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samedi 29 juin 2013

Anthropologie ou ethnologie ?


J'avais parcouru, ici même, il y a quelques jours, le 24 juin 2013 sauf erreur de ma part, l'article de Dejan Dimitrijevic (Université Nice Sophia Antipolis) qui concernait l'éventuelle disparition de la mention de licence « ethnologie anthropologie ».

Ce billet n'avait rappelé le débat passionné qui avait eu lieu, il y a bien des années, précisément au moment du choix du nom et de la mise au point de la maquette de cette licence par le groupe d'études techniques (le GET 70) du ministère de l'enseignement supérieur et la recherche dont je faisais alors partie. Le débat avait été très vif entre les partisans de la mention "anthropologie" et ceux de la mention "ethnologie" (cette dernière étant assez clairement une spécificité française) ; on avait pu y mettre un terme qu'en adoptant la mention "ethnologie-anthropologie" (alors que la mention "anthropologie-ethnologie" eût été plus conforme à l'ordre alphabétique habituel en pareils cas).

Fort de cette expérience, je me serais bien gardé d'intervenir dans un débat si important et si éloigné de mes propres compétences, si je n'avais entendu sur France Culture la présentation de l'exposition sur l'ethnologie qui doit se tenir, durant le présent week-end, au Musée du quai Branly. Le pittoresque de la chose était que cette présentation avait été confiée, assez logiquement, au directeur de ce musée qui sans doute, moins par ignorance que par prudence, avait invité un ethnologue, S. Rennesson, chargé de recherches au CNRS, à venir faire la présentation de cette exposition et surtout de l'ethnologie elle-même, ce terme pouvant paraître un peu mystérieux, même aussi des auditeurs de France Culture. L'invité S. Rennesson (membre du Laboratoire d'anthropologie urbaine, ce qui, on va le voir, ne manque pas de sel) a donc exposé, avec un peu difficulté et sans faire mention de son appartenance au dit LA, les finalités de l'ethnologie, tout en nous parlant surtout de ses propres recherches qui portent sur les combats de scarabées en Thaïlande et de grillons en Chine dont il est spécialiste (après avoir renoncé à ses études sur la boxe thaïlandaise).

Je ne reprendrai pas ici ses propos, mais j'ai constaté (et la chose m'a amusé au souvenir des débats passionnés de la commission compétente autour de ces deux termes) que cet ethnologue n'a guère employé, pour désigner sa discipline, que le mot "anthropologie", ce qui est significatif et en tout cas curieux dans la bouche d'un spécialiste des combats asiatiques entre insectes, surtout si l'on se réfère à l'étymologie même du nom de cette discipline.

Il s'est efforcé, non sans passion à défaut de succès, de nous démontrer combien grillons chinois et scarabées thaïlandais, dans leurs joutes, peuvent nous apporter de révélations majeures sur la connaissance de l'âme, de l'esprit et des comportements humains.

La distinction entre les deux termes (anthropologie et ethnologie) me laisse personnellement assez indifférent et je ne vois aucun inconvénient, à la différence des spécialistes de ces disciplines à utiliser l'un et/ou l'autre. Je suis en revanche très frappé, par une spécialité bien française dans ces domaines, qui tient à ce que souvent les anthropo-ethnologues ignorent tout des langues des populations qu'ils prétendent étudier alors qu'aux Etats-Unis, par exemple, la linguistique figure très souvent dans les départements d'anthropologie. Les études sur les grillons ou les scarabées ont le grand avantage d'éviter ce problème !

Faut-il considérer que (et je cite ici le billet) que « la volonté de faire disparaître ce fleuron de la connaissance moderne [entendre ethnologie et anthropologie] ne s'explique" que par la "défiance politique envers tout espace où peut se développer une pensée libre et une conception universelle de l'égalité des individus et des groupes humains" ? Je n'en sais rien et, à vrai dire, j'ai omis, sans doute par paresse, de me poser la question que ne connaissent sans doute que les promoteurs d'une telle mesure.

En revanche, alors qu'on se plaint de la surabondance de disciplines et de la lourdeur des programme dans l'enseignement, je me tapote discrètement le menton (bien entendu à l'insu des ethnologues et des anthropologues) lorsque je lis, dans le billet en question, qu' "une sensibilisation au savoir ethnologique et anthropologique devrait commencer dès l'école primaire" et que "son enseignement devrait s'épanouir progressivement au collège et au lycée".

Le souci corporatiste de trouver des débouchés pour les étudiants de ces disciplines me paraît  logique, mais je reste un peu sceptique sur la solution proposée vu la multiplication et l'encombrement des programmes. La menace sur l'anthropologie-ethnologie ne tiendrait-elle pas seulement ou davantage au manque de débouchés réels et surtout à la nécessité impérieuse de faire des économies au sein du système universitaire.

L'exposition du Quai Branly m'a ramené à l'article que j'avais parcouru distraitement et qui est appuyé par une douzaine d'ethnologues (dont certains sont de mes amis) ; il fait connaître la volonté de "promouvoir cette discipline auprès d'un auditoire beaucoup plus large que son espace d'enseignement académique habituel". Naturellement, on y appelait à la rescousse Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss dont j'avoue que je ne connais personnellement pas les travaux sur les scarabées, mais que j'aurais certainement grand profit à lire, si je parviens à les découvrir.

1 commentaire:

Expat a dit…

J'ai toujours été étonné, et même scandalisé, par ces travaux des socio-biologistes (je ne suis même plus sûr du nom) qui nous expliquent le fonctionnement social humain à partir des scarabées ou des rats (Mon oncle d'Amérique de Laborit).
On est là, à mon avis, dans un charlatanisme à bon marché. Donnez-moi quatre mouches et douze fourmis et je vous explique le fonctionnement du monde.
Sinon sur le métier d'anthropologue et histoire de bien en rire, je ne saurais que vous conseiller la lecture de Nigel Barley avec notamment "un anthropologue en déroute" et ses suites.