Je ne sais pas si vous connaissez ce roman de Chester Himes, L'aveugle au pistolet ? Son titre peut être souvent invoqué tant les modes des actions humaines sont imprévisibles ; en outre on voit souvent tomber entre des mains humaines des armes dont elles ne peuvent guère se servir que comme pourrait le faire un aveugle.
La nouvelle et nième crise du pétrole qui s'esquisse illustre une fois de plus cette vérité, car, comme toujours, si l'on arme des aveugles, c'est nous qui, au bout du bout, paierons les pots cassés, pour tomber d'une métaphore dans une autre.
Les pays producteurs de pétrole, comme les grandes compagnies pétrolières, comme les Etats (et tout particulièrement le nôtre), comme les pompistes et, surtout, les spéculateurs ont dû sabrer le champagne devant les événements de Libye. Ils avaient même dû parier l’apéro entre eux sur la question de savoir si le prochain terrain de chasse serait le Nigéria (favori un moment), la Lybie ou l’Algérie !
Il est pourtant clair qu'on nous prend, une fois de plus, pour des imbéciles puisque la production libyenne ne représente guère que 2 % de la production mondiale, que le niveau des stocks mondiaux est très élevé, que l'arrêt total des approvisionnements libyens pourrait être supporté pendant trois mois sans problème et qu'enfin l'Arabie Saoudite est très facilement en mesure de compenser la baisse voire l'arrêt de la production libyenne par une légère augmentation de sa propre production. On ne doit pas perdre de vue qu’une des fonctions de l’OPEP est surtout de LIMITER la production de chacun de ses Etats-membres
Il n'empêche que les prix à la pompe et les bénéfices fiscaux de l'État, sans parler des profits des compagnies pétrolières, ont déjà bondi, alors qu'il est certain que l'essence ou le gasoil qui sont dans les cuves de nos stations-service y ont été placés bien avant le début des événements de Libye.
On connaît la musique pour avoir déjà été obligé de danser, à de nombreuses reprises, sur de tels airs. Lors de la crise de juillet 2008, le baril de pétrole avait atteint 147 $. Le prix du litre à la raffinerie se situant alors autour de 0,22 € d'euro et l'État se gavant de ses 80 % de taxe, le pékin automobiliste avait vu alors, comme toujours, bondir le prix du carburant à la pompe. En revanche, les prix du pétrole étant retombés dans la suite, on a constaté qu’une baisse d’une dizaine de centimes au prix du litre tandis qu’explosaient les bénéfices de Total et des autres !
C'est reparti pour un tour semble-t-il, et l'Arabie Saoudite, tablant, par prudence et par avance, sur l’énorme accroissement de ses profits lié à l'augmentation du prix du baril, a déjà lâché aujourd’hui même, gentiment (c’est nous qui payons !), pour sa population, 26 milliards de dollars qui seront un efficace contre-feu à toute tentative locale de revendications sociales ou de contestations politiques.
Il est naturellement évident que les événements de Libye ne sont qu'un prétexte et que la flambée des cours est liée, d’abord et surtout, aux spéculations. Soulignerai-je, une fois de plus, la sottise ou la perversité (à moins que cela ne soit une sotte perversité) de Ben Laden (un Saoudien rappelons-le) s'en prenant aux innocentes tours jumelles du World Trade Center au lieu de lancer ses avions sur le New York Mercantile Exchange, le NYMEX, temple de la spéculation pétrolière, où il aurait pu anéantir une bonne partie des spéculateurs du domaine. En une semaine, les spéculateurs à la hausse ont déja gagné près de 20 $ par baril et on a dû fêter la chose dans tous les bars élégants de Manhattan.
Il y a tout de même un petit risque en ce que les traders malvoyants manipulent parfois imprudemment leurs pistolets. Il consiste en ce qu'une hausse des cours trop importante peut entraîner une baisse de la demande mondiale, ce qui pourrait être fâcheux pour ceux qui ont joué la hausse de façon trop forte et conduire à un ralentissement de la croissance de l'économie mondiale donc de la demande de pétrole. Je crois savoir que la technique en usage dans la spéculation consiste à jouer à la fois à la hausse, de façon forte si l'on y croit, et, plus modestement, à la baisse pour limiter la casse éventuelle. De toute façon et dans tous les cas, c’est notre argent qu’ils jouent et, de toute façon, comme on l’a déjà vu, c'est nous qui serons, à terme, les pigeons de l'affaire et les dindons de la farce. Quant aux grandes compagnies pétrolières, elles feront comme toujours exploser leurs bénéfices, quelle que soit l'issue.
Les arguments des écologistes et les hausses des carburants relativement modérées que nous avons connues n'ont pas pour le moment détourné les Français de la « bagnole », comme disait feu Pompidou, qui ne voyait de problème que quand l’essence serait à dix francs, soit un 1,5 euro, le litre ; toutefois cette désaffection pourrait bien finir par se produire si le baril atteint les 200 $ comme certains augures le prédisent.
Ne vous inquiétez pourtant pas trop pour tous ces braves gens car l’aveugle au pistolet ne se tire jamais dessus !
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