Je
continue à publier ces mêmes billets dans blogspot.com, pour des lecteurs anciens
habitués à cette adresse (nouvelles persaneries sous le pseudonyme d’Usbek),
car ils peuvent, sans problème, y enregistrer des commentaires, ce que le
système Mediapart refuse aux non-abonnés (ce qui, je l’ai déjà dit, est stupide
et contre-productif). Bref j’ai deux commentaires (intéressants et informés
comme toujours) d’Expat qui vit à Saint-Petersbourg. Je les reproduis donc ici.
« Il
est effectivement difficile de distinguer un Hutu d'un Tutsi parce que ça n'a
aucune pertinence.
C'est
une situation sociale qui a été transformée, par les Allemands d'abord puis par
les Belges ensuite en situation ethnique, cette transformation, au passage
ayant eu la conséquence, et c'est lourd de sens pour l’avenir, de figer la
situation sociale. Tandis que le passage de l'un ou l'autre groupe était
auparavant possible (déclassement dans le sens Tutsi-Hutu et promotion sociale
dans l'autre sens), l'ethnicisation a rendu cela impossible.
Si
des différences physiques étaient peut-être observables à une époque, elles
étaient dues à des modes de vie différents et notamment une alimentation qui
n'était pas la même, entre des éleveurs et des agriculteurs, entre des gens
occupant des positions sociales élevées et des gens "du peuple".
C'est un peu comme si des étrangers étaient venus coloniser la France du 18ème
siècle et avaient trouvé que les nobles avaient bien meilleure allure que les
paysans et avaient décidé que naturellement existait une race des nobles
supérieure et une race des croquants inférieure, ou, un siècle plus tard,
créant la race des bourgeois supérieure à celle des ouvriers inférieure.
Le
grand drame est que parmi cette population de la région beaucoup ont
intériorisé cette classification arbitraire issue des lubies racialistes
européennes de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. Ce qui nous ramène
à ce principe décrit par un sociologue américain du début du 20ème siècle
(Thomas): quand une chose est perçue comme réelle elle devient réelle dans ses
conséquences ».
Cette
dernière formule m’en rappelle une autre, dans un domaine différent mais dont
j’ai souvent observé les effets : « A force de prêter du pouvoir aux gens, on leur en donne ».
Nouveau commentaire le lendemain pour le billet suivant.
« Cher
Usbek,
Je
vous suggère ce texte et la vidéo qui l'accompagne et qui défendent une thèse
bien éloignée de ce qu'on entend habituellement sur le sujet.
Par
contre, je ne crois pas que son auteur soit le bienvenu chez Mediapart.
Sinon,
je ne suis pas d'accord avec vous quand vous qualifiez Staline de génocidaire.
C'est certes un assassin de masse, pas le pire du siècle dernier, mais ayant
dépassé le maitre, mais la disparition physique de populations du fait de leurs
origines ethniques (nationales selon le terme utilisé en URSS), de leur
religion ou de leur appartenance sociale (le terme de koulak est d'ailleurs un
terme passe-partout dans lequel on peut faire entrer qui on veut) [ La fin de la phrase est oubliée ce doit être
à, peu près « n’est pas caractérisée comme génocide » ]. En fait
la terreur stalinienne n'a jamais eu pour but de détruire une population ou des
populations données. D'ailleurs, comme à peu près tout le monde en a été
victime, la thèse inverse n'est guère défendable.
De
fait même pendant les grandes purges, le guépéou/NKVD travaillait par quotas,
ces derniers étant définis au sommet. Les quotas furent dépassés et même
explosés du fait du zèle des responsables locaux qui se tiraient la bourre pour
faire mieux que leurs voisins. La seule chose qui puisse nuancer mon avis est
que les populations à assassiner et à déporter étaient définies selon leurs
origines nationales ou professionnelles. En haut, on parlait d'un complot
polonais par exemple, et, comme par hasard, les organes trouvaient plein de
Polonais qui complotaient contre le régime. Mais après c'étaient les Allemands,
ou les Baltes. Tout le monde y avait droit.
Et
ce furent aussi en plus des nationalités, des professions qui trinquèrent, un
coup les ingénieurs, un coup les généraux, et en fait n'importe quel groupe
qu'il soit constitué ou non. Le but était évidemment que personne ne se sente
en sécurité, et même pas les membres des organes chargés de la répression qui
régulièrement passaient aussi à la trappe, et pas non plus les hauts
dignitaires du régime. Les frappes tous azimuts semblent donc exclure le
caractère génocidaire de l'entreprise, le nombre de victimes n'entrant pas en
ligne de compte dans la caractérisation d’un génocide.
Trois remarques sur ces commentaires.
1. Staline ne serait pas un « génocidaire » du seul
fait que ses multiples exterminations massives n’entrent pas dans la définition
du « génocide » tel que l’a établie l’ONU en 1948. C’est bien la
moindre des choses puisque cette définition a été précisément et exactement
choisie à cette fin pour mettre Staline à l’abri de toute accusation de
cette nature ! S’il en avait été autrement, l’URSS aurait naturellement mis son
veto ! CQFD. Ne pensez-vous pas que, pour ne prendre que quelques exemples
(et il y en a des foules d’autres !), les historiens ont quelques raisons
de parler de « génocide », quitte à braver les lexicographes onusiens
aux ordres de l’URSS en 1948 ? Lisons les donc !
« La
guerre fut l’occasion pour Staline de poursuivre ses opérations génocidaires
avec la déportation de près de 900 000 Allemands de la Volga à l’automne 1941,
de 93 000 Kalmouks du 27 au 30 décembre 1943, de 521 000 Tchétchènes et
Ingouches du 23 au 28 février 1944, de 180 000 Tatars de Crimée du 18 au 20 mai
1944, auxquels s’ajoutent les Grecs, les Bulgares et les Arméniens de Crimée,
ainsi que les Turcs, les Kurdes et les Klemchines du Caucase ». Stéphanie
Courtois, 22/2/2003.
2.
Sur les « koulaks » ; je me garderai de discuter votre remarque
sur le fond ; là encore je me réfère à S. Courtois : « La guerre
contre la paysannerie accompagna la collectivisation forcée des années
1929-1933, avec le slogan lancé par Staline : « Liquidons les koulaks
en tant que classe ». Le « koulak » désignait celui qui
manifestait la moindre opposition à la collectivisation, forme modernisée du
servage. En 1930-1931, environ 30 000 « koulaks » furent fusillés, 1
680 000 déportés avec leurs familles, pendant que 1 million d’autres fuyaient
leur village et que 2 millions étaient exilés dans d’autres régions. Puis de
l’été 1932 au printemps 1933, ce fut la grande famine organisée contre la
paysannerie ukrainienne en décrétant la réquisition par l’État de l’ensemble
des récoltes, en envoyant des dizaines de milliers de commandos communistes
s’emparer par la force de l’ultime ravitaillement des récalcitrants, Staline a
provoqué un véritable génocide de classe et d’ethnie, entraînant la mort de 5 à
6 millions de personnes en neuf mois. »S. Courtois, 22/2/2003.
Me
3.
Dernière remarque d’un tout autre ordre.
En
1944, pour punir les Tatars de Crimée de leur « collaboration » avec
les Allemands (ce qui est une preuve d’humour de la part du signataire du pacte
germano-soviétique !), Staline ordonne leur déportation. La faim, la soif et les maladies, causent de la moitié la
mort de la population déportée. On a tenté d'évaluer plus précisément les
conséquences démographiques de la déportation. Selon ces études, 109 956
(46,2 %) sur les 238 500 déportés sont morts entre le 1er
juin 1944 et 1er janvier 1947. Un
mouvement nationaliste de Crimée a demandé que cet exil (le Sürgünlik) soit
reconnu comme un génocide. Que deviendra aujourd’hui cette
demande ?
Mon propos n’est pas là toutefois car on
retombe toujours sur le même problème. Je me demande, en revanche, si Staline
qui se voyait si volontiers, quatre siècle plus tard, en Ivan le Terrible de la
Russie moderne, n’a pas voulu, à son tour et à sa manière, vaincre les
Tatars !
Demain,
car je suis déjà long, le texte de B. Lugan. fort intéressant !
1 commentaire:
Cher Usbek,
je me dois de faire quelques remarques, même si globalement nous ne sommes pas en désaccord quant au degré de criminalité de Staline.
Nos divergences reposent essentiellement sur la possible application du terme de génocide ou plutôt génocides aux crimes staliniens.
Le fait déjà que j'emploie le pluriel marque déjà une certaine ambiguïté. Vos sources, incontestables par ailleurs, indiquent clairement que "beaucoup de monde" fut la cible de ces crimes. Et encore ne citent-elles pas tout le monde comme l'indiquent les chiffres cités et qui additionnés demeurent encore bien loin du compte.
Dans mon commentaire j'ai tenté de démontrer l'arbitraire des purges. On sélectionne une population mais sans que cela ait un aspect idéologique. Il n'y a pas de théorie raciale sous-jacente. On invente une menace et on trouve des coupables qui collent à la définition de la menace, avant d'en inventer une autre, et ainsi de suite.
Ce qui me parait e outre déterminant pour écarter la définition de génocide aux crimes staliniens est le traitement indifférencié des victimes. Qu'elles soient russes, allemandes, baltes,polonaises, tatares, coréenne, grecques, ..., c'est exactement le même processus qui leur est appliqué. Une partie est exécutée, une partie est envoyée au goulag où les traitements ne sont pas différenciés, et une autre exilée en Sibérie. c'est toujours le même processus, avec effectivement beaucoup de victimes, dès le début, lors des transports, et ensuite car peu ressortent vivants du goulag. Ceux qui en réchappent sont ensuite condamnés à la relégation.Ce que je veux dire c'est qu'on désigne des ennemis en fonction de critères nationaux ou sociaux, mais qu'ensuite ces critères s'effacent. Il n'y a que les droits communs qui échappent au sort funeste de la masse des victimes de Staline. On est dans tout ce processus très éloigné des crimes de masse nazis.
Je ne peux pas développer davantage car ça serait trop long, mais je crois que les différences de buts et de processus éloignent les crimes staliniens d'un caractère génocidaire appliqué aux crimes nazis contre les juifs. Il n'y a pas d'équivalent des juifs pour les soviétiques. Bien sûr la notion de crime contre l'humanité trouve tout son sens ici.
Je voudrais faire également une remarque sur ce qu'on appelle l'holodomor, donc la famine "planifiée" en Ukraine. De fait le phénomène ne touche pas uniquement les Ukrainiens, les Kazakhs notamment furent également sévèrement touchés, et est davantage le résultat d'un processus politico-économique que d'une volonté d'exterminer une population en raison de ses caractéristiques. Le choix est fait par Staline d'industrialiser le pays. Il lui faut donc des devises pour acheter des machines-outils et il choisit donc d'exporter des céréales alors que la population crève déjà de faim. En même temps il faut nourrir les villes. D'où ces réquisitions démentes dont les conséquences sont connues et assumées, notamment quand on en vient à réquisitionner même les semences, ce qui implique évidemment une catastrophe mais dont Staline se moque éperdument.Il n'y a pas volonté préalable d'exterminer une population, mais s'il fait passer par là pour atteindre ses objectifs, on n'hésite pas.
C'est ainsi que raisonne Staline, ce qui en fait quelqu'un d'extrêmement dangereux, peut-être davantage qu'Hitler parce qu'imprévisible. Disons que personne sous Staline n'est à l'abri, même pas sa famille, même pas ses enfants.Il rejoint donc effectivement Ivan de Terrible dans la seconde phase du règne de ce dernier, après la mort de sa femme.
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