Messages les plus consultés

jeudi 24 février 2011

La fin des ambassades ?

Si j’osais risquer d’offenser les chastes oreilles de Cimabue et de M’ame C, je dirais volontiers, devant la tempête contre les diplomates qui s’est levée dans les médias, pardonnez-moi d'avance l'irrévérence de cette célèbre contrepèterie : « Le vent souffle dans la rue du Quai ».

Le Quai, comme disait Monsieur de Norpois, est en effet dans la tourmente, suite aux récents événements, de Tunisie d’abord, du Mexique ensuite. Après la publication, mercredi 23 février 2011, du « tract » des « ambassadeurs anonymes » (je ne sais pas si cette association existe et si elle a les mêmes finalités que les autres du même genre : « Je suis diplomate mais je me soigne ! ») on dénonçait hier, sur je ne sais quelle radio du matin, le déplorable et scandaleux anonymat, voici qu’aujourd’hui, des ambassadeurs (en retraite ou démissionnaires) sortent de l'ombre et, jetant les masques, dénoncent dans les médias, sous leur nom, la surdité gouvernementale aux notes qu’ils peuvent adresser. La démonstration, pour l'essentiel, concerne la Tunisie et le Mexique et d'anciens ambassadeurs dans ces deux pays se sont faits entendre dans ce débat.

Ambassadeurs « Ferrero rocher » ou ambassadeurs « Têtu » ? (NDLR pour les lecteurs australiens et japonais, Têtu est un magazine qui s’affiche « Gay et lesbien » et le « Ferrero rocher » est une friandise dont la publicité se fonde sur la consommation qu’on en ferait dans les réceptions élégantes de nos ambassades).

Le nouvel ambassadeur de France en Tunisie, s'il n'a pas contribué à rendre son lustre à la fonction, a au moins conduit à reposer le problème qui était autrefois celui qu'affectionnait le regretté Roger Peyrefitte, auteur de La fin des ambassades. En tout cas, on ne peut pas refuser de constater que la photo de Boris Boillon, dans un slip de bain avantageusement moulant, qui a fait le buzz sur la toile, contribue à restituer, dans toute sa séduction juvénile, l’image du « corps diplomatique ». Le risque est toutefois de faire renaître le stéréotype peyrefittien de « la diplomatie des bains et des piscines » !

Sans qu'on n'y prête tellement attention, l’affaire Wikileaks a rétabli une forme de vérité sur les réalités du discours diplomatique, de la France comme des autres Etats. Il y a probablement, partout et toujours, un écart sensible entre des notes confidentielles à usage interne, souvent verbales même si elles sont écrites, rédigées par les services diplomatiques français dans un Etat et le discours officiel et/ou public de ces mêmes services. La chose est à peu près inévitable et universelle.

Je pense toutefois, par une expérience assez diverse et déjà longue, que les services diplomatiques français (les seuls auxquels j'ai eu affaire) n'ont pas toujours, avec le pays où ils séjournent, le contact direct qu'on pourrait attendre de leur part, ne serait-ce que faute d’une pratique linguistique courante qui pourrait leur permettre, réellement, des échanges directs avec n'importe quel citoyen de ce pays. Peu de diplomates français en poste en Hongrie parlent hongrois (je reconnais que ce cas n'est pas le plus facile) ou, pour prendre un exemple moins spécifique, parlent le créole local dans un pays comme Haïti, où plus de 90 % de la population n'a pourtant aucun autre moyen de communication linguistique. Il en résulte que, même si un diplomate français en poste à Port-au-Prince a des contacts, multiples et fréquents, avec des Haïtiens, il ne peut les avoir, inévitablement, qu'avec la petite frange francophone qui nécessairement appartient à une classe sociale très particulière (la bourgeoisie ou l'aristocratie), dont les propos ne reflètent pas forcément les idées et les préoccupations du reste, extrêmement majoritaire, de la population du pays.

Dans d'autres cas, j'ai pu observer que les diplomates ont une tendance forte à se réunir d’abord et surtout entre eux, quand il s'agit de festivités internationales locales ; s'il s'agit, en revanche, de réceptions à l'ambassade de France, on y retrouve toujours les mêmes nationaux et nos services n’ont de contacts qu'avec une fraction très réduite de la population nationale, généralement francophone et qui, donc, ne reflètent que, de façon très lointaine, approximative et souvent biaisée, les points de vue de l'ensemble national. Dans des pays de l'Europe centrale et orientale (PECO), j'ai pu, par exemple, constater que l’information de nos diplomates venait largement d’une minorité infime d'intellectuels francophones (friands, bien sûr, d’invitations voire de breloques) ou de responsables ou membres d'associations de professeurs de français qui s'employaient à persuader nos services que la masse de la population bulgare, lettone ou polonaise aspirait, de toutes ses forces, à la francophonie voire à la francophilie. MDR !

Quand on voit que la fortune diplomatique d’un Boris Boillon tient pour l'essentiel à ce qu'il était capable de parler arabe, on comprend qu'on est très loin de l'époque où l’on a mis en place l'ancêtre de l'INALCO actuel pour la formation linguistique de nos diplomates. Ainsi, une grande partie des agents diplomatiques en poste dans les pays arabophones n'a pas, en effet, la moindre connaissance de la langue et de la culture arabes, ce qui entraîne inévitablement des biais fâcheux dans la connaissance qu'ils peuvent avoir du pays où ils se trouvent et, par conséquent, la représentation qu’ils peuvent en donner à Paris.

Pire encore ! Ne parlons même pas au plan scientifique de certains chercheurs « arabisants » de nos institutions scientifiques qui sont spécialisées sur un domaine sans avoir de réelle connaissance de sa langue. On sait que, dans les pays du Sud, pendant très longtemps, les anthropologues français ignoraient souvent totalement les langues des populations qu’ils « étudiaient » et usaient systématiquement d’interprètes et de témoins, allant parfois jusqu’à les faire venir à Paris ! Il est facile de constater qu'il en est tout autrement aux États-Unis, par exemple ; la chose est prouvée par le simple fait que, dans les universités américaines, les départements de linguistique sont presque toujours dans les départements d'anthropologie, ce qui n’est jamais le cas en France.

J'entendais ce matin une formule que j'ai notée tant elle m’a amusé et qui émanait d'un ancien ambassadeur de France au Mexique, à propos de la fameuse affaire Florence Cassez. Je la cite très exactement car je l'ai notée : « Moi, je connais bien les Mexicains, j'ai été ambassadeur au Mexique. ». Défense de rire ! Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit plus haut, mais je pourrais citer ici le cas d'une conseillère culturelle française à Madrid qui avait été affectée à ce poste sans avoir la moindre connaissance de l’espagnol. Il est vrai que c'était lors d'un changement de gouvernement et qu'il fallait bien placer quelque part les membres des cabinets ministériels. Ajoutons que la brièveté et les conditions de séjour des ambassadeurs (rarement durant plus de trois ans) font que, même s'ils en ont le désir, le temps leur manque pour acquérir une vraie connaissance du pays, surtout si, en outre, ils n’en connaissent pas la langue.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bingo, Usbeck, mes oreilles chastes traînent partout hypocritement, ce qui me permet de rire, c'est le cas en vous lisant

Ma mère me disait souvent: il faut être diplomate dans la vie
J'ai longtemps grandi avec cette association d'idée: diplomatie/ silence
Puis devenant plus retors: diplomatie/mensonge ou le moyen de faire avaler une couleuvre
Enfin de toutes les batailles que le Monde m'a donné à voir me reste souvent l'image insolite d'un diplomate s'extrayant des décombres et prenant le fuite

Notre Président n'étant pas diplomate a secoué le cocotier plusieurs fois, car ce qui lui paraît moulinant dans le flou l'exaspère , d'autant que la politique étrangère ne peut plus se flanquer de diplomates à contre sens souvent ou tout simplement oisifs en leurs hôtels particuliers voguant sur les évènements en charentaises
Le groupe Marly signe la fin de l'histoire de ce genre de métier devenu obsolète en nous infligeant encore de quoi nous ridiculiser: les diplomates anonymes
Au café Marly n'avaient pas du boire que de l'eau!

Il parlait de rupture, NS?

Je crois qu'il aura mis 5 ans à défragmenter, espérons qu'il puisse rebâtir, on va l'appeler l'archéologue tant nos invariants de fonctionnements, de strates en strates ont transformé notre République en monolithe
Bien à vous