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vendredi 4 février 2011

Les dictateurs : "Parce qu'ils le valent bien!"

Chacun a, dans un recoin de sa mémoire, ce bout de dialogue entre Orgon, qui revient au logis, et Dorine, la servante, qui tente de lui donner des nouvelles de sa femme malade, alors qu’Orgon ne soucie que de Tartuffe (Tartuffe, Acte I, scène 4)
« DORINE.
Madame eut avant-hier la fièvre jusqu’au soir,
Avec un mal de tête étrange à concevoir.
ORGON.
Et Tartuffe ?
DORINE.
Tartuffe ? Il se porte à merveille,
Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille ».

Je pensais à cette réplique fameuse et si éclairante en voyant intervenir, sur leurs télévisions nationales respectives, à quelques jours d’intervalle, les présidents Ben Ali et Moubarak.

L’un ét l’autre apparaissaient, comme Tartuffe, « gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille » (le génie de Molière dispense même ici de toute modification orthographique), tandis que leur peuple, dans la rue, criait sa révolte, sa famine et son désespoir !

Il a d’ailleurs fallu ces événements de Tunis et du Caire pour qu’un fait me frappe tout à coup. Plus observateurs que moi, vous l'aviez peut-être déjà noté : Zin Ben Ali et Hosni Moubarak se ressemblent de façon étonnante ! Le vrai physique du dictateur. La conclusion s'impose. La dictature ça conserve ; en tout cas, les dictateurs eux-mêmes, à défaut de leurs opposants!

Ils ne sont assurément pas en si bonne forme par hasard, mais, parce que, comme le disent l'Oréal et Mamie Zinzin, pour faire la réclame de leurs poudres de perlimpinpin : « Ils le valent bien ! ».

Je ne songe pas un instant, vous vous en doutez, à rapprocher nos deux dictateurs de l'une ou l'autre des jeunes beautés, qui ont successivement mis leur ravissant minois à l'appui de cette publicité (ce qui illustre admirablement la déconcertante naïveté des clientes). Il est, en revanche, clair que Ben Ali (75 ans aux dattes) et Moubarak, (83 ans à la floraison des papyrus, même si je suis pas absolument sûr de la date de floraison des papyrus) ne font absolument pas leur âge.

Il y a naturellement des explications immédiates à cette jeunesse prolongée. On la doit sans doute pour une part, au talent et à l’action efficace des maquilleuses des télés nationales tunisienne (où l’on avait commencé, dans le genre, avec Bourguiba) et égyptienne (la tradition remonte bien plus loin encore au pays des momies). Ces maquilleuses me paraissent bien plus expertes que celles de France-Télévision car un Pascal Perrineau (pourtant un habitué de la 5) arbore souvent des emplâtres de rouge à lèvres qui conduisent à douter de ses moeurs, tandis qu’un Michel Roccard, poudré à frimas, prend des allures de Pierrot lunaire, ce qui n’est guère dans son emploi sinon dans son caractère.

Cette résistance à l’âge tient sans doute, pour l’essentiel, à leur condition. La dictature remplit certes d'abord les poches, mais, ce faisant, elle permet aussi de regarnir les joues, de teindre et de repiquer les cheveux. En outre, elle remonte les pommettes et comble les rides par botox interposé. Ajoutez à tout cela une absence à peu près totale de soucis politiques, puisque vous sont acquis les militaires que vous avez eu soin de payer grassement, tandis que le reste de la population crève de faim. Vous avez, en outre, pris la sage précaution de placer famille et proches dans tous les points stratégiques de l’économie et de mettre en coupe réglée toutes les richesses de la nation.

Pour rester dans le registre de Molière que j’évoquais en commençant, mais en passant de Tartuffe au Misanthrope, Zin peut ainsi dire à Hosni :

« Parbleu! je ne vois pas, lorsque je m'examine,
Où prendre aucun sujet d'avoir l'âme chagrine.
[...]
Je crois qu'avec cela, mon cher Hosni, je crois
Qu'on peut, en Tunisie, être content de soi. »

Pourquoi, en cette période troublée où les peuples s’agitent, l’ONU qui ne sait rien faire d'autres que de vaines résolutions, ne réunirait-on pas, quelque part au soleil, tous ces dictateurs passés, présents ou futurs qui branlent dans le manche ? La chose est d'autant plus facile que tous les Etats, de la Côte d’Ivoire à Haïti, en passant par la Tunisie et l’Egypte, ont une vocation touristique affirmée.

On pourrait ainsi non seulement les éloigner des lieux, où ils ont exercé ou exercent parfois encore leurs coupables industries, mais aussi organiser une sorte de Jurassic Park de la dictature (une espèce de Musée Grévin en vrai) et y tenir divereses activités, pour les occuper eux-mêmes comme pour amuser les touristes qui y viendraient. On s’y livrerait ainsi à des jeux de société, dont la nature et les règles seraient naturellement à déterminer.

Pourquoi, par exemple, ne pas à prévoir, entre eux, des jeux de rôles qui leur permettraient d'exercer une dictature, naturellement symbolique et pour rire, sur le reste de la communauté, pour des périodes et des cycles, dont les durées et les enchaîbements seraient également à choisir, chacun devenant à son tout "dictateur des dictateurs" ?

Naturellement ce conseil, toujours aussi judicieux que gratuit, est fourni par Usbek Consulting Inc.Ltd. Il est hélas à craindre qu’il ne soit pas davantage suivi que tous ceux qui l'ont précédé.

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