Messages les plus consultés

mercredi 12 juin 2013

Des primes, des primes...oui mais discrètes (sur l'air de la pub des pâtes Panzani)

Après le mariage gay et en prélude au grand débat sur les retraites, la question des primes dans la fonction publique va devenir un thème central de réflexion, même si elle n'est pour le moment qu'un sujet d'indignation à peine contenue, suite aux révélations qui ont fini par se faire jour dans les médias, après les premières dénégations, à propos des primes en liquide perçues par Monsieur Claude Guéant alors qu'il était au ministère de l'intérieur comme directeur de cabinet.

Le pot-aux-roses n'a été révélé que par les considérables achats en espèces (interdits au delà de 3.000 euros, disposition légale qu'ignorait ce désormais avocat fiscaliste) ; il est ainsi apparu que, de 2002 à 2004, il avait en effet perçu mensuellement 10 000 € de prime, alors que ce type de prime avait disparu début 2002 et que l'origine de ces fonds, remis en mains propres (si l'on peut dire) et en liquide, par prélèvement abusif sur les crédits de frais d'enquêtes, n'étaient pas, semble-t-il, l'objet de déclarations fiscales et, bien entendu, moins encore de prélèvements sociaux.

Il faut dire que cette question des primes dans la fonction publique est un excellent exemple de la façon dont l'État lui-même s'emploie à biaiser, à contourner ou même à violer des règles qu'il a pourtant lui-même fixées, tout en maintenant une large opacité alors qu'il n'a à la bouche que la transparence !

Cela apparaît avec une particulière netteté et pourrait-on dire triplement (versement en liquide, absence de déclaration fiscale, absence de prélèvements sociaux) dans le cas des primes perçues par Monsieur Claude Guéant. On devrait toutefois ajouter, pour éclairer le bon peuple, qu'une telle prime mensuelle doit équivaloir à peu près à 130 % de son traitement mensuel "normal" en tant que fonctionnaire "normal".

En effet, Monsieur Guéant est préfet de son état ; or, à lire les textes, le traitement annuel d'un préfet de classe normale est au minimum de 57.567 euros et, pour un préfet hors classe, il peut atteindre 74.489 euros. Voici le détail pour le "hors échelle G" :  HEG 1 Chevron 1   Index majoré 1501  brut mensuel 6.950,07  annuel brut 83.481

On comprend dès lors que, si les hauts fonctionnaires se précipitent tous, en foule, et dès que possible (et même un peu avant!), pour pantoufler dans l'industrie privée, c'est que les rémunérations des fonctionnaires sont en France infiniment inférieures à celles que peuvent espérer dans le privé des fonctionnaires de ce niveau. En gros le salaire net le plus élevé (hors primes et avantages en nature) que peut percevoir un haut fonctionnaire français est, à la louche, de 8.000 euros par mois. D'où la vogue extravagante du système des primes qui vise à majorer les salaires de base "normaux" de 20 à 60 % selon les propos de Madame Lebranchu chez J.M. Aphatie (RTL, mercredi 12 juin 2013 vers 8 heures 30).

Vu la rigidité pour ne pas dire la sclérose du statut de la fonction publique en France et de la grille des salaires qui a été arrêtés je ne sais trop quand, on ne peut guère toucher ni à cette grille sans l'ébranler toute ni "au point d'indice" à partir duquel sont calculés tous les salaires des fonctionnaires y compris les fonctionnaires hors échelle.
Il faut donc que, dans la haute administration qui est la première concernée et qui a la capacité de le faire, on invente un certain nombre de subterfuges pour majorer ses salaires, sans avoir évidemment à toucher à ceux de la piétaille de la fonction publique.
Ceux qui en sont les principaux bénéficiaires de ce système sont, dit-on, les fonctionnaires du Trésor à Bercy.

Il est bien entendu impossible de dresser un panorama général de ces primes, car, pour certains agents, elles sont liées à l'activité même des services où ils opèrent ; c'est le cas, par exemple, des trésoriers payeurs généraux et des ingénieurs de la direction de l'Equipement qui perçoivent des primes calculées sur le volume des activités ou des affaires des services dont ils ont la responsabilité, sans qu'on sache très exactement quel rapport il y a, par exemple, entre la masse financière que gère un TPG et son activité personnelle et individuelle.

En France, le trésorier-payeur général (TPG) est un haut fonctionnaire du Budget qui agit à la fois comme trésorier, comptable, contrôleur, conseiller économique et financier d'un ressort déterminé ; il est certes soumis, en tant que comptable public à un régime de responsabilité personnelle et pécuniaire, mais cette fonction est l'une des plus rémunératrices de la haute fonction publique, justement du fait qu'elle bénéficie d'une part variable en fonction du montant des transactions financières gérées. Selon la Cour des comptes, le salaire "normal se situe entre 10.000 et 14.000 euros par mois. Toutefois, une vingtaine de TPG ont dépassé les 200.000 euros de salaire annuel en 2006. (Source : journaldunet).

Pour les salaires, les TPG devancent une autre fonction, moins connue mais fort lucrative, celle des conservateurs des hypothèques dont l'opacité de fonctionnement et de rémunération est plus grande encore car la plupart des règlements visant à en définir l’exercice n’ont, pour la plupart, pas été rendus publics (Source IFRAP).

En dehors de ces cas, il existe une foule de primes qui sont calculées soient selon une grille des montants de primes dont voici quelques exemples :
  • Secrétaire      administratif de classe supérieure = 1.768 €
  • Administrateur      civil de 2ème classe  = 2.028 €
  • Chef de      service = 5.445 €
  • Directeur      général, directeur (hors échelle E) = 7.078 €
En fait, nombre de primes sont attribuées tout autrement, un peu à la tête du client et par une négociation qu'on pourrait qualifier d'"entretien entre quat' zyeux". C'est ainsi qu'un conseiller spécial de N. Sarkozy (sans titre particulier mais nommé sur le tard conseiller à la Cour des comptes) était réputé percevoir (sans prendre en compte les avantages en nature multiples) une rémunération mensuelle de 14 ou 15 000 €, c'est-à-dire égale au double de celle qu'aurait pu lui assurer son rang dans la fonction publique.

On a essayé, au cours des dernières années, de parler de "primes au mérite" (forme d'achat à tempérament de certains comme les présidents d'universités) pour essayer de justifier ce genre d'entorses graves aux règles de l'État ; des esprits mal intentionnés pourraient même dire qu'à travers tout ce système, l'État ne pratique pas autre chose que ce qu'il pourchasse ailleurs c'est-à-dire "le travail au noir" et les "rémunérations dissimulées" qui ne sont même pas toujours fiscalement déclarés et, en tout cas, ne font jamais l'objet de prélèvements sociaux.

Cette question des "primes" des fonctionnaires, même si on s'exprime avec beaucoup de flou et de prudence à son sujet, pour ne pas dévoiler au bon peuple les combines de la haute fonction publique, va inévitablement resurgir à l'occasion de la discussion sur les retraites. Le leitmotiv de nombreux fonctionnaires de grade élevé et en situation d'en bénéficier (surtout au sein de catégories peu nombreuses) est évidemment que ces primes soient prises en compte dans le calcul de la retraite, ce qui, en l'état actuel des choses, serait évidemment tout à fait scandaleux puisqu'ils ne cotisent en aucune façon sur ces primes qui sont versées en supplément de leur salaire. D'un autre côté, la question est relativement insoluble, car si l'on intègre de façon officielle dans les salaires déclarés ces primes qui sont quasi clandestines, on sera inévitablement obligé de mettre par terre toute la grille de la fonction publique et surtout d'attribuer des augmentations aux fonctionnaires les plus modestes qui sont aussi les plus nombreux, ceux des cadres C et B.

On ne sait pas comment finira l'histoire pittoresque des primes de Claude Guéant mais il semble tout à fait évident que le directeur de cabinet Claude Guéant percevait sans doute à la fois son salaire "normal" de fonctionnaire, une prime "de cabinet", négociée mais en quelque sorte officielle attachée à sa fonction et qui, on l'espère, était déclarée au point de vue fiscal, mais en outre, on peut le craindre, ces fameuses primes en liquide, totalement clandestines et qui ne faisaient l'objet ni d'une déclaration fiscale ni naturellement de prélèvements sociaux.

Aucun commentaire: