Ce
titre paraît sans doute un peu sibyllin à celles et ceux qui ne sont pas
familiers avec les problèmes de l'université et de la recherche et plus précisément
avec les nouvelles dispositions en cours d'adoption. La loi sur l'autonomie des
universités dite; d'ailleurs à tort, loi LRU, de Valérie Pécresse est en passe
d'être remplacée par la loi dite ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) de
Madame Geneviève Fioraso, qui a été approuvée, en première lecture, par
l'Assemblée nationale et sera prochainement examinée par le Sénat.
Après
deux articles assez critiques de Lucie Delaporte dans Mediapart, Monsieur
William Rostene, directeur de recherche de classe exceptionnelle à l'INSERM et conseiller
auprès du président de l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI), s'y est
exprimé à son tour. A lire ce texte, qui émane pourtant d'un auteur particulièrement
qualifié (il appartient à la fois à l'un des huit EPST français - établissements
publics scientifiques et techniques - et très proche d'une des principales universités
scientifiques de France, Paris VI, on s'étonne de voir que ne sont abordés,
dans son article, que des aspects relativement subalternes de ce grave problème.
Je
dirai, si j'avais à faire un choix simple et clair, que le principal problème
de l'enseignement supérieur et de la recherche en France n'est pas celui des emplois
et des moyens, mais tient précisément à l'existence de certaines structures et
en particulier du CNRS qui est une structure totalement archaïque et inadaptée ;
j'avais autrefois suggéré à Monsieur Kourilsky, alors directeur du CNRS et qui
interrogeait les directeurs d'équipe, sur l'avenir du CNRS, d'en faire le
"Jurassic Park de la science soviétique " puisque à peu près tous les
pays du monde qui ont connu cette structure, l'ont désormais supprimée, y
compris la Russie et la Chine et que, dans le monde, on ne trouve plus qu'en France
cette fantomatique survivance.
La
France est en effet le seul pays où l'on recrute, entre 25 et 30 ans (avant 35
ans en tout cas), des chercheurs, déjà spécialisés qui, durant une bonne
trentaine d'années, en tant que fonctionnaires de la recherche, seront censés avoir
des activités scientifiques dans ce domaine précis (refusant, en général, tout
changement dans les orientations de leurs travaux) et à peu près sans aucun
contrôle, sauf par eux-mêmes sur la base des rapports qu'ils sont, en principe,
chargés de remettre tous les deux ans. Or, la recherche est une activité dont
les finalités et les méthodes sont soumises à trop d'évolutions (y compris techniques,
économiques et même politiques) pour s'accommoder de structures si sclérosées.
Tous les grands pays l'ont compris (je pense en particulier ici aux États-Unis.
à l'Allemagne et au Japon) et ils ont créé des institutions dans la fonction majeure
est de définir et de financer des champs de recherche, éventuellement nouveaux,
dans lesquels viennent s'inscrire, pour des durées limitées et dans des
perspectives et des programmes clairement définis, des chercheurs qui ne sont,
en rien, des fonctionnaires définitivement installés voire ancrés dans leurs
domaines initiaux.
Cette
tare congénitale du système français est si évidente que même le précédent
gouvernement de droite (s'inspirant
des propositions faites autrefois par Claude Allègre, alors ministre de
l'enseignement supérieur et de la recherche dans un gouvernement de gauche dont le rêve secret était de
supprimer le CNRS qu'il connaissait mieux que quiconque) a tenté de modifier subrepticement
ce système. Faute d'avoir le courage politique de supprimer le CNRS, en versant
tout son personnel (30 000 agents) dans l'université, on a alors choisi de
l'étouffer en créant des structures destinées à le vider de son contenu, en créant
en particulier l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement
supérieur (AERES ) chargée de l'évaluation des chercheurs des universités comme
des EPST et surtout l'Agence nationale de la recherche (ANR) qui disposerait de
l'essentiel des crédits scientifiques et les répartirait par des appels
d'offres.
Comme
j'ai eu l'occasion de l'écrire ailleurs, on retrouve ici la fameuse formule de Britannicus : « J'embrasse mon rival mais
c'est pour l'étouffer ». On a en effet tendu à essayer, à travers l'AERES et
l'ANR, d'étrangler le CNRS, sans le dire et sans y toucher (on a même continué à
y créer des postes !) mais en vidant cette organisation de sa substance et de
ses moyens. A la limite, en effet, des chercheurs du CNRS peuvent fort bien
choisir de ne pas s'inscrire dans les appels d'offres de l'ANR et rester chez
eux à regarder la télévision ou à faire leur jardin. Ajoutons à cela la place
qu'ont continué à tenir, dans ces nouveaux organismes, les gros bonnets,
professionnels ou syndicaux, des EPST!
En
fait; la loi Fioraso ne change pas grand-chose ; elle se borne à tordre un peu
le bras des présidents d'université sur lesquels s'était appuyé Valérie
Pécresse en répondant d'avance à tous leurs voeux. La principale modification
("Dire c'est faire" !) a consisté à remplacer l'AERES par un Haut conseil
de l'évaluation et de la recherche (HCERES) dont les attributions sont vagues
et les pouvoirs mal définis.
On
ne peut donc que s'étonner que si "le changement, c'est maintenant !",
selon la formule désormais bien connue, on n'ait pas mis à profit, aussi bien
les assises qui ont précédé cette loi que le rapport qui a été fait par
Monsieur Le Déaut (bien timide) pour proposer une formule réellement novatrice
qui, en supprimant la principale institution de recherche, le CNRS (dont le
personnel pourrait être, sans problème, versé à l'université car l'échelonnement
des carrières est exactement identique dans les deux cas) pour mettre en place une
véritable agence de la recherche (comme, aux États-Unis ou en Allemagne, dont
on a copié fort maladroitement les modèles), dont les moyens auraient été
réellement efficacement répartis entre les équipes de recherches universitaires.
En effet, faut-il le rappeler, depuis près d'un demi-siècle, tous les
enseignants de l'université française sont des enseignants chercheurs, même si on ne leur donne pas toujours les
moyens d'accomplir les recherches qu'on attend d'eux?
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