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mardi 15 février 2011

Causez "in" (2)

Je cite à nouveau le texte de départ pour vous éviter de revenir au post d’hier :

« Les fonctions régaliennes sont, hélas, impactées par les errements de ceux ou celles qui les exercent et qui n’ont pas été convenablement casté(e)s ; initiées par des incapables, elles sont actées, in fine, sans qu’on ait pris soin de renseigner les questionnaires ad hoc. ».

« INITIER». Ce verbe est systématiquement employé désormais avec un complément d’objet direct NON ANIME (« initier un projet »), alors qu’en français normal il ne peut guère avoir pour objet qu’un animé et, de préférence, un humain (« initier quelqu’un » ; ce verbe a d’ailleurs un usage pronominal courant (« s’initier à quelque chose » qui est logique et confirme le point précédent, s’il en est besoin. Dans les sectes, on initie les nouveau membres, comme autrefois les dames mûres initiaient les jeunes gens aux joies de l’amour. Je ne veux pas vous infliger ici le long article du TLF qui confirme cette vue et je n’en donne donc que de brefs extraits.

"NITIER verbe transitif.
A. RELIG. ANC. Recevoir, admettre (quelqu'un) à la connaissance des mystères, à la participation aux cérémonies secrètes, au nombre des participants au culte d'une divinité. Orphée, qui, ayant été initié aux mystères de ce dieu [Bacchus] en Égypte, transporta ce culte en Béotie (DUPUIS, Orig. cultes, 1798, p. 151) p. 61).
B. P. ext. [En parlant d'une religion, d'une société (secrète), d'une compagnie])
C. Au fig. 1. Révéler (à quelqu'un) les secrets, la connaissance de quelque chose de caché ou d'un savoir ésotérique. 2. Enseigner (à quelqu'un) les rudiments d'un art, d'une science, d'une technique.
Prononc. et Orth. : [inisje], (il) initie [inisi]. Att. ds Ac. dep. 1694."

On ne trouve naturellement, ni dans la littérature (dont le grande majorité des auteurs savent fort heureusement le français) ni dans le TLF, le sens abusif de ce terme (« commencer »), qu’affectionnent nos modernes technocrates ; cet abus de langage est, au demeurant, parfaitement inutile, puisque, comme dans tous les cas que je dénonce ici, notre langue dispose de mots parfaitement adéquats (dans le cas présent « mettre en oeuvre, débuter, entamer, etc. »). Sans doute sont-ils jugés trop « communs » par nos modernes Pères Soupe.

« ACTER »
En français et selon le TLF, le verbe n’est guère que juridique ou vieilli, les deux allant, comme souvent de pair ; le principal, pour ne pas dire le seul talent, de nos «juristes » (ou réputés tels) est de parler soit le français du XVIème siècle, soit le latin, les deux étant aussi mauvais l’un que l’autre en général.

« DROIT
A. [En parlant de procédure ou de protocole] Noter quelque chose dans un protocole, en prendre acte :
1. M. le baron Jomini propose de ne consigner dans les protocoles que les points sur lesquels la conférence sera d'accord et de ne pas acter les divergences.
Conférence de Bruxelles, Journal Officiel, 30 oct. 1874, p. 7275, col. 1 (Littré). [...]
3. Les néologismes en série que je signalais l'autre jour sont plus pernicieux [que des bévues comme vox soli au lieu de vae soli]. On m'avait indiqué acter pour prendre acte et j'en avais fait justice. LANCELOT, Le Temps, 8 sept. 1938.
4. Au début de l'après-midi, M. de Monzie a fait aux journalistes accrédités au ministère de travaux publics la communication suivante : (...) Toutes les questions de détail étant mises au point, un compromis définitif [au sujet du conflit du port de Marseille] sera acté ce soir, sous la signature du ministre. LANCELOT, Le Temps, 13 sept. 1938.
B. Vieilli. Faire un acte (juridique, diplomatique). (BESCH. 1845, DG). ».

On peut noter que plusieurs des fautes que je signale ici semblent prendre leur origine dans la formation juridique de nombre de nos « élites » qui recherchent volontiers, fût-ce à tort, des formulations qu’ils jugent au-delà de l’entendement du petit peuple.

RENSEIGNER
Cette faute est, assurément, l’une de celles qui m’exaspèrent le plus, tant elle est stupide et désormais généralisée ; on la trouve même, en particulier, dans nombre de formulaires administratifs ou officiels, où l’on nous engage à « renseigner » telle ou telle rubrique, ligne ou case.

Point n’est besoin d’avoir recours ici au TLF tant la chose est évidente (« Donner, fournir à quelqu'un des indications, des éclaircissements sur ce qu'il désire savoir d'une personne ou d'une chose »). Le sujet de ce verbe peut être un inanimé quand on dit par exemple que tel détail d’un manuscrit nous « renseigne » sur tel ou tel point.

On « remplit » une rubrique ou une case d’un formulaire ou d’un questionnaire mais on saurait "renseigner" un morceau de papier. La généralisation de ce tour est non seulement stupide mais scandaleuse car les services même de l’Etat se livrent eux-mêmes à ces atteintes à la langue.

AD HOC et IN FINE.
Je jure que je n’ai pas fait exprès d’en venir in fine à « in fine » !

Une remarque générale d’abord en forme d’hommage funèbre, un peu tardif, j’en conviens, à feue (du latin « fatutus ») Jacqueline de Romilly, grande propagandiste des études classiques (ce que je ne suis guère, que Benoît me le pardonne !).

J’ai toujours remarqué que nombre de ceux qui n’ont pas, dans leur jeunesse, sué sur le De viris illustribus ou les discours de Démosthène et, pire encore, sur la morphologie grecque et la latine syntaxe (observez, s’il vous plaît, le joli chiasme !) ont, pour le latin et le grec un amour immodéré. Ainsi, comme récemment un journaliste de France-Infos, adorent-ils le mot « aéropage » pour qualifier une assemblée choisie, alors que c’est en fait un « aréopage » (du grec araiopagos), le terme étant le plus souvent victime d’une collision « paronymique » (et non paroxystique) avec l’aéroplane ou l’aéroport. Il est vrai que, sur la même radio, un autre journaliste se avouait « obnibulé », dans un discours ou voisinaient les « z’heurts » et les « z’handicapés » !

« Ad hoc » (rien à voir avec le Capitaine et ses « anacoluthes ») est plus courant et assurément moins « in » que « in fine » dont je ne m’explique pas le succès actuel mais récent. Je me demande s’il ne tient pas à un système de prêt bancaire devenu en vogue dans lequel nombre d’apprentis spéculateurs ont laissé des plumes. Je me borne à en citer ici la définition officielle :

« Ce type de prêt a été mis au point pour résoudre les problèmes des investisseurs locatifs. Son principe est simple : pendant la durée du Crédit [notez la majuscule respectueuse du Veau d’Or] vous ne rembourserez que les intérêts. Ainsi le capital emprunté reste intact jusqu'au terme du Crédit [même remarque] et, à l'échéance, vous le remboursez en une seule fois. En augmentant le montant total des intérêts, il présente un avantage d'ordre fiscal et s'adresse aux personnes fortement imposées et qui perçoivent déjà des revenus fonciers ou qui possèdent des liquidités.
Pour solder le capital, vous allez constituer une épargne en versant chaque mois pendant toute la durée du Crédit [toujours la majuscule!] une mensualité sur un produit de placement associé et prévu à cet effet. Cette épargne est nantie en faveur de la banque qui détermine le type de support adéquat (Assurance Vie, ou autre). La banque dispose ainsi d'une garantie réelle puisqu'elle s'assure que l'épargne sera bien destinée au remboursement du capital et que la qualité du support est suffisante ».

Le système « in fine » a surtout, pour la banque, l’avantage de faire DEUX prêts au lieu d’un et d’avoir, toujours et dans tous les cas, sans le moindre risque pour elle, la garantie qu’offre le bien acquis (ça ne vous rappelle rien ?) ; on fait en effet briller aux yeux de celui qui contracte le crédit, la possibilité de gains mirobolants sur des placements qu’on se garde de lui présenter comme spéculatifs. Si la crise arrive et si les spéculations s’effondrent, la banque garde le bien si l’acquéreur n’est pas en mesure de le payer « plein pot », puisque évidemment il a laissé bien des plumes dans l’affaire, lui !

Infelix avis (qu’il soit dindon ou pigeon !). In finis fine.

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