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jeudi 6 juin 2013

Enseignement supérieur et recherche : Lois LRU et ESR ?

 
Ce titre paraît sans doute un peu sibyllin à celles et ceux qui ne sont pas familiers avec les problèmes de l'université et de la recherche et plus précisément avec les nouvelles dispositions en cours d'adoption. La loi sur l'autonomie des universités dite; d'ailleurs à tort, loi LRU, de Valérie Pécresse est en passe d'être remplacée par la loi dite ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) de Madame Geneviève Fioraso, qui a été approuvée, en première lecture, par l'Assemblée nationale et sera prochainement examinée par le Sénat.

Après deux articles assez critiques de Lucie Delaporte dans Mediapart, Monsieur William Rostene, directeur de recherche de classe exceptionnelle à l'INSERM et conseiller auprès du président de l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI), s'y est exprimé à son tour. A lire ce texte, qui émane pourtant d'un auteur particulièrement qualifié (il appartient à la fois à l'un des huit EPST français - établissements publics scientifiques et techniques - et très proche d'une des principales universités scientifiques de France, Paris VI, on s'étonne de voir que ne sont abordés, dans son article, que des aspects relativement subalternes de ce grave problème.

Je dirai, si j'avais à faire un choix simple et clair, que le principal problème de l'enseignement supérieur et de la recherche en France n'est pas celui des emplois et des moyens, mais tient précisément à l'existence de certaines structures et en particulier du CNRS qui est une structure totalement archaïque et inadaptée ; j'avais autrefois suggéré à Monsieur Kourilsky, alors directeur du CNRS et qui interrogeait les directeurs d'équipe, sur l'avenir du CNRS, d'en faire le "Jurassic Park de la science soviétique " puisque à peu près tous les pays du monde qui ont connu cette structure, l'ont désormais supprimée, y compris la Russie et la Chine et que, dans le monde, on ne trouve plus qu'en France cette fantomatique survivance.

La France est en effet le seul pays où l'on recrute, entre 25 et 30 ans (avant 35 ans en tout cas), des chercheurs, déjà spécialisés qui, durant une bonne trentaine d'années, en tant que fonctionnaires de la recherche, seront censés avoir des activités scientifiques dans ce domaine précis (refusant, en général, tout changement dans les orientations de leurs travaux) et à peu près sans aucun contrôle, sauf par eux-mêmes sur la base des rapports qu'ils sont, en principe, chargés de remettre tous les deux ans. Or, la recherche est une activité dont les finalités et les méthodes sont soumises à trop d'évolutions (y compris techniques, économiques et même politiques) pour s'accommoder de structures si sclérosées. Tous les grands pays l'ont compris (je pense en particulier ici aux États-Unis. à l'Allemagne et au Japon) et ils ont créé des institutions dans la fonction majeure est de définir et de financer des champs de recherche, éventuellement nouveaux, dans lesquels viennent s'inscrire, pour des durées limitées et dans des perspectives et des programmes clairement définis, des chercheurs qui ne sont, en rien, des fonctionnaires définitivement installés voire ancrés dans leurs domaines initiaux.

Cette tare congénitale du système français est si évidente que même le précédent gouvernement de droite (s'inspirant des propositions faites autrefois par Claude Allègre, alors ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche dans un gouvernement de gauche dont le rêve secret était de supprimer le CNRS qu'il connaissait mieux que quiconque) a tenté de modifier subrepticement ce système. Faute d'avoir le courage politique de supprimer le CNRS, en versant tout son personnel (30 000 agents) dans l'université, on a alors choisi de l'étouffer en créant des structures destinées à le vider de son contenu, en créant en particulier l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES ) chargée de l'évaluation des chercheurs des universités comme des EPST et surtout l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui disposerait de l'essentiel des crédits scientifiques et les répartirait par des appels d'offres.

Comme j'ai eu l'occasion de l'écrire ailleurs, on retrouve ici la fameuse formule de Britannicus : « J'embrasse mon rival mais c'est pour l'étouffer ». On a en effet tendu à essayer, à travers l'AERES et l'ANR, d'étrangler le CNRS, sans le dire et sans y toucher (on a même continué à y créer des postes !) mais en vidant cette organisation de sa substance et de ses moyens. A la limite, en effet, des chercheurs du CNRS peuvent fort bien choisir de ne pas s'inscrire dans les appels d'offres de l'ANR et rester chez eux à regarder la télévision ou à faire leur jardin. Ajoutons à cela la place qu'ont continué à tenir, dans ces nouveaux organismes, les gros bonnets, professionnels ou syndicaux, des EPST!

En fait; la loi Fioraso ne change pas grand-chose ; elle se borne à tordre un peu le bras des présidents d'université sur lesquels s'était appuyé Valérie Pécresse en répondant d'avance à tous leurs voeux. La principale modification ("Dire c'est faire" !) a consisté à remplacer l'AERES par un Haut conseil de l'évaluation et de la recherche (HCERES) dont les attributions sont vagues et les pouvoirs mal définis.

On ne peut donc que s'étonner que si "le changement, c'est maintenant !", selon la formule désormais bien connue, on n'ait pas mis à profit, aussi bien les assises qui ont précédé cette loi que le rapport qui a été fait par Monsieur Le Déaut (bien timide) pour proposer une formule réellement novatrice qui, en supprimant la principale institution de recherche, le CNRS (dont le personnel pourrait être, sans problème, versé à l'université car l'échelonnement des carrières est exactement identique dans les deux cas) pour mettre en place une véritable agence de la recherche (comme, aux États-Unis ou en Allemagne, dont on a copié fort maladroitement les modèles), dont les moyens auraient été réellement efficacement répartis entre les équipes de recherches universitaires. En effet, faut-il le rappeler, depuis près d'un demi-siècle, tous les enseignants de l'université française sont des enseignants chercheurs, même si on ne leur donne pas toujours les moyens d'accomplir les recherches qu'on attend d'eux?

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