Je ne suis en rien spécialiste du Rwanda comme je l’ai dit et je n'ai aucune intention d'apporter sur cette question, ni des éléments nouveaux (sauf peut-être un, de toute façon bien antérieur à 1994), ni une vision tout à fait originale. Il ne manque pas actuellement de textes intéressants sur la question et chacun peut donc se faire une à travers eux une idée des situations fort compliquées qu’on trouve dans cet Etat et qui sont souvent biaisées par les considérations idéologiques des uns et les intérêts des autres. Je me bornerai à quelques remarques personnelles un peu décousues, car je n'ai ni le temps ni le goût d’organiser vraiment ce que j'ai à dire et qui n'est pas suffisamment important pour que je perde trop de temps à le faire.
Monsieur Paul Kagamé est actuellement l'objet d'une révérence et d’une estime qui étonnent quand on regarde d’un peu près quel fut son parcours jusqu’à la présidence de la République du Rwanda. Je ne prends pas parti sur la question de l'attentat contre l'avion présidentiel en 1994, mais j'observe simplement que le premier gouvernement après l'attentat, dit « gouvernement de transition à base élargie » mis en place le 10 juillet 1994, inclut déjà d’emblée comme « ministre de la défense et vice-président », un tout nouveau venu, le major-général Paul Kagamé, FPR, « commandant en chef de l’armée ». Je n'en tire aucune conséquence et me borne au constat de cette arrivée si rapide et de cette présentation un peu étonnante, tout en observant que, pour la première fois, ne figure pas dans la liste, pour chacun des ministres de ce gouvernement, la mention « hutu » ou « tutsi ».
Le Rwanda était souvent désigné, autrefois, comme la « Suisse de l'Afrique », essentiellement à cause de ses activités rurales et de ses paysages de collines, devenues sinistrement connues dans la suite. Si on juge par les descriptions actuelles de Kigali, la Suisse est plutôt devenue Singapour ou Hong Kong et ce soudain enrichissement du pays me paraît tenir moins à un véritable développement qu’au pillage systématique des ressources minières de la République Démocratique du Congo, le pou s’acharnant à manger le lion, fort mal en point il est vrai. J'observe aussi qu'on ne parle guère de cet aspect des choses.
On ne nous informe guère non plus, à propos du clivage Hutu-Tutsi, sur la place de cette question dans l’anthropologie générale de l’Afrique. Edwy Plenel y fait une brève allusion par l’usage, en passant, de l’adjectif « hamitique », mais sans s’y attarder et comme si les choses allaient de soi dans la pensée africaine contemporaine comme on va « l’entrevoir » dans la suite.
« Hamitique » (« chamitique » serait plus clair pour les ignorants comme moi, car comme nom du fils de Noé, Cham est plus courant que Ham pour celui de ses enfants qui serait, selon la catégorisation des peuples selon l’Ancien Testament, l’ancêtre des Noirs, tandis que descendent de Sem, les Sémites et de Japhet les Japhétiques.
Au XIX siècle, certaines théories ont considéré que la « race hamitique » était un sous-groupe de la race caucasienne, qui regroupait, en complément des populations sémites, les populations non sémitiques d'Afrique, ainsi que les Égyptiens anciens La « théorie hamitique » suggérait aussi que la race hamitique était supérieure aux populations noires d'Afrique subsaharienne. Selon ces théories, les Tutsis seraient donc de « race hamitique » (comme les Peuls ou les Masaïs), et les Hutus de « race bantoue ».
En prenant en compte l'histoire, assez récente tout compte fait, de ce clivage "ethnique", on constate qu’il a été repris et conforté, en fait, par la première colonisation européenne qui a été allemande et à laquelle met fin la Guerre de 14-18. Ce clivage qui, auparavant, ne distinguait que des populations d’éleveurs (Tutsis) et de cultivateurs (Hutus) va conduire à une sorte d'apartheid social et éducatif que la colonisation belge a aussi utilisé au Congo. Comme souvent dans les colonisations, le colonisateur privilégie et favorise une minorité dans son occupation d’un pays (comme la France l’avait fait avec les Merinas au détriment des autres à Madagascar par exemple). Il peut ainsi tout en divisant, s’appuyer sur cette minorité pour former, grâce à la scolarisation, les cadres de l'administration coloniale dont il a besoin, ce qui contribue bien entendu à développer des relations d'hostilité entre les deux communautés.
Les Tutsis ayant été les auxiliaires de la colonisation belge, au moment de l'indépendance, la majorité hutue a tout naturellement cherché à s'attribuer une place et un pouvoir qui correspondent à sa supériorité numérique ; elle a donc développé des sentiments d'hostilité et d'agressivité à l'égard de la minorité tutsie qui s'était faite l'agent de la colonisation belge. Cela dit, comme j'ai pu le montrer dans mon précédent billet d'hier et comme me l’ont confirmé des commentaires, on ne peut guère distinguer, en réalité, par des caractères physiques réels les Tutsis des Hutus.
L’indépendance fait émerger le désir de libérer le « petit peuple » hutu de la tutelle des « féodaux » tutsis. Une certaine violence commence à viser ces derniers ; elle conduira même daux massacres, déjà de grande ampleur, commis fin 1963 et début 1964. Jean-Pierre Chrétien note ainsi qu’au début des années 90 : « Sous l'influence d'une faction dirigeante extrémiste hutue, on va clarifier le débat sur un mode exclusivement racial. Autrement dit, on nie l'existence d'un jeu politique complexe entre la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) [largement composée de Tutsis contraints à l'exil], l'opposition intérieure - essentiellement hutue - et le gouvernement du président Habyarimana. Le message devient : "C'est une lutte entre les Hutus et les Tutsis." On voit alors refleurir l'allusion aux "féodaux" venus de l'extérieur ».
Toutefois, quand on resitue cette position spécifique dans une pensée africaine plus générale, on retrouve ici l’idée qui fonde l'idéologie hamitique, comme quoi une partie des populations de l'Afrique ne serait pas la même origine que la majorité. On reconnaît ici la théorie de Cheikh Anta Diop, dont la « pensée » a eu et continue d’avoir une grande influence en Afrique occidentale. En témoignent à la fois le nom actuel de l'université nationale du Sénégal (université Cheikh Anta Diop) et la réputation comme l’influence en Afrique centrale d’un Théophile Obenga, recruté à prix d’or par le Gabon ; ce dernier fut durant plusieurs années le directeur du CICIBA (Centre international des cultures et civilisations bantoues de Libreville) et s'opposa avec constance et vigueur au point de vue de l'historien Jean-Pierre Chrétien, cité ci-dessus. Ces théories, que Cheikh Anta Diop prétendait fonder aussi sur des preuves linguistiques sont des fariboles, comme on le reconnaît aujourd'hui, sur la base d'autres critères scientifiques. Il n'empêche que ces idées ont tenu, dans toutes ces affaires, un rôle qu'on peut pas négliger ou écarter.
Même si on doit reconnaître l'action positive de Paul Kagamé dans divers domaines sociaux, force est de reconnaître que, surtout jusqu'à son arrivée au pouvoir de 1994 (et même bien au delà !), ses méthodes et ses actions ont toujours été largement discutables et fondées sur des pratiques qui relèvent souvent plus des agents de renseignements, voire des terroristes, que des hommes politiques classiques. Quant à la responsabilité partielle de la France, elle est incontestable et, en même temps, explicable, en partie du moins.
Les indépendances des anciennes colonies belges se sont souvent déroulées dans un climat beaucoup moins œcuménique que dans les colonies françaises ; la Belgique a refusé toute politique d'assistance et de coopération dans certains cas, une telle situation n’ayant été, pour la France, que celle de la Guinée de Sékou Touré. La France s’est évidemment engouffrée dans cette brèche politique et a signé des accords de coopération bilatérale avec les nouveaux Etats indépendants, anciennes colonies belges. Il en résulte que la France était tenue, par ces accords, d'apporter, à ces nouveaux Etats, une aide financière, technique, de coopération militaire ou policière et et qu'elle l’a fait sans trop de problème ni d'excès jusqu'au début des années 80.
C'est avec l'élection de François Mitterrand que les choses ont pris un tour plus discutable, semble-t-il en particulier du fait de la présence et de l'action de Jean-Christophe Mitterrand (« Papa m'a dit ») ; il a eu une influence certaine et pas forcément bonne, du fait de ses relations privilégiées avec le fils du président rwandais Jean-Pierre Habyarimana. Comme souvent s'est développée, dès lors, en marge de la coopération française officielle, une coopération discrète, pour ne pas dire secrète, dont Jean-Christophe Mitterrand était l'artisan et le maître d’oeuvre.
Thérèse Pujolle, de convictions socialistes, nommée en 1981 chef de la mission de coopération civile à Kigali, « témoigne des violations des droits de l’homme commises par le régime Habyarimana et constate l’accueil particulier réservé à Jean-Christophe Mitterrand lorsqu’il vient en visite privée au Rwanda ». Son administration la somme alors, contre toute attente, de se taire, (dans ses notes et non en public bien entendu), même alors que Juvénal Habyarimana se voit réélu avec 99,8 % des suffrages! La coopération et l’assistance militaire se renforcent sans cesse, très au-delà de l’accord de 1975, en dépit des conseils de prudence que prodigue Th. Pujolle, à qui on enjoint à nouveau de « se taire ». « Les droits de l' homme ne vous regardent pas. Faites du
développement », lui ordonne-t-on sans détour.
Cette même année 1983, Jean-Christophe Mitterrand se rend en visite privée au
Rwanda. Thérèse Pujolle raconte : « C'était incroyable, il avait un
hélicoptère à sa disposition pour aller en safari photo. Le gendarme de la
coopération a protesté, il a perdu. Chaque fois que Jean-Christophe
Mitterrand débarquait, quinze Mercedes l'attendaient. » On devine que Thérèse Pujolle verra vite son séjour prendre fin bientôt. En 1984, elle quitte Kigali après avoir rédigé un rapport au titre prémonitoire « La nuit rwandaise s’épaissit » Ce texte restera inconnu !
L'intervention dans ces domaines du capitaine Barril marque une nouvelle étape supplémentaire dans le développement de cette diplomatie que marquent des actions de coopération plus ou moins secrètes mais effectives, qui contribuent naturellement à fonder l'accusation faite aujourd'hui à la France d'avoir coopéré à la préparation d'une cible atteinte beaucoup plus tard, au terme de cette période. Si l’on ajoute à ces incertitudes et à ses mystères, l'opposition qui s'est développée récemment entre les magistrats français chargés d'enquêter sur cette affaireet leur prédécesseur, on comprend que les choses ne sont pas simples. On vient d'ailleurs d'avoir, pour la première fois, le jugement d'un « génocidaire » rwandais ; une cellule spécialisée de plusieurs magistrats été mise en place en France, ce qui est un peu étonnant pour le contribuable de base que je suis et qui a souvent eu à souffrir des lenteurs extravagantes de notre justice, attribuées toujours au manque de personnel et de moyens ! Il me semble que si un génocidaire rwandais avéré est arrêté sur le territoire national français, la solution raisonnable est de le remettre aux autorités rwandaises, sans avoir à se préoccuper du sort qui lui est réservé et sans faire venir à grands frais des témoins non francophones pour les entendre sur des faits vieux de vingt ans !
J'écoutais l'autre jour un de nos archéo-journaliste (Serge July en la circonstance 75 balais aux fraises qu’il semble quelque peu sucrer) faire un "édito" sur cette question du Rwanda, à laquelle il ne paraît pas entendre grand-chose, mais en limitant son propos, par prudence, à l'usage du terme « génocide » qui a été fixé dans des limites très précises par l'organisation des Nations unies en 1948. Selon cette définition, il n’y a eu, dans notre histoire récente, en tout et pour tout que quatre génocides : les Arméniens, les Juifs, le Rwanda et Sebrenica (de 6000 à 8000 morts !!!!). Serge July, qui n'avait manifestement pas grand-chose à dire sur le fond de l'affaire, s'est borné à un énoncé un peu pesant de ces détails, sans poser la vraie question qui est celle de l'absence notoire du meilleur « génocidaire » du siècle qui est évidemment Staline. Comment a-t-on pu l’oublier ?
Vous aurez compris que le droit de veto dont on disposait et dispose encore l'Union soviétique, puis la Russie, dans les instances de l'ONU, a évidemment suffi à faire exclure de la notion de génocide les « koulaks », les Baltes, les Polonais, les Ukrainiens, les Tatars et tous les autres !
Circulez, y a rien à voir!
2 commentaires:
Cher Usbek,
je vous suggère ce texte et la vidéo qui l'accompagne et qui défendent une thèse bien éloignée de ce qu'on entend habituellement sur le sujet.
Par contre je ne crois pas que son auteur soit le bienvenu chez médiapart.
http://bernardlugan.blogspot.fr/2014/04/rwanda-un-genocide-en-questions.html
Sinon je ne suis pas d'accord avec vous quand vous qualifiez Staline de génocidaire. C'est certes un assassin de masse, d'ailleurs pas le pire du siècle dernier, Mais ayant dépassé le maitre, mais la disparition physique de populations du fait de leurs origines ethniques (nationales selon le terme utilisé en URSS, de leur religion ou de leur appartenance sociale (le terme de koulak est d'ailleurs un terme passe-partout dans lequel on peut faire entrer qui on veut). En fait la terreur stalinienne n'a jamais eu pour but de détruire une population ou des populations données.D'ailleurs comme à peu près tout le monde en a été victime, la thèse inverse n'est guère défendable. Defait même pendant les grandes purges le guépéou/NKVD travaillait par quotas, ces derniers étant définis au sommet. Les quotas furent dépassés et même explosés du fait du zèle des responsables locaux qui se tiraient la bourre pour faire mieux que leurs voisins. La seule chose qui puisse nuancer mon avis est que les populations à assassiner et à déporter étaient définies selon leurs origines nationales ou professionnelles. En haut on parlait d'un complot polonais par exemple, et comme par hasard les organes trouvaient plein de Polonais qui complotaient contre le régimes. Mais après c'étaient les Allemands, ou les Baltes. Tout le monde y avait droit. Et ce furent aussi en plus des nationalités, des professions qui trinquèrent, un coup les ingénieurs, un coup les généraux, et en fait n'importe quel groupe qu'il soit constitué ou non. Le but était évidemment que personne ne se sente en sécurité, et même pas les membres des organes chargés de la répression qui régulièrement passaient aussi à la trappe, et pas non plus les hauts dignitaires du régime. Les frappes tous azimuts semblent donc exclure la caractère génocidaire de l'entreprise, le nombre de victimes n'entrant pas en ligne de compte dans la caractérisation d’un génocide.
Cher Expat,
Merci de vos précieux commentaires que je mettrai demain dans MDP sauf avis contraire de votre part RC
De : Expat
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