Quand dire c'est faire est le titre
français de la traduction, parue en 1970, du livre de John Austin How to do Things with Words publié en
1962 . Le titre français me paraît beaucoup moins parlant (pour l'usage quelque
peu abusif que je veux en faire) que le titre anglo-américain qu'il aurait
mieux valu, à la limite, traduire mot à mot : "Comment faire des choses
avec des mots". Il est curieux que cette théorie dite des "actes de
langage" soit née de la publication en 1962 de conférences, données
quelques années avant par John Austin, car il me semble que ce titre convient bien
davantage aux habitudes françaises qu'aux pratiques américaines, et cela sur
deux plans que j'entends examiner brièvement.
Le débat actuel sur
la "transparence", voulue par notre Président de la République, comme
contre-feu nécessaire à l'affaire Cahuzac et à quelques autres de moindre
importance, me paraît illustrer tout à fait cet aspect. Je n'en donnerai ici
que deux exemples mais qui me paraissent suffisamment probants car ils ne se
limitent pas du tout au seul domaine en cause loin de là.
Pour que les
choses soient plus claires, revenons un peu sur cette question de la
transparence qui s'inscrit dans une quarantaine d'années de notre histoire
administrative.
Selon la formule
célèbre, en France, quand on veut noyer un problème, on crée une commission (le
mot est, je crois, de Clémenceau) ; c'est ainsi que, en juillet 1978, on a créé
la "Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui a pour
objectif de "faciliter et contrôler l'accès des particuliers aux documents
administratifs". Auparavant deux ou trois affaires avaient défrayé la
chronique politico-financière (essentiellement à travers le Canard enchaîné qui, à cette époque,
était la seule source d'informations un peu non-conformistes) dont en
particulier des publications de feuilles d'impôts d'hommes politiques (comme
celle de Chaban-Delmas) ou de PDG (comme le père du diesel Jacques Calvet) qui
avaient donné lieu à procès.
Le curieux de la
chose est que cette CADA n'émettait, notons-le, que des conseils (donnés Dieu sait à qui) et devrait fournir, en principe,
des informations aux citoyens, mais se heurtait, immédiatement et de front, à
un immense tabou administratif français dont personne n'ose parler et dont on
voit une fois de plus, dans l'affaire de la transparence, l'importance capitale
: le secret fiscal.
La CADA était une
commission très générale ; on s'est donc rapproché un peu plus du problème de
la transparence des ressources et des patrimoines des hommes politiques avec la
création, dix ans plus tard, en 1988, d'une nouvelle commission dont le titre
est beaucoup plus précis : Commission pour la transparence financière de la vie
politique.
Cette commission
avait pour fonction d'examiner le patrimoine des élus dont toutefois les
déclarations ne sont pas rendues publiques (toujours le fameux "secret
fiscal") ; ses membres n'ont cessé de se lamenter sur leurs absence de
moyens comme de pouvoirs (l'absence des seconds rendant évidemment inutile
l'octroi des premiers). Quoiqu'inopérante, la loi a été un peu rendue un peu plus
sévère en 2011 puisque les députés qui mentiraient sur leur patrimoine risquent,
depuis ce changement, la privation de leurs droits civiques et une amende de 30.000
euros.
Peut-on espérer
l'évolution attendue de la création, encore en débat, d'une Haute Autorité de
la Transparence, qui remplacera la commission de 1988, modifiés en 2011. De la
Commission à la Haute Autorité, l'escalade verbale est, en tout cas,
incontestable
Cette Haute Autorité,
dont le fonctionnement est encore en discussion, comporte toujours les mêmes
restrictions qui sont destinées, en fait, à en empêcher le fonctionnement,
selon un autre principe français qui est "quand dire c'est ne pas
faire!". Quelques dispositions
évoquées sont particulièrement pittoresques ; ainsi, pour consulter le
patrimoine d'un élu, il faut être soi-même électeur dans la même circonscription,
ce qui est pour le moins étrange, vu que l'un des principes fondamentaux du
droit français est que tous les citoyens doivent être égaux devant la loi. On
pourrait même songer à améliorer le système en réservant ce droit de
consultation par exemple à ceux qui résident dans le même quartier voire dans
la même rue que l'élu et, rêvons un peu, sur le trottoir de gauche en refusant
ce droit de consultation à ceux qui habitent sur le trottoir de droite. La
particularité la plus notable est toutefois que si, moyennant ces conditions
étranges, un citoyen peut consulter la déclaration d'un élu, il lui est
interdit d'en faire état et d'en dévoiler le contenu sous peine d'un an de
prison et de 45 000 € d'amende. Notez-le au passage, il y a là un
châtiment bien plus sévère que celui de l'élu qui ment dans sa propre
déclaration. Le président Hollande, semble-t-il, a du se fâcher pour que, dans
le dispositif nouveau, les citoyens eux-mêmes puissent alerter la Haute Autorité
alors que nombre de membres du groupe PS prétendaient l'interdire et réserver ce
droit à quelques associations qu'il est infiniment plus facile de contrôler via
le jeu des subventions !
Le second point
et c'est celui qui est ici le plus important, car le plus drôle, c'est que,
comme souvent en France et cela me ramène à mon titre, les mots sont plus
importants que les choses. L'un des principaux modes de réforme en France (et
cela explique le foisonnement; aussi absurde que ruineux, des "conseils",
"agences", "offices", "autorités", etc.) consiste
à baptiser la même réalité, sans la supprimer mais en en créant une autre,
d'une façon plus noble, plus solennelle ou plus majestueuse.
Les commissions
étant, depuis Clémenceau, considérées comme des sortes de rites funéraires, on s'est
employé à leur donner d'autres noms qui permettent d'éviter cette fâcheuse référence
historique. Le Front Populaire avait été marqué par les accords Matignon, on a
cherché une référence de droite plus récente. Toutes les réunions, dites de
concertation, furent alors baptisées des « Grenelles » (Grenelle de ceci,
Grenelle de cela, etc…). Le Grenelle de l'écologie porta un coup fatal et
définitif à ce type d'appellation. Notre histoire étant fort riche, on a alors
fait appel aux "États Généraux" qui se sont alors multipliés et qu'on
a mis à toutes les sauces, aussi bien sur l'éducation que l'ultramarin ou toute
autre thématique.
Employer ces
mots pour désigner des choses si différentes ne contribue certes pas à les
faire mais, avant d'entraîner l'usure de ces termes, donne, quelques mois durant
à ces actes politiques un lustre historique illusoire qu'ils ne méritent
généralement pas.
L'appellation à
la mode est désormais la "Haute Autorité" que l'on met également à
toutes les sauces, de la HALDE à la HATT en passant par la HAE (qui remplacera l'AERES), sans qu'elles
se révèlent ni très hautes et moins encore autoritaires.
Comment (faire et/ou
ne pas faire) des choses avec des mots.
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