À la recherche
d'un texte que j'avais écrit suite à une passe d'armes avec un de mes
commentateurs des plus agressifs, je suis retourné sur le blog du Nouvel Observateur où j'ai fait mes
premières armes de blogueur, il y a maintenant plus de six ans. Je dois dire
que je suis totalement ahuri de constater que ce blog, fermé depuis plus de
deux ans, reçoit encore des visiteurs (197 le mois dernier), alors qu'il est
impossible d'accéder à son contenu, sauf pour moi qui puis encore le faire
grâce au code dont je dispose. Je rends ici hommage à l'efficacité du Nouvel Observateur qui continue à
maintenir les choses en l'état.
C'est ainsi que
j'ai pu constater que, durant mon séjour sur ce site (jusqu'à ce que j'en sois
exclu pour avoir refusé de me plier à ses décisions de censure mais je pense
maintenant connaître les vraies raisons de mon éviction qui sont tout autres et
que je raconterai peut-être un jour vu qu'on me les avait soigneusement cachées),
j'avais écrit plus de 1096 textes qui m'avaient attiré plus de 5533
commentaires. Je dois dire que c'est ce
que je regrette de ma période Nouvel Obs ; j'avais alors des échanges souvent
amicaux, parfois vifs, très rarement injurieux, avec des commentateurs dont
certains sont devenus, en quelque sorte, des amis, sans que nous ne nous soyons
jamais rencontrés.
J'ai retrouvé le
post que je cherchais, mais j'ai eu la curiosité d'aller jusqu'au premier texte
que j'ai publié par cette voie, le 17 janvier 2006 qui s'intitulait
"Hommage à Roland Barthes et José Bové" car il pastichait le fameux
texte de Barthes sur l'Abbé Pierre dans Mythologies.
Comme c'est dimanche et qu'il est un peu tard dans la matinée, je permets de le
reproduire ici (un peu par facilité et beaucoup par paresse je l'avoue).
La paysannerie française et l’altermondialisme disposent d’un atout précieux : le personnage de José Bové.
C’est une belle image dans laquelle tout est soigneusement choisi pour faire sens.
La moustache est assurément l’élément majeur de signification. On sait que l’homme d’autorité, dans la mythologie populaire, porte moustache. Pour ne pas remonter trop loin Hitler, Staline, Pinochet et Sadam Hussein furent ou sont des moustachus. Les dictateurs glabres ne font pas d’usage, comme l’ont montré les cas de Mussolini ou Pol Pot. Signe de virilité, la moustache est tout naturellement signe de force. Les Turcs sont tous moustachus donc forts. Il y a toutefois moustache et moustache... Les arrangements pileux dont la taille se limite, approximativement, à la largeur des narines signalent le dictateur hystérique et caricatural (Hitler imitait Charlot et Himmler imitait Hitler..). La force tranquille de la bonne brute se marque par une moustache épaisse et fournie, particulièrement appréciée des tyrans moyen-orientaux. La moustache de José Bové s’inscrit nettement dans la lignée de celle de Staline, mais avec une rusticité savante qui lui donne l’apparence d’un fagot de broussailles. Un tel arrangement, doublement écologique, nécessite, à n’en pas douter, des soins aussi quotidiens qu’attentifs, de façon à assurer un équilibre harmonieux entre la force tranquille d’une virilité rurale et la fantaisie poilue du non-conformisme bucolique. En matière de moustache comme ailleurs, un beau désordre ne saurait être qu’un effet de l’art. Bien entendu, les nuances du poil ne sont pas dépourvues de sens ; cette moustache, nourrie sous la mère dans le Larzac, a les tons mordorés et fauves de la forêt de novembre, le jus de tabac de la pipe permettant d’enrichir encore cette palette des nuances automnales du poil naturel et authentique.
La pipe est aussi riche de signes que la moustache. La cigarette n’est pas le propre d’un sexe et il y a désormais plus de fumeuses que de fumeurs. En revanche, la pipe est incontestablement mâle, tout au moins dans nos sociétés occidentales, et elle tend même au machisme. Elle se situe d’ailleurs depuis toujours aux antipodes de la distinction, voire de la politesse : on a la cigarette aux lèvres, voire au bec, mais la pipe est un brûle-gueule. Le fumeur de pipe n’est pas homme à se préoccuper d’autrui et il se moque bien d’empuantir l’atmosphère. Sans oser l’afficher, il pense secrètement éloigner par là non seulement les femelles, mais aussi tous les mâles douteux qui se ne supporteraient pas de se voir emboucanés par ces remugles de chambrée.
La coupe de cheveux est également riche de sens. Par un miracle de la géométrie capillaire, elle réussit à se situer à égale distance de la coupe monacale, autrefois dite au bol, de la tignasse hirsute du SDF et du savant brushing kouchnérien. L’essentiel de la force sémiologique de José Bové tient d’ailleurs à ce qu’il parvient à réunir tous les signes de la ruralité abstraite et idéale, sans jamais tomber dans la caricature. Pour parvenir à être le Jacquou le croquant, non de la forêt de l’Herm mais des plateaux de télévision, José Bové doit se tenir sans cesse, avec une adresse et une vigilance de funambule médiatique, à mi-chemin entre les stéréotypes classiques du paysan de comédie et l’image abstraite de l’agriculteur moderne. Loin de lui, par exemple, l’idée triviale de porter des sabots comme celle de se faire mettre, fût-ce par un coiffeur habile, quelques brins de paille dans les cheveux. Le port des sabots serait d’ailleurs aussi excessif qu’inutile, puisque nos personnages de télévision sont tous des hommes-troncs. Peut-être après tout José Bové, dans ses interventions médiatiques, cache-t-il sous les tables de studios les Berlutti de Roland Dumas, comme il se donne peut-être la joie, secrète, mais d’autant plus intense, de péter dans la soie sous ses pantalons de velours côtelé!
Si les chaussures sont un élément accessoire pour ne pas dire inutile dans la panoplie sémiologique de José Bové, le pull-over, toujours au centre de l’image, est en revanche essentiel. Le cashmere n’appartient pas, on l’aura deviné, à l’appareil vestimentaire visible de José Bové. Foin (sans jeu de mots) de ces fines et douce laines, aussi urbaines que bourgeoises quand elles ne sont pas en outre synthétiques. En demi-saison, une rude chemise de bûcheron canadien ; durant l’hiver, des pulls overs rugueux dont tout porte à croire qu’ils ont été tricotés au coin de l’âtre avec la laine de ses moutons par une Pénélope larzacienne. La matière est essentielle, mais moins sans doute que les couleurs. José Bové affectionne les teintes automnales qui s’accordent, en la mettant en valeur, avec les ocres de sa moustache. Ces bruns verdâtres ou ces verts brunâtres signale, à ceux qui ne les auraient pas encore vus la ruralité et l’ancrage dans la glèbe. Ils ne craignent ni les taches de cassoulet ni les bavures de pipe, quand on s’assoupit dans son fauteuil, après une rude journée passée à démonter des MacDo pour Zone Interdite ou à faucher des plants d’OGM pour le 20 heures. Là encore, tout l’art de José tient à son adresse diabolique à éviter tous les excès : pas de trous au coude ou de brûlures résultant d’une escarbille mal contrôlée, pas de manches grossièrement rapetassées. De tels effets, tentants mais faciles, signaleraient inévitablement l’imposture. N’attendons pas de José Bové les grossières erreurs d’un Marc Blondel, qui ne manquait pas, naguère encore, avant qu’un conseiller en communication avisé ne l’en détourne, d’arborer son écharpe rouge du défilé du Premier mai en fumant des Davidoff à 200 francs pièce.
Le velours, de préférence côtelé, met une touche finale et même confédérale à cette si parfaite collection de signes. José Bové évite toutefois les vestes à coudières de cuir ; cela fait un peu trop gentleman-farmer . Du fait de sa parfaite maîtrise de l’anglais, peu courante chez les éleveurs de mouton du Larzac, au Sheraton de Seattle ou à l’Hyatt de Porto-Alegre, on pourrait le prendre pour une taupe anglaise ce qui serait tout de même un comble.
Ce personnage, si parfaitement composé, a en outre le rare talent de pouvoir s’adapter aux situations nouvelles. Celles des studios de télévision lui sont si familières qu’il n’a pas, comme les novices, à demander sottement quelles sont les bonnes caméras. Comme les grands acteurs il se passe d’accessoires et n’a pas besoin de figue comme Caton dénonçant la menace punique devant le Sénat Romain ou Kouchner avec son sac de riz! Il sait improviser ; mieux encore, comme un pommier fait des pommes, il fait du sens avec tout ce qui passe à sa portée. Ce détail a bien entendu échappé aux pandores qui, chargés naguère de le conduire en prison, ont cédé à la tentation de se donner l’ultime plaisir de lui mettre les menottes. Erreur fatale ; ces menottes, instrument de justice et d’opprobre par lequel les gendarmes voulaient marquer leur domination et souligner sa honte, sont devenues, comme la couronne d’épines imposée au Christ sur le chemin de croix, le signe de son immolation volontaire et joyeuse à la cause paysanne. Loin de dissimuler son visage comme le font les filous ordinaires ou de cacher ses menottes sous sa veste, José Bové a levé les mains au dessus de sa tête, devant la multitude des caméras et des appareils photos, fournissant ainsi à toute la presse française, encadrée par les instruments de la justice ainsi dénoncée, l’image éclatante, moderne et souriante de Saint José le croquant.
José for Président ?
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