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vendredi 23 novembre 2012

L'école des DOM : les marrants de la rue de Grenelle


 
Contre toute attente, si vous voulez vous amuser, à peu de frais et de façon inattendue (mais pas trop quand même, ne rêvez pas!), n'allez pas acheter Charlie hebdo ou le Canard enchaîné (car il n'y a plus de journaux à visée comique comme l'étaient autrefois Marius ou le Hérisson) , consultez plutôt, sur internet car c'est gratuit, le Bulletin officiel de l'éducation nationale que l'on appelle, dans le jargon éducatif, le BOEN ou même le BO.

Je vous recommande, tout particulièrement, le Bulletin officiel numéro 32 du 8 septembre 2011 que j'ai découvert grâce à l'une de mes amies qui m'en a signalé l'existence et le contenu. Il comporte une annexe intitulée "Enseignement du créole - école primaire" qui vaut son pesant de cacahuètes (ou de "pistaches", comme on dit dans nos DUM, avec une priorité lexicographique ignorée et donc, en fait, plus légitimement et à meilleur droit). J'en recommande la consultation au "Scrutateur" guadeloupéen, qui honore souvent ce blog de sa visite et de sa lecture et y fait même parfois référence dans son propre blog.

En fait la vraie question que je me suis posée au terme de cette lecture (on peut se limiter aux quatre premières pages pour des raisons qui apparaitront dans la suite. et s'éviter l'ingestion des 21 autres, car la démarche qu'elles prétendent illustrer n'a ni queue ni tête) est la suivante et elle est incontestablement angoissante : Qui donc, au Ministère de l'Education Nationale de la République peut être assez ignorant et stupide pour écrire pareilles inepties et, pire encore, oser les faire publier au Bulletin officiel ?

Ce texte, en effet, rend d'une évidence éclatante trois faits.

Le premier est que le rédacteur de ce texte (je penche pour le pluriel, vu la prise en compte des quatre créoles domiens et l'espoir qu'on ne soit pas assez imprudent, au 110 de la rue de Grenelle, pour confier à un seul auteur la rédaction d'un tel texte) n'ont pas la moindre connaissance, ni des pays en cause (les quatre DOM français que sont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion), ni de leur situation linguistique et éducative;

Le deuxième, que j'illustrerai dans la suite, est la totale absurdité, voire le caractère totalement incompréhensible de cette démarche qui n'a de nom dans aucune langue et pour laquelle je répugne à avancer l'expression très impropre de "projet pédagogique", car nous sommes là aussi loin d'un "projet" que de la "pédagogie";

Le troisième fait qui éclate de plus en plus, si l'on parvient à mener à son terme la lecture de ces quatre premières pages est la TOTALE CONFUSION MENTALE de l'auteur qui mélange, de toute évidence sans y rien comprendre, le "français langue étrangère" (avec les "actes de langage" et les "niveaux" du "Cadre européen commun de références"), "l'enseignement des langues et cultures régionales" (quel rapport avec le point précédent ?), le tout saupoudré de pincées de "('R) Evlang" qu'ont pourtant abandonné à la fois l'Europe et le MEN. Le pire de tout est que l'essentiel de ce texte est fait, sans doute par prudence, de références au BO et aux divers textes officiels (7 références ou citations dans la première page!). 

Il faut dire que ce texte (et sans doute y a-t-il une cause lointaine et cachée de la production de telles élucubrations qui sortent, de toute évidence, d'une plume administrative a-scientifique) est dans la ligne de l'ILLOGIQUE ministérielle
(j'use de capitales pour souligner qu'il n'y a pas là une faute de frappe pour LOGIQUE ) qui a conduit  toutes les actions officielles, dans le domaine de l'école des DOM, depuis l'an 2000, qui a vu la création du glorieux CAPES de créole (sans cet -s final qu'on cherche désormais à introduire subrepticement comme on va le voir).

Ce terme "créole" était déjà au singulier dans le texte de création de ce concours, lui-même fort singulier, puisque nul ne savait à quoi il destinait celles et ceux qui le passaient ; il était même, en outre, ILLEGAL puisque, dans les concours nationaux français, les candidats doivent tous composer sur les mêmes épreuves ce qui est, a priori, impossible puisque le "CAPES  Créole" implique, par la force des choses, l'usage de quatre langues DIFFERENTES!

Ce singulier fort singulier et même aberrant demeure, dans le texte en cause, qui consacre pourtant 21 pages sur 25 à démontrer, sans savoir pourquoi d'ailleurs, la diversité de ces quatre créoles français des DOM qui ne sont pas inter-compréhensibles, en tout cas d'une zone à l'autre?  Est-ce utile de l'illustrer ? Quelle découverte majeure! La moindre approche, la plus lointainement touristique, indique qu'on ne parle pas la même langue en Guyane et à la Réunion, ce qui pourtant n'a jamais frappé les instances supérieures de notre système éducatif français.

Les onze années qui se sont écoulées depuis la création du "CAPES Créole" et les multiples critiques qu'il a suscitées du fait même des aberrations qu'il comporte, n'ont pas suffi à éclairer la lanterne de nos décideurs? L'inspecteur général, spécialiste de l'occitan et des langues régionales (curieuse spécialité !) qui, depuis l'origine a présidé ce CAPES Créole, ne s'y est guère instruit. Toutefois, cette fonction, aussi éminente qu'insolite, l'a sans doute mis en position de se faire traduire, dans chacun de ces créoles, les rudiments qui, mis en parallèles, meublent les 21 dernières pages du texte en cause.

Les premières lignes de l'avant-propos de l'annexe de ce texte du BOEN 32  suffit à montrer l'étendue des ignorances du rédacteur. Les voici
« Le créole connaît la particularité de se développer dans quatre aires géographiques bien individualisées. Elles sont insulaires pour trois d'entre elles et  très éloignées géographiquement pour certaines. La langue a évolué dans chaque aire en fonction des histoires et des idiosyncrasies différentes (substrats linguistiques, contacts de population et influences diverses). Ces différences sont plus ou moins grandes, mais touchent tous les domaines, tant phonétique que lexicaux ou encore morphosyntaxiques" (BOEN 32, page 1) ».

Il est difficile de réunir en quelques lignes autant d'aberrations et d'âneries, le tout n'étant pas exempt d'une mauvaise foi qu'on juge sans doute subtile.

La principale est, dès le premier mot, le mot "créole" au singulier (c'est l'usage rue de Grenelle ) et la formulation donne à penser, de façon totalement aberrante et inédite, qu'existait un créole de départ (surgi on ne sait d'où) qui se serait "développé" dans quatre aires géographiques différentes, qui sont les quatre DOM évoqués ci-dessus. Cette idée est évidemment totalement absurde (elle me semble inspirée par le modèle de l'occitan, suivez mon regard!)  et même totalement folle vu la géographie et l'histoire de ces territoires ; en réalité la première zone où est apparu quelque chose qui pourrait passer, vu de la rue de Grenelle, pour un ancêtre des créoles antillais (sans avoir rien à faire ni avec la Guyane ni avec la Réunion) est l'île de Saint Christophe qui est la première terre de la Caraïbe où s'est installée, pour y disparaître dans la suite, la colonisation insulaire française.

La suite ne vaut guère mieux ; le singulier reste dominant, même s'il est un peu moins stupide puisque, dans la troisième phrase, on dit que LA langue a évolué dans chaque aire. Une telle formulation, ambiguë en français, est sans doute jugée habile par son auteur, parce qu'elle permet de ne pas perdre la face pour la question de l'utilisation aberrante du singulier pour le mot "créole" quand il s'agit du CAPES. On essaye de passer ainsi, en douce, de "la langue" (le mystérieux créole initial) à "la langue de chaque aire"! La ficelle est un peu grosse!

Je passe sur la cuistrerie ("idiosyncrasie" a un sens particulier en linguistique et est ici clairement impropre) comme sur la référence, aberrante, à des "substrats" linguistiques, puisque tous ces territoires étaient ou vides de population comme la Réunion, ou ont été vidés de leurs occupants par la colonisation comme les Antilles.

Tout cela est si inepte que je juge inutile de m'y attarder davantage.

La suite immédiate est encore pire s'il est possible, puisqu'on y affirme l'objectif de donner des "repères clairs aux enseignants" (tu parles!) et "d'éviter un mélange préjudiciable tant à la langue elle-même qu'à son enseignement". Qu'ont à faire du guyanais les enfants et les enseignants réunionnais? C'est là un manifestement "renvoi" d'Evlang!

"Il est important que les référentiels [!!!!! des sciences de l'éduc ou du Meirieu dans le texte! ] proposés présentent les quatre créoles dans leurs spécificités respectives [un peu pléonastique non?]. Il appartiendra à chaque enseignant, quel que soit le lieu où il exerce, de sensibiliser les élèves à l'existence et à la légitimité des quatre créoles et de veiller à ce qu'ils fassent la différence et s'expriment dans la langue [Laquelle des quatre ? La leur qu'ils savent déjà ou l'une des trois autres dont ils n'ont que faire] la plus harmonieuse possible [sic!], sans contamination ni interférence ni emprunt forcés. »

Nous glissons ici progressivement dans ce texte de l'ignorance, de l'incompétence et de la sottise à la folie pure.

Quel besoin a l'enseignant réunionnais d'avoir des "repères clairs" sur le guyanais ? En Guyane, à quoi servent les données sur le créole réunionnais pour un enseignant et/ou un élève du primaire? Risque-t-on réellement un "mélange préjudiciable à l'enseignement" que seule une si aberrante démarche risque de provoquer, sans la moindre raison. Par ailleurs, comment songer un instant à enseigner aux élèves réunionnais les rudiments d'un créole qu'ils parlent déjà tous quotidiennement et à les initier au guyanais ou au guadeloupéen dont ils n'ont que faire.  

Tout cela est tellement absurde qu'à moins qu'on envisage des transports permanents et fréquents d'élèves entre la zone américano-caraïbe et la Réunion, il n'y a pas lieu de se soucier véritablement des "risques d'interférence" voire de "contamination" entre les créoles des deux zones. A lire de telles aberrations, on croit véritablement rêver et, en pareil cas, si l'on ne peut plus soumettre les auteurs de tels textes, comme au bon vieux temps, aux électrochocs, on devrait au moins les amener de toute urgence à la douche froide!

Le vrai et seul problème de l'école domienne est celui d'enseigner le français aux petits enfants créolophones des DOM, tôt, vite et intelligemment, donc en prenant en compte le fait qu'ils parlent des créoles issus eux-mêmes du français d'où est venu l'essentiel des matériaux linguistique que ces langues mettent en oeuvre et en concevant, dès lors, pour la mettre en pratique, une didactique de la langue française adaptée aux situations de créolophonie qui d'ailleurs existent en dehors des DOM et en particulier en Haïti dont le français est la langue officielle et qui a une population scolaire qui est au moins le triple de celles de tous les autres pays créolophones réunis.
Mais, ne rêvons pas, car cela supposerait enfin des décisions, adaptées, informées et intelligentes auxquelles ce numéro 32 du BOEN n'ouvre guère la voie !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Drôle(s) de BO .

Le créole réunionnais a acquis officiellement le statut de langue régionale en 2000. A ce titre son enseignement est désormais proposé en option dans les établissements scolaires comme en métropole.
Il se trouve qu'au fil des décrets, arrêtés, circulaires qui se sont succédé dans ce domaine, l'enseignement des langues régionales s'inscrit dans le cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) qui fournit une base commune pour la conception des programmes.
Les langues régionales entrent ainsi dans le cadre des langues vivantes à apprendre comme le breton, l'occitan, ou le catalan etc. qui ne sont plus, sauf exception, les langues maternelles des enfants ( ni celles de leurs parents, ni même parfois de leurs grands-parents).
or le créole réunionnais est la langue maternelle de la grande majorité des enfants de la Réunion.
D'après une étude de l'INSEE réalisée en 2007, le créole est encore très largement majoritaire dans ce département : 53% de Réunionnais ne parlent que le créole, 38 % parlent le créole et le français, et 8% seulement ne parlent que le français.
L'idée d'enseigner le créole aux élèves créolophones comme langue étrangère ou seconde et, d'autre part, considérer le français comme leur langue maternelle est tout-à-fait surprenante.
Je reprends ci-dessous les propos que j'avais tenus en 2002 sur cette question :

"Il sera piquant de relever que dans la circulaire ministérielle N° 2001-168 du 05-09- 2001 (BO N°33 du 13 septembre 2001) les recommandations en matière d’immersion ne valent pas à la Réunion pour la langue régionale mais pour la langue nationale.
Il convient d’en prôner l’application intégrale en opérant pour les langues citées une permutation terme à terme originale : la pédagogie recommandée vaut moins pour le créole maternel des élèves réunionnais que pour le français.
De ce point de vue, en matière de conseils pour la classe , ce texte ministériel mérite d’être consulté."