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lundi 3 juin 2013

Arbitrage Tapie : Nanar Rodomont, pièce en trois actes

 

Il n'y est venu que tardivement et un peu par force (oublions, par charité, Bernard Tapy et ses débuts dans la chanson ), mais la vraie vocation de Bernard Tapie est décidément le théâtre. D'où le titre et le découpage dramatique de ce texte, Rodomont étant un personnage hâbleur et glorieux du Roland furieux de l'Arioste, qui a donné à la langue française le joli mot "rodomontade".

Acte premier : Le triomphe

On croyait Nanar définitivement rangé des voitures entre son nouveau et superbe yacht, sa villa de Saint-Tropez, la promo de la carrière artistique de sa fille et la conquête de la mairie de Marseille et voilà qu'il retrouve, sans doute non sans un secret plaisir mais, en la circonstance, avec peut-être quelque inquiétude la scène des médias. Ça sent un peu roussi, il faut bien le dire, ces derniers temps, après la période d'euphorie qui coïncidait fort heureusement avec le 20e anniversaire de la conquête de la coupe d'Europe, gagnée dans des conditions qui n'ont jamais été très exactement éclaircies mais que la pauvre Madame Chazal ignorait manifestement.

Jugeant alors définitivement acquis ses 403 millions, B. Tapie fanfaronnait « que la décision du tribunal arbitral ne pouvait pas être remise en cause », surtout quand « on a la chance d'avoir un trio arbitral composé du Premier Président honoraire de la Cour d'appel de Versailles; Pierre Estoup, d'un ex-président du Conseil Constitutionnel, Pierre Mazeaud et de Jean-Denis Bredin » avant de conclure : « On ne peut qu'écarter toute suspicion sur l'honnêteté de la décision ».

Le problème est que désormais c'est non seulement la décision qui pourrait être remise en cause, mais, également et surtout, la composition même de ce tribunal arbitral dont des membre ont entre eux et avec Nanar et son conseil des relations étranges et dont le plus éminent, aux yeux de Bernard Tapie du moins, est désormais mis en examen pour escroquerie en bande organisée.

Acte deuxième : Pauvre mais digne

Familier du Stade Vélodrome, Bernard Tapie a immédiatement fait des passements de jambes et changé de pied ; d'abord et avant même ces déclarations, il a déclaré qu'il n'avait plus rien : « Il m'est resté nettement moins que 100 millions d'euros !», (le pauvre!) alors que tout le monde s'accordait à juger que, une fois ses dettes payées, il lui restait tout de même 200 ou 220 millions. Oublions ici les cent millions du yacht et de la villa tropézienne, sans parler de la Belgique.

Acte troisième : le père noble

Devant la dernière menace de l'Etat français, Tapie vient de déclarer au JDD, "avec un joli mouvement de menton", que "s'il y a le moindre doute sur la régularité de cet arbitrage" dans lequel "pas un centime n'a été versé à quiconque" (mais qui a parlé de centimes ?), il l'annulerait lui-même, formule qui conduit à s'interroger sur la portée comme sur le sens d'un tel engagement moral, s'il ne lui reste plus rien sur des sommes qui lui ont été versées, comme il le prétendait au deuxième acte.

Explication de texte

Je pense que Bernard Tapie a été conduit à adopter cette posture héroïque et rodomontesque par la lecture de l'excellent article de François Béguin (Lemonde.fr du 31 mai 2013) qui présente une longue et savante intervention de Christophe Seraglini, professeur de droit à l'université de Paris XI, qui est en même temps un avocat spécialisé en contentieux et arbitrage international. Je ne puis que vous renvoyer ici à la lecture de ce texte dans lequel ce spécialiste souligne que le droit français est très protecteur par rapport aux décisions prises par un tribunal arbitral, ce qui a dû rassurer notre Nanar et le conduire à prendre cette posture avantageuse qu'il doit juger sans doute sans risque, dans la mesure où la décision rendue en 2008 par ce tribunal arbitral a autorité de chose jugée en France et y équivaut donc à une décision de justice ; en effet, elle n'a pas fait, à l'époque, l'objet de recours dans les délais sont d'ailleurs très brefs.

Les choses sont rendues encore plus compliquées par la réforme du droit français de l'arbitrage qui est intervenu le 13 janvier 2011 et par le fait que l'on peut discuter la nature même de cet arbitrage ; on peut le juger soit interne, soit international, ce qui entraîne des modalités de recours différentes et donc ouvre la voie à des années de procédure. C'est donc probablement cette incertitude même qui rassure notre héros, car si un arbitrage interne porte sur un litige qui ne concerne que la France, dans l'affaire en cause, le mandat de vente est celui d'une société de droit allemand (Adidas) avec un vendeur allemand (Bernard Tapie Finance GmbH) et un acheteur en quelque sorte cosmopolite (Robert Louis-Dreyfus qui a fait intervenir dans cette affaire, comme intermédiaires, des sociétés off shore). Il est donc envisageable de soutenir qu'il s'agit là d'un arbitrage international et en ce cas, il n'y aurait pas de recours en révision possible devant la Cour d'appel française, comme on le dit souvent.

Le paradoxe est même qu'une des voies de recours devrait ramener devant le même tribunal arbitral ; s'il voulait se montrer facétieux, ce tribunal pourrait donc augmenter encore la somme versée à Monsieur Bernard Tapie et la porter à 500 ou 600 millions d'euros! En tout état de cause, vu les incertitudes et l'ambiguïté de la situation (mais c'est là mon avis personnel et non celui infiniment plus autorisé de Monsieur le professeur Seraglini) il est infiniment probable que, vu la moyenne d'âge du membres du premier tribunal arbitral (85 ans), ces nouvelles sessions éventuelles du tribunal arbitral devaient être délocalisées au Père-Lachaise.

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