Savez-vous quel est le point commun entre François Hollande et Barak Obama ?
- Ils sont l'un et l'autre les présidents de deux des principaux Etats du monde? Pas du tout, vous n'y êtes pas !
- Ils participent au G8 ? Au G 20 et autres fariboles de la même farine ? Que nenni !
Allez, vous le donnerai-je en mille que vous ne trouveriez pas !
Ils viennent d'entrer, l'un et l'autre, dans l'innombrable kyrielle de gogos qu'on a amenés à Gorée (île minuscule au large de Dakar) pour y visiter la "Maison des esclaves" qui est l'une des fumisteries les plus réussies de l'histoire africaine. Ils n'ont pas à en rougir car les ont précédés en ces lieux Jimmy Carter, Bill Clinton (et Hillary), Georges Bush, le Pape Jean-Paul II et bien d'autres!
Pour ce qui concerne le président Obama, je serai indulgent. Chacun sait que, pour les Américains, le reste du monde n'existe à peu près pas et son histoire moins encore. En plus, il a dû profiter de l'occasion pour se dire qu'il pourrait, du même coup, aller aux obsèques de ce pauvre Mandela et que ça lui éviterait un voyage transatlantique. Bizarrement on ne lui a même pas permis d'aller le saluer sur son lit de souffrances et il est toujours vivant car la CIA n'a pas jugé bon d'épargner un nouveau voyage au président en mettant un terme opportun aux jours de ce pauvre Nelson.
A Soweto, par calcul ou ignorance (je penche plutôt pour la seconde hypothèse), les conseillers d'Obama (à moins que ce ne soit ses "gagmen") lui ont évité le choix difficile entre le xhosa et le zoulou, en lui faisant dire quelques mots en SWAHILI ! Un peu comme si Kennedy, arrivant à Berlin en 1963, avait dit "Ich bin ein Berliner!"...en russe. En effet, le swahili ne figure pas parmi les onze langues officielles (dont neuf langues africaines) de la RSA ! Il ne s'est trompé, après tout, que de quelques milliers de kilomètres!
Il en est, en revanche, tout autrement pour François Hollande dont j'avais cru comprendre qu'avant de se rendre en Afrique et en particulier au Sénégal, il avait consulté quelques savants africains et sénégalais en particulier (Je ne vise pas Ségolène !). Je pensais, en particulier, qu'il avait pu s'adresser, grâce à l'un de ses conseillers, à Mamadou Diouf, professeur à Columbia et spécialiste de l'histoire coloniale à laquelle il a consacré sa thèse. Cela lui aurait sans doute évité de se rendre à Gorée, essentiellement pour y voir la fameuse "Maison des esclaves".
Hélas pour les plus récents de tous les nobles visiteurs qui ont accompli cette visite obligée, ils n'ont pu y bénéficier du spectacle folklorique qu'y a longtemps offert Monsieur Ndiaye (mort en 2009 ) et qui fut, des décennies durant, le guide officiel de cette maison des esclaves.
J. B. (non pas Jean Baptiste mais Joseph Boubacar) Ndiaye mettait beaucoup de cœur et d'imagination dans cette fonction, offrant non seulement le récit de ce lieu de passage mais y mimant la servitude, brandissant avec émotion des chaînes qu'il rangeait soigneusement une fois la visite terminée. On l'aurait presque pris pour un fugitif échappé aux traites ou oublié sur place, mais il parlait un excellent français et son bagout lui venait, en fait comme pour nombre d'autres anciens combattants, de son passé militaire (il avait, dit-on, servi en Indochine sous Bigeard !). Mieux encore, il avait même récemment publié un livre, Il fut un jour à Gorée (2006), où il narre évidemment les mêmes histoires.
La maison des esclaves a incontestablement perdu beaucoup avec la disparition de ce personnage qui, lors de la visite de notre président eut même les honneurs de Canal + et du "Grand Journal" de M. Denisot!
Cette fameuse maison, objet de toutes les curiosités, a été, avec quelque imprudence, classée au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO, qui en propose même une visite « virtuelle" sur internet (dakar.unesco.org/gore). L’UNESCO a joué un rôle très important dans la promotion de ce lieu dit "de mémoire", avec l’aide la fondation "France Libertés" de Danielle Mitterrand. Elle est en effet une étape majeure de la « Route des esclaves », entreprise idéologico-touristique lancée en 1997-1998, et visant à être comparable à la fameuse « Route de la soie ».
Le pot aux roses a toutefois été révélé dès 1996 et l'histoire mérite d'être narrée dans son détail, car il est peu connu, voire caché, et on va voir pourquoi.
Les faits sont établis désormais de façon sûre. Cette maison, contrairement à ce qu’on affirme, n’a nuent été construite au XVIIe siècle par les Hollandais, mais vers 1777-1780 par Anne Colas Pépin, une « signare » ( du portugais senhora,; le mot désigne une jeune femme métisse née de l'union d'une Portugais et d'une femme africaine).
Le pire n’est toutefois pas là. Deux chercheurs de l’IFAN (ancien Institut Français d’Afrique Noire, devenu avec une réinterprétation de sigle, dont la décolonisation offre d’autres exemples, l’Institut Fondamental d’Afrique Noire), Abdoulaye Camara et J.R. De Benoist, auteurs, dans la suite, d'une Histoire de Gorée, publient un article qui établit les faits ci-dessus évoqués et précise même que l’ancienne maison a été détruite depuis la dernière guerre.
Manque de chance, par hasard, les conclusions de ces deux chercheurs sont reprises par le journal Le Monde en décembre 1996. Scandale à Dakar ; Sud Quotidien titre « « Le Monde » renie l’historie de Gorée »! Un ministre historien affirme que « l’histoire de Gorée n’a jamais été remise en question ». Très vite, le ton monte ; on parle naturellement de « révisionnisme » et le débat, de mineur, devient une affaire d’Etat. Fort heureusement, si le Père De Benoist est français, A. Camara est sénégalais, ce qui évite la curée antiraciste et anticolonialiste !
Il est vrai que le moment est peu favorable pour rétablir les faits, puisque c’est précisément celui où, comme on l'a vu, l’UNESCO lance son projet sur « la route des esclaves », dont Gorée est une étape essentielle. Ce haut lieu du tourisme sénégalais reçoit, en moyenne dans l'année, 500 visiteurs par jour et fait marcher dans l'île un petit commerce, qui est à peu près la seule activité de l'île. En effet, Gorée ne peut guère compter sur la survie de la fantomatique « Université des mutants » que Roger Garaudy et L.S. Senghor y ont naguère installée !
Abdoulaye Camara, convoqué devant ses autorités de tutelle, se défend comme il peut et affirme « Je ne suis pas un révisionniste ». Rien n’y fait ; la réprobation est aussi violente qu’unanime, en particulier dans la presse. Le « guide », Boubacar Ndiaye n’y va pas de main morte et déclare : "A côté des négriers, les nazis étaient des enfants de choeur".
Condamnations officielles, lynchage médiatique des coupables, injures, etc., l’IFAN organise, à Saint-Louis du Sénégal, un contre-feu sous la forme d’un séminaire national qui se tient, les 7 et 8 avril 1997, sur le thème « Gorée et la traite transatlantique : mythes et réalités ». Le thème comme le moment semblent bien choisis pour ouvrir un débat scientifique, mais le véritable objet est, en réalité, de contraindre les deux chercheurs à faire publiquement amende honorable. Une phrase du rapport final rédigé par un professeur de l’Université de Dakar a le mérite de la clarté, même si elle étonne sous la plume d’un historien : « Nous sommes donc réunis pour interroger l’Histoire […], non à partir d’une position épistémologique privilégiée, non par amour de la Science et de la Connaissance, mais à partir de notre présent qui est aussi - et qui est essentiellement en l’espèce - la place de Gorée dans notre économie symbolique la plus profonde ». Voilà une formule qui aurait pu plaire, en d’autres temps et lieux, à Jdanov ou à Béria.
Jean Luc Angrand, issu lui-même d’une famille de « signares », publiera en 2006 Céleste ou le temps des signares. Il y confirme qu'il n'y a jamais eu d'esclaves dans la "Maison des esclaves". Cet ouvrage a reçu en décembre 2006 le Prix Robert Cornevin de l'Académie des sciences d'Outre-mer, mais peut-être est-ce un signe de plus de l’existence d’un complot raciste et colonialiste.
Vu la date de construction de ce petit bâtiment, il est donc peu probable qu'on y ait embarqué, comme le prétendait Joseph Boubacar Ndiaye, des millions d'esclaves ! Un autre obstacle, plus évident et moins contestable, est celui de la taille même de cette maison, somme toute modeste, car la structure des appartements et des pièces de l'étage montrent qu'elles n'étaient évidemment pas destinée aux esclaves, mais aux habitants permanents de cette demeure. Les quelques pièces du rez-de-chaussée ne pouvaient donc guère accueillir, comme on le raconte, des dizaines voire des centaines d'esclaves. Les propriétaires d'ailleurs se livraient, semble-t-il, davantage au commerce de la gomme arabique de l'ivoire et de l'or qu'à celui du bois d'ébène !
Le mieux est toutefois assurément la célèbre porte qui, sur l'arrière du bâtiment, donne sur l'océan et qui était l'objet et le théâtre des trémolos de Monsieur Ndiaye ; il y racontait aux visiteurs qu'auraient passé par là les centaines de milliers d'esclaves qu'on embarquait pour les Isles et l'Amérique. La chose est peu vraisemblable, si grande que fut la conviction du narrateur, quand on voit les dimensions très modestes de cette ouverture et surtout l'aspect peu engageant de la côte rocheuse qui ne permettait guère l'accostage des navires négriers. Il est certain que J.B. Ndiaye était la principale attraction du lieu ; comme je n'y suis pas retourné depuis sa mort, je ne puis guère dire qui l'a remplacé et si ses successeurs déploient, dans cette activité narrative, le même talent que lui.
Je crois en tout cas qu'on aurait pu épargner à ces deux derniers présidents, par ailleurs fort occupés à sauver le monde, la visite de ce lieu qui n'est, somme toute, qu'un piège à gogos.
lundi 1 juillet 2013
Gogos à gogo à Gorée
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