Ce titre doit vous paraître un peu étrange et, de ce fait même, il
nécessite quelques explications liminaires qui tiennent, de façon un peu
lointaine, à la nature et à l'évolution
de la production audiovisuelle française.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, nous sommes totalement nuls
en matière de production audiovisuelle. Par pitié, ne venez pas me parler de
"Fort Boyard" et de "Poubelle la vie" que nous avons vendus
à la TV des Iles Cook et à Bélouchistan-TV.
La principale source d'inspiration de nos producteurs télé, devant le
total envahissement de nos écrans par les séries, les jeux, les télé-réalités
et tous les produits américains, réside, de temps en temps, dans un bref séjour
à New York. Ils s'y enferment dans une chambre d'hôtel pour y regarder la
télévision à laquelle ils ne comprennent rien, faute de savoir l'anglais et
tenter d'y découvrir ce qu'ils pourraient acheter ou, mieux encore, plagier.
En vue de la rédaction de ce post et pour être au fait du dernier cri
en la matière, sans me risquer toutefois à la regarder de façon un peu
prolongée, j'ai zappé sur D8, la
nouvelle chaîne de Canal+ ; dans une immédiate consternation, je me suis borné à aller
sur son site. Après l'ingestion obligée de spots publicitaires intempestifs qui me
furent imposés, s'est offert à ma vue le spectacle qui paraît constituer
l'attraction majeure de D8. Une exposition de huit paires de cuisses
de couleurs (à Canal, on aime la diversité) et de galbes différents, savamment
organisée autour de celles de Madame Laurence Ferrari, la vedette des lieux. On
comprend que pour 20.000 euros mensuels, une ex-ministre se soit mise au
régime!
Sur un plan plus général, sur D8 comme à France2, M6, W9 ou ailleurs, l'innovation
française télévisuelle majeure consiste en de
pseudos reportages, fort longs (2 heures avec de multiples passages de pub!), pompeusement
baptisés "Enquêtes" pour attirer le client.
Le principal avantager du produit est qu'il est fort peu coûteux. Pas besoin d'acteurs ; les héros sont censés
être filmés dans leur boulot quotidien et beaucoup seraient sans doute même prêts à
payer pour passer à la télé (y a-t-on songé au moins?). Pour la technique, il
suffit d'un cameraman (il faut faire vrai donc de préférence un maladroit), d'un preneur de son (idem) et de ce qu'on
nomme pompeusement en France, Dieu seul sait pourquoi, un "journaliste".
Avec ça, à peu de frais, on occupe deux heures d'antenne.
Il s'agit, dans tous les cas, de donner à croire qu'on suit "in vivo" une équipe professionnelle
en action sur le terrain, qu'il s'agisse de policiers (c'est le modèle le plus
courant), d'agents du fisc, de la douane ou de la répression des fraudes (on
commence à en voir souvent ; des sous-flics en somme) et sans doute dans l'avenir de pompiers (dans la
mesure où la presse s'est fait l'écho, des journées durant, de la mort de ce
jeune pompier volontaire, dont on a souligné l'héroïsme (involontaire lui!) sans songer à préciser
qu'il agissait sans doute ainsi pour se payer une mobylette grâce aux
émoluments afférents à cette noble tâche).
Compte tenu de l'immensité du gouffre du déficit de la sécurité sociale,
dont on commence à percevoir qu'il est, pour une bonne part, dû à la totale et multiple généralisation de la fraude sociale que j'ai eu déjà l'occasion
d'évoquer dans ce blog, les équipes d'agents chargées, en principe, de la
découverte des fraudeurs commencent à avoir la place et la vogue qu'elles méritent dans ce
genre de série documentaire et j'ai déjà vu au moins trois produits sur le
sujet.
Ces documentaires sont fort instructifs même si, naturellement, ils
sont tous les mêmes et si leurs caractères bidonnés sont suffisamment évidents
pour que je m'y arrête pas. On y a toutefois introduit deux éléments qui font
le piment des séries policières du même acabit : le frisson du danger (la brave
inspectrice de la répression des fraudes qui va contrôler un marchand d'huile d'olive
espagnole baptisée pour la circonstance "provençale" revêt, au petit
jour, un gilet pare-balles) et le caractère désormais incontournable de la
scientificité, car la répression des fraudes alimentaires comme la découverte
des magouilles de certains professionnels du corps médical sont devenues
scientifiques sur le modèle des méthodes de la police des télés, style NCIS ou Cold
Cases!
Tout cela est fait naturellement pour distraire le bon peuple de France
; il faut toutefois reconnaître qu'à la troisième ou quatrième ingestion de
pareils documentaires, si certains ne s'en lassent pas, pour beaucoup de
téléspectateurs ces émissions deviennent rapidement insupportables à force de redites
et de répétitions.
Si l'on ne peut contraindre les téléspectateurs à les
regarder, on pourrait, en revanche, songer à en faire une utilisation
systématique et didactique dans la double formation des agents de la répression
de la fraude sociale mais surtout des futurs fraudeurs eux-mêmes, car,
lorsqu'ils entrent dans le métier (souvent encore honnêtes et naïfs), ils ne
connaissent pas nécessairement toutes les ficelles et toutes les combines de
l'exercice frauduleux de leur nouvelle profession. Or la gamme des entourloupes
des professionnels concernés est extrêmement vaste et je ne puis guère entamer
ici l'évocation que je devrais en faire et que je me vois contraint, par la
force des choses et la limitation de mon espace éditorial, à remettre à demain.
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