semblent parfaitement satisfaits quand ils se retournent, dans la mesure où leurs articulations le leur permettent encore, pour examiner leur œuvre et leur bilan européens.

Giscard, déçu dans ses perspectives de réélection à une seconde présidence de la République en France, n'a cessé de rêver en vain, en ses lieu et place, à une présidence de l'Europe ! Dans toute cette affaire, sa responsabilité est toutefois bien moindre que celle de Jacques Delors.

Ce dernier, au fond, à parcouru un chemin onirique un peu inverse. Après avoir rêvé d'être Premier Ministre (en 1981), déçu d'abord dans cet espoir par le choix de Mauroy puis viré du gouvernement Fabius, il est entré, en 1985, dans la galère européenne et y est resté à la barre jusqu'en 1995, pour notre malheur.

Il a été, en effet, alors un des pères de la "grande" Europe au moment de la fin de l'URSS et du racolage frénétique des PECO (1993) qui n'avaient rien à y faire. Faire nombre était la grande idée de Delors ; pour faire une Union européenne, qui se voulait celle de l'industrie et du commerce, on y a fait entrer, sans la moindre réflexion, une série de clampins de tout poil. Delors y avait fait entrer l'Espagne et le Portugal (1986) et mis en œuvre la fameuse intégration européenne de la Grèce dont on a vu les résultats(acquise depuis 1981) ; tout le monde savait qu'elle était frauduleuse, puisque ses comptes, vendus à prix d'or par Goldman-Sachs, étaient totalement falsifiés. Le folklore grec a immortalisé le nom même de Jacques Delors par la tradition des "paquets Delors" (le «  paquet Delors I  » de février 1988 visait, à l'origine, à financer les mesures d’accompagnement du marché unique) ; les milliards donnés par l'Europe, qui arrivaient en Grèce, en repartaient aussitôt pour les paradis fiscaux, la Suisse en particulier 

Bref, Jacques Delors, entre 1985 et fin 1994, a été l'initiateur et le propagandiste de l'incessant élargissement, démentiel et irréfléchi, de l'Europe dont nous payons toutes les conséquences aujourd'hui dans l'Est (avec les PECO ou les Etats baltes) comme dans le Sud (avec les pitreries de l'intégration européenne de Chypre ou de Malte ! On attend encore avec impatience celle du Vatican qui ne serait pas la pire). Notre malheur n'est sans doute pas fini puisque la grande négociation actuelle, on le sait, est celle de l'entrée de l'Ukraine qui a donné toutes les garanties du côté de la démocratie qu'on exigeait préalablement d'elle, avec l'affaire Timochenko! Le problème n'est d'ailleurs pas seulement là, car l'Ukraine n'est pas Malte et ses 46 millions d'habitants nous préparent des lendemains qui chantent et les Ukrainiens  vont sans doute, pour partie, venir s'ajouter au déferlement oriental. Nous sommes d'autant moins sortis de l'auberge européenne que c'est aussi à ce bon Monsieur Delors que nous devons l'espace Schengen dont nous subissons aujourd'hui toutes les conséquences.

Sur un autre plan, l'Europe, de façon plus ou moins directe, est devenue une sorte de maison de retraite spirituelle pour ceux qui rêvent, comme Giscard et Delors bien entendu au premier chef, de la gloire des Jean Monnet et Robert Schuman ; ils songent même désormais au Panthéon, même s'il est trop tard pour eux de songer à changer de sexe pour passer devant les autres ! L'Europe est une sinécure pour certains autres, beaucoup plus jeunes et assez malins qui pour s'en faire une, comme ce brave Romano Prodi, grand apôtre actuel de l'intégration de l'Ukraine mais qui, il faut bien le dire, est un bambin à côté des deux autres avec ses 75 ans. C'est sans doute ce qui lui permet de jouer à la fois la carte du Sahel (avec l'ONU) et celle de l'Ukraine (du côté de l'UE).

Le plus remarquable de tout cela est que ces bons vieillards semblent vivre davantage dans le passé que dans le présent et moins encore dans l'avenir, ce que l'on comprend ; le principal mérite de l'UE aux yeux de Giscard est qu'elle « a rétabli la paix sur notre continent », ce qui est, pour le moins, faire bon marché de feue la Yougoslavie ; quand on lui fait observer que les Européens "n'aiment pas l'Europe", ce qui est bien normal après tout puisqu'elle apparaît sans cesse comme un cerbère sourcilleux et tatillon, plus préoccupé de l'épaisseur des tranches de mortadelle ou du pourcentage de cacao dans le chocolat que de l'harmonisation des régimes fiscaux ou sociaux des Etats membres, il n'en croit rien, car il n'en retire, lui, que des bienfaits, des invitations et des honneurs ! Il persiste donc à croire, contre toutes les évidences, que la majorité des Européens est aussi optimiste que lui.

Quant à Jacques Delors (ce syndicaliste de gauche farouche qui mettait sa petite Martine à l'école au « Collège privé Notre-Dame-des-Oiseaux », rue Michel Ange), il persiste dans ses contradictions et ses utopies, mais je pense que ses économies comme ses retraites, diverses et multiples, le mettent à l'abri des calamités financières qui frappent la majorité des pauvres Européens. En tout cas, il est clair qu'il n'a aucune conscience des sottises qu'il a pu commettre et du caractère fâcheux de leurs conséquences que nous subissons chaque jour.

Apparemment à Bruxelles, on leur a épargné les tomates et les oeufs punais qu'on pouvait craindre et qu'ils méritaient. Ils ont pu, une dernière fois peut-être, jouir avec délices de tous les honneurs, descendre de leur limousine, se faire tirer le portrait (on prépare les "nécros"), signer des autographes et serrer des louches. Heureux vieillards !
 Les choses seront sans doute moins gaies pour ces nonagénaires, grands admirateurs d'une Europe dont ils se jugent les pères fondateurs, alors que les élections qui se profilent pour le printemps amèneront sans doute au parlement de Strasbourg une majorité d'anti-européens ; la chose leur pend au nez mais ils ne le voient pas, car ils ne sont pas plus clairvoyants aujourd'hui qu'ils ne l'ont été dans le passé.

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