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mardi 18 juin 2013

Transparence et Haute Autorité : "Quand dire c'est faire".


Quand dire c'est faire est le titre français de la traduction, parue en 1970, du livre de John Austin How to do Things with Words publié en 1962 . Le titre français me paraît beaucoup moins parlant (pour l'usage quelque peu abusif que je veux en faire) que le titre anglo-américain qu'il aurait mieux valu, à la limite, traduire mot à mot : "Comment faire des choses avec des mots". Il est curieux que cette théorie dite des "actes de langage" soit née de la publication en 1962 de conférences, données quelques années avant par John Austin, car il me semble que ce titre convient bien davantage aux habitudes françaises qu'aux pratiques américaines, et cela sur deux plans que j'entends examiner brièvement.

Le débat actuel sur la "transparence", voulue par notre Président de la République, comme contre-feu nécessaire à l'affaire Cahuzac et à quelques autres de moindre importance, me paraît illustrer tout à fait cet aspect. Je n'en donnerai ici que deux exemples mais qui me paraissent suffisamment probants car ils ne se limitent pas du tout au seul domaine en cause loin de là.

Pour que les choses soient plus claires, revenons un peu sur cette question de la transparence qui s'inscrit dans une quarantaine d'années de notre histoire administrative.

Selon la formule célèbre, en France, quand on veut noyer un problème, on crée une commission (le mot est, je crois, de Clémenceau) ; c'est ainsi que, en juillet 1978, on a créé la "Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui a pour objectif de "faciliter et contrôler l'accès des particuliers aux documents administratifs". Auparavant deux ou trois affaires avaient défrayé la chronique politico-financière (essentiellement à travers le Canard enchaîné qui, à cette époque, était la seule source d'informations un peu non-conformistes) dont en particulier des publications de feuilles d'impôts d'hommes politiques (comme celle de Chaban-Delmas) ou de PDG (comme le père du diesel Jacques Calvet) qui avaient donné lieu à procès.

Le curieux de la chose est que cette CADA n'émettait, notons-le, que des conseils (donnés Dieu sait à qui) et devrait fournir, en principe, des informations aux citoyens, mais se heurtait, immédiatement et de front, à un immense tabou administratif français dont personne n'ose parler et dont on voit une fois de plus, dans l'affaire de la transparence, l'importance capitale : le secret fiscal.

La CADA était une commission très générale ; on s'est donc rapproché un peu plus du problème de la transparence des ressources et des patrimoines des hommes politiques avec la création, dix ans plus tard, en 1988, d'une nouvelle commission dont le titre est beaucoup plus précis : Commission pour la transparence financière de la vie politique.

Cette commission avait pour fonction d'examiner le patrimoine des élus dont toutefois les déclarations ne sont pas rendues publiques (toujours le fameux "secret fiscal") ; ses membres n'ont cessé de se lamenter sur leurs absence de moyens comme de pouvoirs (l'absence des seconds rendant évidemment inutile l'octroi des premiers). Quoiqu'inopérante, la loi a été un peu rendue un peu plus sévère en 2011 puisque les députés qui mentiraient sur leur patrimoine risquent, depuis ce changement, la privation de leurs droits civiques et une amende de 30.000 euros.

Peut-on espérer l'évolution attendue de la création, encore en débat, d'une Haute Autorité de la Transparence, qui remplacera la commission de 1988, modifiés en 2011. De la Commission à la Haute Autorité, l'escalade verbale est, en tout cas, incontestable

Cette Haute Autorité, dont le fonctionnement est encore en discussion, comporte toujours les mêmes restrictions qui sont destinées, en fait, à en empêcher le fonctionnement, selon un autre principe français qui est "quand dire c'est ne pas faire!".  Quelques dispositions évoquées sont particulièrement pittoresques ; ainsi, pour consulter le patrimoine d'un élu, il faut être soi-même électeur dans la même circonscription, ce qui est pour le moins étrange, vu que l'un des principes fondamentaux du droit français est que tous les citoyens doivent être égaux devant la loi. On pourrait même songer à améliorer le système en réservant ce droit de consultation par exemple à ceux qui résident dans le même quartier voire dans la même rue que l'élu et, rêvons un peu, sur le trottoir de gauche en refusant ce droit de consultation à ceux qui habitent sur le trottoir de droite. La particularité la plus notable est toutefois que si, moyennant ces conditions étranges, un citoyen peut consulter la déclaration d'un élu, il lui est interdit d'en faire état et d'en dévoiler le contenu sous peine d'un an de prison et de 45 000 € d'amende. Notez-le au passage, il y a là un châtiment bien plus sévère que celui de l'élu qui ment dans sa propre déclaration. Le président Hollande, semble-t-il, a du se fâcher pour que, dans le dispositif nouveau, les citoyens eux-mêmes puissent alerter la Haute Autorité alors que nombre de membres du groupe PS prétendaient l'interdire et réserver ce droit à quelques associations qu'il est infiniment plus facile de contrôler via le jeu des subventions !

Le second point et c'est celui qui est ici le plus important, car le plus drôle, c'est que, comme souvent en France et cela me ramène à mon titre, les mots sont plus importants que les choses. L'un des principaux modes de réforme en France (et cela explique le foisonnement; aussi absurde que ruineux, des "conseils", "agences", "offices", "autorités", etc.) consiste à baptiser la même réalité, sans la supprimer mais en en créant une autre, d'une façon plus noble, plus solennelle ou plus majestueuse.

Les commissions étant, depuis Clémenceau, considérées comme des sortes de rites funéraires, on s'est employé à leur donner d'autres noms qui permettent d'éviter cette fâcheuse référence historique. Le Front Populaire avait été marqué par les accords Matignon, on a cherché une référence de droite plus récente. Toutes les réunions, dites de concertation, furent alors baptisées des « Grenelles » (Grenelle de ceci, Grenelle de cela, etc…). Le Grenelle de l'écologie porta un coup fatal et définitif à ce type d'appellation. Notre histoire étant fort riche, on a alors fait appel aux "États Généraux" qui se sont alors multipliés et qu'on a mis à toutes les sauces, aussi bien sur l'éducation que l'ultramarin ou toute autre thématique.

Employer ces mots pour désigner des choses si différentes ne contribue certes pas à les faire mais, avant d'entraîner l'usure de ces termes, donne, quelques mois durant à ces actes politiques un lustre historique illusoire qu'ils ne méritent généralement pas.

L'appellation à la mode est désormais la "Haute Autorité" que l'on met également à toutes les sauces, de la HALDE à la HATT en passant par la HAE (qui remplacera l'AERES), sans qu'elles se révèlent ni très hautes et moins encore autoritaires.

Comment (faire et/ou ne pas faire) des choses avec des mots.

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