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vendredi 5 juillet 2013

Affaire Dossier Bettencourt-Mediapart : Bridoye et le Père Ubu

Chères lectrices, chers lecteurs,

Le titre, quelque peu énigmatique de ce billet, va vous obliger à faire appel à vos souvenirs de lycée et de littérature française. Si les choses n'ont pas changé (je doute fort qu'elles l'aient fait quand je constate le rythme du renouvellement de nos programmes scolaires), on étudie Rabelais en seconde, on avait donc quelque chance d'y rencontrer le juge Bridoye que, dans le Tiers Livre, Panurge va consulter à propos de son mariage éventuel. Ce juge à la particularité de s’en remettre au sort et donc aux dés quand les cas lui semblent difficiles. Qu'on n'aille pas ici me faire un procès pour diffamation, car je ne suis pour rien dans cette critique de la justice dont toute la responsabilité incombe à Rabelais lui-même et qui ne s'en cache pas. Le Père Ubu et sa gidouille sont sans doute moins présents dans nos programmes scolaires, mais il est là, à tous les instants et en tous lieux, dans notre administration et je me suis même demandé parfois si l'être qui hante ainsi ses bureaux n'est pas plutôt un de ses parents, né de l'union incestueuse de la Mère Ubu et du Père Soupe, héros de Messieurs les ronds de cuir, l'œuvre immortelle de Georges Courteline.

La décision de la Cour d'appel de Versailles est la suivante et je rappelle les faits, tels que Mediapart les mentionne, même si vous les connaissez :
"La cour d’appel de Versailles a ordonné à Mediapart, jeudi 4 juillet, de supprimer toute citation des enregistrements de l’affaire Bettencourt. Son arrêt nous interdit, de surcroît, de les mentionner à l’avenir."

Le scandale est, en fait, non dans l'affaire elle-même, mais, au-delà, dans le fonctionnement de notre justice qui est non seulement archaïque mais largement incohérente.

L'archaïsme extravagant de notre système judiciaire se marque tant par d'incontestables signes (depuis le langage prétendument médiéval qu'on y emploie, même s'il ne satisfait en rien les historiens de la langue française jusqu'aux costumes ridicules dont on s'y affuble et auxquels on est si résolument attaché dans cette corporation). Tout cela n'est que comique ; plus grave est l'archaïsme dans les modes de fonctionnement.
La question des enregistrements qui sont au centre de cette affaire illustre parfaitement ce conservatisme forcené. En effet la validité des enregistrements réalisés et qui sont accablants pour le milieu dans lequel ils ont été réalisés, sont considérés comme nuls et non avenus par la justice, dans la mesure où ils ont été réalisés à l'insu de ceux qui s'y sont exprimés. En vertu de ce même principe, on ne devrait jamais condamner, pour quelque forfait qu'il ait commis, un individu qui persiste a déclarer qu'il n'en est pas l'auteur et qu'on aurait vu l'accomplir mais A SON INSU !

Comme je ne suis pas, et en rien, spécialiste de ces questions, j'ai consulté des auteurs plus qualifiés que moi (ce qui n'est pas trop difficile) et j'ai appris ceci sur ce point précis :
"Selon la matière, il est possible d'utiliser un enregistrement comme commencement de preuve. Ainsi, en droit pénal, un enregistrement obtenu, même de manière irrégulière, a une valeur d'"indice de preuve" selon la Cour de cassation (v. notamment cass crim 11 février 1992) ; (la Chambre criminelle a d'ailleurs estimé qu'une infraction commise pour obtenir une preuve était possible en vertu des "nécessités de la défense" (cass crim 11 mai 2004)).
En droit civil, la règle est un peu différente. Un enregistrement est également recevable (art 9 cpc), mais si il est fait à l'insu de la personne, il s'agit d'un procédé déloyal rendant la preuve irrecevable en justice (civ 2ème, 7 oct 2004). De plus, en matière civile, dans certains cas, la loi prévoit certains moyens de preuves obligatoires comme un écrit, rendant dés lors un enregistrement, même autorisé par la personne, totalement inutile."

On constate que, dans la justice américaine, des documents enregistrés dans ces conditions seraient valables, alors qu'ils ne sont pas dans le système français (voir ci-dessus) qui est à cet égard totalement arriéré. Il est en effet désormais parfaitement possible, au plan scientifique et technique, de vérifier et de prouver que des enregistrements n'ont pas été l'objet de manipulations et que le seul grief qu'on peut leur faire est qu'ils ont été obtenus, sans que les intéressés soient au courant de cet enregistrement.

Les dispositions françaises sont évidemment stupides ; dans ce domaine comme dans bien d'autres, il est certain que nous finirons par faire comme les Américains, toujours et en tout ; de la même façon, nous échouons dans notre lutte contre beaucoup d'entreprises criminelles car il est interdit à la police française d'infiltrer les réseaux criminels qu'elle poursuit en vain. A visage découvert, on ne trouve rien, comme en matière fiscale ainsi qu'on le voit chaque jour.

Cette justice, si sourcilleuse par ailleurs, ne semble pas avoir relevé que, devant le juge Gentil, Nicolas Sarkozy a déclaré, semble-t-il, n'avoir été qu'une seule fois chez Madame Liliane Bettencourt, alors qu'il y a des photographies qui le montrent en train d'entrer chez elle dans des costumes différents. Est-il un vrai Fregoli politique changeant de look en une seconde entre deux photos ou ces photographies ont-elles été truquées ? Dans ce dernier cas, il devrait être facile de faire authentifier ou récuser ces photographies par des spécialistes ; la chose est encore beaucoup plus facile que pour des enregistrements.

Et dans l'affaire Cahuzac où les enregistrements téléphoniques sont pris en compte et valides à 60%, J. Cahuzac savait-il qu'il était enregistré et qui l'écoutait et l'enregistrait ? Il faudrait un peu de logique dans tout cela !

Il est clair, en tout cas, que notre justice ultraconservatrice ne prend pas en compte les avancées scientifiques dont la police et la télé font si grand cas. On ne voit pas pourquoi des enregistrements faits à l'insu des locuteurs, ne seraient pas valables en vertu du principe qu'ils attentent à sa vie privée. Quel rapport entre ces deux plans ? Toute enquête, sur qui que ce soit, où que ce soit et pour quoi que ce soit, n'est-elle pas, par principe et au départ même, attentatoire à la vie privée de celui qui en est l'objet ; c'est même grâce à cet attentat que se réalisent en général la découverte et la preuve de la vérité.

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