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mardi 5 juin 2012

Haïti : faut-il une Valérie Pécresse à Haïti ?



Le débat sur l'université en Haïti, qui n'est qu'un aspect du problème général de la situation globale de ce malheureux Etat, est à nouveau alimenté, le 4 juin 2012, par un article du Nouvelliste qui consiste dans une interview du "Docteur Fritz Dorvilier" (Je me demande d'où sort, en Haïti, cette ridicule manie teutonne qui nous épargne encore le "Professeur Docteur"!), auteur d'un ouvrage intitulé La crise haïtienne du développement qui semble être une version destinée au grand public de sa thèse (belge) d'anthropologie. Les vues générales de cet ouvrage qui rappellent, à certains égard, celle si pertinentes de mon ami André-Marcel d'Ans, ne sont pas fausses bien entendu, mais je voudrais ici m'en tenir au problème de l'université.

On sait qu'elle a été fortement éprouvée par le séisme du 12 janvier 2010, aussi bien dans ses établissements privés (l'Université Quisqueya s'est, elle, vite remise de cette épreuve) que dans ses établissements publics, dont le plus éprouvé a été sans aucun doute la Faculté de linguistique appliquée où l'on a compté plus de 200 victimes parmi les étudiants et les professeurs.

Toutefois, cela n'y a pas changé grand-chose au fonctionnement général de l'Université ; les récents et consternants affrontements internes autour de l'élection du recteur et de ses vice-recteurs ont souligné le caractère dérisoire de tels débats dans pareille situation.

Le paradoxe pour Haïti, et il n'est pas mince, est que des facultés comme celle de linguistique appliquée n'ont pas de locaux et ont longtemps fonctionné sous des tentes (je ne sais pas quel est l'état actuel des choses), tandis que, grâce à la République Dominicaine, on a construit un superbe campus à Limonade qui, pour le moment, est totalement vide, faute de moyens et de personnel, mais aussi parce qu'on n'a toujours pas réussi à en définir exactement le statut ni même le nom !

Comme le dit Fritz Dorvilier, pour l'université haïtienne « il faut une réforme structurelle à la fois administrative et pédagogique ». Il faudrait surtout à mon sens que cette université existe dans un projet cohérent et adapté (les meilleurs étudiants haïtiens à Paris viennent y faire de la PHILOSOPHIE!) et qu'elle soit pourvue en premier lieu, dans cette perspective, des moyens et du personnel nécessaires. Il y a sans doute d'excellents enseignants-chercheurs haïtiens dans le monde (j'en connais plusieurs) ; le malheur est qu'ils sont aux États-Unis, au Québec ou en France et non en Haïti.

La politique actuelle de bourses de doctorat ou de "post-docs", suite au séisme de 1012, qui a consisté à donner des bourses pour envoyer de-ci de là à travers le monde de jeunes chercheurs haïtiens est évidemment une stupidité voire un crime car la plupart d'entre eux ne reviendront jamais au pays. Le feraient-ils d'ailleurs (je pense ici aussi au cas très précis d'une jeune linguiste haïtienne qui a soutenu l'an dernier un doctorat en France avec le désir arrêté dès le départ de revenir en Haïti) qu'on s'emploierait à ne pas leur permettre de trouver un poste qui leur permette de rester définitivement et honorablement dans leur patrie. Il est bien plus rémunérateur en effet de jouer les gratte-papiers subalternes pour une ONG que d'enseigner à l'université!

Il s'agit donc non pas d'investir dans la recherche et l'université que de le faire dans une université qui soit en mesure de permettre réellement l'enseignement supérieur et la recherche.

Cette situation me rappelle tout à fait la conclusion du rapport que j'ai fait lors de ma première visite en Haïti, en 1978 ; j'étais alors en mission pour le compte du ministère français des affaires étrangères afin d'évaluer les chances de succès de la réforme Bernard à laquelle la coopération française apportait une aide considérable (1 million de dollars par an et des dizaines de postes d'enseignants coopérants). Au terme de mon séjour j'ai produit un rapport qui a fait quelque bruit dans le landerneau du Quai d'Orsay et probablement en Haïti aussi, car on a dû s'empresser de l'envoyer au ministère de l'éducation haïtien ; j'y avais écrit, d'une façon un peu brutale mais sincère, que pour réformer un système éducatif où qu'il fût, je pensais que la première et indispensable condition était qu'il EXISTAT. On peut faire, pour l'université haïtienne, à quelques notables exceptions près, la même remarque de bon sens !

Fritz Dorvilier, s'il fait un tableau sans concession de l'université haïtienne, me semble avoir des illusions concernant les universités occidentales et particulièrement françaises. Je le cite : « Il faut voir comment les occidentaux plus particulièrement gèrent leurs universités. Il faut savoir ce que représentent quatre années d'études doctorales et l'épreuve psycho-cognitive constitue une soutenance de thèse ». Cette appréciation, en particulier pour ce qui touche la gestion des universités est des plus optimistes, pour ne pas dire totalement erronée.

D'abord pour ce qui concerne le titre de docteur ; j'ai vu dans ma vie une foule d'étudiants échouer (parfois à de multiples reprises) à un concours censé être de même niveau comme l'agrégation ; je n'ai jamais vu personne, s'il s'en donne le temps et la peine, ne pas parvenir à soutenir une thèse de doctorat (quitte, dans quelques cas à la faire faire par un(e) autre!).

L'élection comme président d'une université française résulte d'un jeu complexe où interviennent, en dosages subtils et variables, appartenances politiques, rattachements disciplinaires et affinités syndicales ; inévitablement, la recherche comme l'enseignement universitaire n'y ont guère de place. L'ambition de devenir président d'université ne peut guère être, sauf dans quelques cas exceptionnels, le rêve d'un enseignant-chercheur de grande valeur puisqu'il sait d'avance que, dans ces conditions, il devra renoncer pour cinq ou même désormais dix ans à l'enseignement et à la recherche ; ce faisant, il se place donc fatalement sur une trajectoire administrative et finira probablement dans un ministère ou, au pire, dans un rectorat.

La récente loi Pécresse ou loi LRU qu'on encense sans y rien comprendre, loin d'arranger les choses les a empirées. Pour se les gagner et non sans calcul, V. Pécresse a donné aux présidents d'universités tous les pouvoirs qu'ils voulaient et surtout leur a permis de rester dix ans dans cette fonction, ce qui les écarte, définitivement et à tout jamais, des réalités de l'enseignement et de la science.

Pour en revenir à l'université haïtienne, comme je l'ai dit déjà souvent, le problème n'est pas de la reconstruire mais de la PENSER et de la CONSTRUIRE. Pour cela, il faut évidemment des moyens qu'elle n'a pas mais qui abondent par ailleurs dans une aide internationale qui, comme je l'ai montré dans un précédent blog, retournent pour l'essentiel dans les pays donateurs ou sont confisqués à d'autres fins au lieu de s'investir réellement dans le pays. Le modèle cubain n'est certes pas recommandable à tous les égards, mais, sur ce point au moins, il pourrait inspirer, non pas une inutile réforme mais une véritable réflexion sur la création d'une université nationale.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

«Cette ridicule manie teutonne» d'appeler Docteur quiconque a un doctorat. Dans le cas d'Haïti (et du Québec, quoiqu'elle y soit sans doute moins fréquente), cette habitude me semble plutôt d'origine anglo-américaine.

Il est curieux de noter qu'en gros jusqu'à la fin de la Deuxième (je suis pessimiste!) Guerre mondiale, à Oxbridge être titulaire d'un doctorat était considéré comme relevant d'une influence allemande détestable (voir je ne sais plus quel roman de lord C.P. Snow dont l'action se passe à Cambridge). Une maîtrise (MA) était alors considérée comme suffisante pour enseigner à l'université; or, dans les faits et cela est toujours vrai sauf erreur, quiconque a un diplôme de premier cycle d'Oxbridge peut avoir un MA après un délai de deux ans moyennant certaines conditions minimales (je l'ai vu pendant que j'y étudiais). Il y avait même à mon époque, je ne sais pas si cela existe toujours, la possibilité, pour les étudiants américains qui ont déjà un diplôme de premier cycle (BA), de faire seulement la dernière année du premier cycle à Oxbridge et de se voir décerner une maîtrise.

Cela étant dit, l'encadrement des étudiants à Oxbridge ne se compare évidemment pas à ce qu'il est dans les universités françaises.

Succus