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dimanche 27 février 2011

Des couvre-chefs et des chefs : réflexion lexico-politique.

Les langues naturelles sont pleines de surprises. La nôtre l'est peut-être plus encore que d'autres car son histoire et son évolution y ont fait converger divers idiomes et que même la relation que le français entretient avec le latin est bien plus riche de surprises qu'on pourrait le croire.

Le latin, qui est à l'origine de notre français, n'était pas en effet celui de Cicéron qui n'a guère survécu, dans la suite, que dans les thèmes latins de nos écoles. Ainsi le nom de la « tête » qui était en latin classique (sermo urbanus) « caput » était, dans le latin populaire (sermo vulgaris), « testa » (à l’origine de notre mot « tête ») terme qui correspondrait, à peu près, à une métaphore qui pourrait être « cafetière » ou, dans des comparaisons plus exotiques, « calebasse » « citron » ou « coco ». Il en résulte que le terme français « chef », lui directement issu par simple évolution phonétique de « caput » qui apparaît sous cette forme et avec ce sens à la fin du IXème siècle, n’a pas gardé longtemps sa place et son sens premier puisque l’évolution vers le sens moderne de « celui qui dirige ou commande » se note dès le XIIème siècle. La langue n’a plus guère de trace du sens premier, sauf dans une expression archaïque comme « branler du chef ». « Chef » a toutefois pu conserver sa signification originelle, sans qu’on le perçoive comme tel, dans le mot « couvre-chef », qui, s’il est ancien dans la langue (il apparaît dès le XIIIème siècle pour désigner alors la partie d’un vêtement dont on se couvre la tête) ne désignera l’accessoire adapté à cette fin exclusive, le chapeau (où l’on retrouve bien sûr le radical issu de « caput »), que vers la fin du XIXème siècle.

Un curieux télescopage sémantique fait que le « couvre-chef » (mot-à-mot « couvre-tête ») redevient, d’une certains façon, l’accessoire vestimentaire qui « couvre le chef du chef » et, par conséquent, le signale comme tel. On pourrait en multiplier les exemples, de la mitre de l’évêque ou de la tiare du pape à la casquette des officiers ou des préfets. Ce n’est pas par hasard si, dans nos sociétés coloniales esclavagistes, le port du chapeau était interdit aux esclaves, ce qui, a l’abolition de l’esclavage, en a tellement généralisé le port par les Noirs que ce trait a persisté jusqu’à la période moderne.

J'ai déjà évoqué dans ce même blog, le spectacle prodigieusement comique qu'à récemment donné Stéphane Hessel, en particulier dans son discours de la place des Grands Hommes (entendre plus modestement Place du Panthéon, ce qui, à y réfléchir un peu, est pourtant une dénomination plus noble), le 18 février 2011. Cet estimable nonagénaire était flanqué, en la circonstance, de la capiteuse Leila Shami, ex-représentante de la Palestine à Paris, revenue tout spécialement de Bruxelles pour participer à cette manifestation organisée par la Ligue des droits de l’homme, des partis de gauche et des associations pro-palestiniennes. Si j'étais plus habile (mais j'ai échoué dans cette entreprise, aujourd'hui même, à de multiples reprises), j'aurais pu orner le présent blog de la photo de ce bon vieillard coiffé de son bonnet phrygien rouge dont on exige désormais le port dans chacune de ses interventions. Voilà un étrange couvre-chef (au sens de coiffure) ! Rarement porté depuis les sans-culottes de la révolution française sauf dans les tableaux de genre comme par notre Marianne des timbres-poste et les pêcheurs nissards, le bonnet phrygien figure-t-il même encore au catalogue des loueurs de déguisements ? On a assurément dû en sortir un de la naphtaline pour persuader cet illustre vieillard de s’en coiffer à chacune de ses interventions.

Veut-on, comme on peut le penser, en faire le futur chef, qui coiffé de ce doublement couvre-chef, conduira une nouvelle expédition en Méditerranée visant à briser le blocus de Gaza ? Il y aurait là une forme discrète de retour aux sources moyen-orientales via la Phrygie d’où nous serait venu ce couvre-chef qui fut celui du beau Pâris! J'ai déjà dit le grotesque de cette mascarade dont Stéphane Hessel, vieillard éminemment respectable par son passé et par sa vigueur intellectuelle, aurait dû avoir la force d'âme de s'épargner le ridicule.

Il faut dire que, dans un genre tout différent, il a eu en cette période agitée, pour ce qui est des couvre-chefs, un redoutable concurrent en la personne de Kadhafi. Je dois accorder à la vérité que Kadhafi a pris beaucoup d'avance dans ce domaine car ce chef a, depuis quatre décennies, couvert son chef de toutes sortes de couvre-chefs qui, pour une bonne part, visaient, d’abord et surtout, à l'établir comme tel.

Si le jeune et fringant lieutenant qu’il fut au départ de sa carrière de chef, à la fin des années 60, ne couvrait guère de couvre-chef ses boucles brunes, le colonel qu'il était rapidement devenu, a vite pris l’habitude de se signaler comme chef par le port de casquettes chamarées dignes d'un général soviétique ou mexicain. Ses fantasmes ultérieurs de panarabisme l’ont conduit plutôt, dans la suite, vers des couvre-chefs plus sobres, d’inspiration globalement religieuse, déclinant sous des formes diverses le paradigme de la calotte islamique (je signale aux honorables visiteurs que je déteste tout autant cet emploi du verbe « décliner » que celui, parfaitement abusif au demeurant, du mot « paradigme », mais il faut bien hurler, au moins de temps en temps, avec les loups, ne serait-ce que pour s’en moquer). Dans ces dernières années, il s'en est donc tenu surtout à ce registre, avec des couvre-chefs dont les couleurs s'harmonisaient en général à celles des rideaux dont il jugeait bon de se ceindre.

Serait-ce son goût insolite pour les tenues de ski bleues dont il s’est parfois vêtu de façon inattendue, compte tenu du climat de la Libye, qui l'a conduit à adopter, tout dernièrement, dans ses plus récentes apparitions, de casquettes à oreilles plus convenables sur les sommets neigeux ou dans les solitudes glacées du Grand Nord qu’en Afrique? On s’interroge d’autant plus à ce propos que tout ce qu'on dit à son propos, depuis une semaine, devrait pourtant lui tenir chaud aux oreilles et il n'aurait pas dû avoir besoin de se les couvrir ainsi.

Autant dire que, par un juste retour des choses, le couvre-chef signale de plus en plus le chef aux yeux des peuples et je pourrais donner bien d'autres exemples que ceux de Stéphane Hessel et de Kadhafi, car le vaste espace qui sépare ces deux cas laisse place à un grand nombre de variétés intermédiaires, tant de couvre-chefs que de chefs.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

j avoue que le latin du peuple m interesse et je me demande comment en trouver un dictionnaire sur internet ?????
INTERESSANT VOTRE ARTICLE!
olivier

Anonyme a dit…

Cher Olivier
Vous pouvez voir, sans doute dans internet, le livre de Rohlfs, G. - "Sermo vulgaris Latinus"
chez Max Niemeyer | 1969 | ISBN-10: 3484500220 | ISBN-13: 978 3484500228 | German/Latin | File type: PDF | 90 pages | 1.79 mb. Ce sont des textes et non un dictionnaire qui a ma connaissance n'existe pas.