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dimanche 9 juin 2013

"Patient" : petite méditation lexicale, sémantique et sociale.

Je ne sais plus quel auteur (Mallarmé ou Valéry ?) disait qu'il fallait laisser l'initiative aux mots. Admirable formule et dont j’ai eu tout loisir cette semaine de vérifier, une fois de plus, la pertinence.

Le mot français « patient » a doublement hérité du contenu sémantique du participe présent du verbe latin « patior » qui est à son origine et qui signifie à la fois « supporter » et « souffrir ».

Cette petite méditation sémantique, lexicale et sociale m'a été inspirée par deux séjours, en une semaine, dans des lieux hospitaliers. Entendez par là que ces lieux étaient des cliniques ou des hôpitaux ; l’adjectif « hospitalier » dérive, dans l’emploi que j’en fais ici, d' « hôpital » et de tels lieux n’en sont pas pour autant des endroits où l'on est aimablement et agréablement accueilli par des hôtes charmants et prévenants. J’ai failli dire « des lieux nosocomiaux », « nosokomio » étant le nom de l’hôpital en grec, comme vous pourrez le vérifier lors d’un prochain séjour dans ce pays, s’il est toujours en mesure de s’offrir ce genre de service. Mais ce malheureux adjectif, récemment découvert par les Français, a vu son sens se restreindre et se spécialiser si fâcheusement que je n’ai pas osé me risquer à l’employer pour ne pas vous inquiéter sur ma santé.

Le « patient », pour en revenir à lui, est, en fait, le client du médecin, mais ce dernier terme soulignerait trop nettement l'aspect mercantile d'une pratique professionnelle qui se veut plutôt un art avec des aspects quasi sacerdotaux (« Le serment d’Hippocrate !) qu'une forme, même noble, de commerce. On va voir le médecin parce qu'on est malade (donc parce qu'on souffre) et, ce faisant, on devient son « patient ». Mais les mots prenant l’initiative, on doit alors aussi s'armer d’une « patience » qui est la première vertu du patient, même s'il n'y a pas de vrai rapport sémantique entre ces deux mots, l'étymologie étant seule en cause.

Je ne crois pas être un patient impatient, même si au bout de quelques heures d'une attente dont les raisons mêmes et les bornes ne m’apparaissent pas évidentes, je commence à cesser d'être patient (adjectif), tout en restant hélas un patient (substantif).  Je me sens d'autant moins porté à être patient (adjectif) qu'à force de m'exercer à ces exercices de patience (et aussi d’observation du milieu), je finis par deviner les véritables motifs des attentes prolongées qui sont infligées aux patients.

On observe d'ailleurs facilement que, dans l'activité médicale privée, les patients ne sont pas contraints, en général, de faire preuve d'autant de patience que dans le secteur public, car ils ont parfois la possibilité de changer de médecin et par conséquent, dans un autre cadre, d'avoir à faire montre de moins de patience, tout en restant des patients.

Comme les attentes prolongées invitent à la méditation, force est de prendre conscience qu'à la patience dont on aura fait preuve en attendant d'être reçu ou soigné, viendra s’ajouter, en outre, celle dont devra faire preuve pour remplir les feuilles de soins (qu'on appelait autrefois « feuilles de sécu » ou même, plus anciennement encore, "feuilles de maladie") et qui constituent un exercice de méditation intéressant à la fois sur le plan du fonctionnement social et de l'économie nationale.

La principale réforme que le système de santé français a opérée, dans le dernier quart de siècle, a été, sur ces feuilles de soins, la disparition de la mention de la date de naissance du patient. Chaque assuré social étant identifié par un nombre de treize chiffres (ce qui permet en théorie de coder par cette méthode 9.999 milliards d'individus,  alors que la France ne comprend guère qu’une grosse soixantaine de millions d'habitants), on s'est avisé que l'identification supplémentaire de l'assuré(e) par sa date de naissance constituait un luxe inutile. On a donc supprimé (sous Raymond Barre je crois) sur les feuilles de soins cette mention, dans une réforme administrative majeure annoncée alors à grands sons de trompe !.

Quelques années après, bien plus discrètement, on a dû la rétablir en douce, après s'être aperçu que des Français ou des Françaises avaient le même numéro de sécurité sociale, ce qui paraît impensable du simple point de vue arithmétique.

Voulez-vous l’explication d’un tel mystère ?

Si vous regardez de plus près comment un tel numéro est attribué, vous vous apercevez que les dix premiers chiffres peuvent être en fait communs à un nombre indéterminé, mais élevé, d'individus du même sexe (code 1 ou 2), nés le même mois de la même année (les quatre chiffres suivants), dans le même département (les deux chiffres de son code), dans la même zone de ce département (codée par trois chiffres). Dès lors, pour les milliers probables de ceux ou celles qui ont en commun ces informations, la distinction ne se fait que sur les trois derniers chiffres ; elle ne vaut donc, au maximum, que pour 999 hommes ou femmes qui ont en commun les dix premiers chiffres. Or, dans nombre de grandes villes, dans certains quartiers où se trouvent des hôpitaux ou des maternités, souvent naissent en un mois plus de 999 enfants du même sexe ; de ce fait, certains d’entre eux peuvent avoir exactement le même numéro de sécurité sociale. On a donc dû rétablir la date de naissance sur les feuilles de soins pour pouvoir les distinguer par le jour de naissance !.

De toute façon, ces feuilles de soins étaient l'objet de tous les soins et de toutes les attentions, surtout de la part des syndicats de la sécurité sociale qui redoutaient que leur disparition n'entraînât des réductions d'effectifs. Il n’en a heureusement rien été et cela d’autant plus que, en particulier dans le secteur privé, en beaucoup de lieux, on refuse d'utiliser le paiement par la carte vitale, ce qui ménage à la fois les trésoreries des prestataires de soins et l'avenir des employés de la sécurité sociale.

J'ajoute toutefois que le traitement d'une simple feuille de soins coûte plus de 5 euros, sans parler des arbres qu'il faut couper pour produire les dites feuilles et sans évoquer toutes les papiers inutiles que doivent produire, pour chaque cas, les diverses mutuelles, afin d’informer leurs clients. Que les syndicats de la sécurité sociale, les industriels, les fabricants de papier et les imprimeurs se rassurent, en dépit de l'informatisation, nous ne sommes pas près de nous débarrasser de tout cette paperasse et, en tout cas, là aussi, nous devrons nous montrer « patients » à tous les sens des mots !

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