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lundi 2 septembre 2013

Jacques Vergès, l'homme des mystères (8) : l'ami de toujours, François Genoud

Le présent texte est sans doute, à mes yeux, le plus important de tous ceux que j'ai pu présenter auparavant. J'en arrive à cette conclusion en constatant le soin qu'a, toujours et partout, mis J. Vergès à dissimuler ses relations avec François Genoud et même, au-delà, la personnalité, l'action et le rôle de ce personnage.

Une preuve de cette assertion se trouve dans le traitement fait à François Genoud dans le livre de Th. Jean Pierre, auteur clairement aux ordres de son héros. Dans cet ouvrage, F. Genoud est, en effet, à peine évoqué (2000 : 162), alors que l’auteur, dans sa « bibliographie », fait figurer l’ouvrage de P. Péan, L’extrémiste : François Genoud, de Hitler à Carlos (LGF, 1998). Or, sauf distraction de ma part, le nom de F. Genoud n’apparaît que dans une réponse, aussi brève qu'évasive, à une vague question sur ce personnage.

Il ne faut pas, dit-on, mettre du sucre sur le miel. Si T. Jean-Pierre a lu le livre de Péan, il ne peut pas ne pas être informé des relations entre J. Vergès et F. Genoud et de leur rôle. Comment dès lors ne pas lui en parler, ne serait-ce que pour lui permettre de justifier ou de nier cette relation aussi active que prolongée ? Comment a-t-il pu se contenter de la réponse de J. Vergès, dont je ne citerai que les trois premières lignes (elle n'en comporte que sept en tout !) : « Genoud était un nostalgique du nazisme [ on verra combien cette formule est fausse ; il en fut un activiste frénétique !]. Il avait rejoint les rangs de ceux qui se battaient pour les Algériens et, plus tard, prendra fait et cause pour les Palestiniens [l'un et l'autre pour et à travers le nazisme !]. » ? Comment T. Jean-Pierre a-t-il pu se contenter d’une réponse pareille ? Il est vrai que la question était simplement « Qui était François Genoud ? ». Par respect pour la mémoire de l’auteur, mort tout récemment, j’incline à croire que c’est J. Vergès lui-même qui s’est opposé à ce que le personnage soit évoqué.

7.1. Quand et comment se sont connus J. Vergès et F. Genoud ? Amis de quarante ou de cinquante ans?

Comment J. Vergès et F. Genoud se sont-ils connus ? On ne peut compter, de leur vivant, sur les confidences ni de l’un ni de l’autre. Leurs relations sont pourtant aussi établies et incontestables que durables et actives, puisqu’elles se sont poursuivies pendant quarante ans au moins et sans doute plus.

On en était toutefois réduit à des suppositions pour en fixer le début jusqu' à la publication par B. Violet d'une lettre de Carlos à Jacques Vergès : " Je dois clarifier certains points concernant votre deuxième ami de quarante ans, Jacques Vergès." La lettre étant de 1955, la soustraction est facile 1995 - 40 = 1955 ! (2000 : 229). CQFD !
Cette information confirme absolument ce que nous savons par ailleurs.

Les premiers rapports entre J. Vergès et F. Genoud se sont sans doute établis dans le cadre des contacts noués en Suisse lors de la guerre d’Algérie, en 1960 et même sans doute avant. Le FLN commence alors en effet à mettre à l’abri en Suisse les fonds collectés par la Libération nationale algérienne. François Genoud, dès 1955, dans le cadre du soutien des nationalismes arabes, fournit des armes au FLN algérien. La Suisse, territoire neutre tout proche et d’accès aisé, est une base de repli et un lieu de contact pour les Français qui soutiennent cette cause comme J. Vergès. Genève est une si petite ville qu’on a peine à croire qu’ils ne se soient pas connus, au plus tard, dès cette époque vu la nature de leurs activités respectives.

J. Vergès quitte la France, pour échapper à un internement prévisible, le 20 février 1960 avec Maîtres Courrégé et Zavrian qui sont sous le coup de la même menace. Il est accueilli à Genève par Isabelle et Jacques Vichniac (J. Givet, 1986 : 11). Un mot sur Jacques Givet (nom de plume de Jacques Vichniac), né à Moscou en 1917, entre les deux Révolutions de février et d’octobre. Juif et résistant, il est arrêté par la Gestapo à Lyon, en juin 1944, « sous le règne de Barbie » (1986 : 113); il ne dût son salut (provisoire) qu'à ce que la première de ces qualités échappa à ses bourreaux au profit de la seconde (1986 : 97). Il a la chance de pouvoir s’évader du train qui le conduit en Allemagne. Dans la suite, il sera le défenseur de toutes les causes qu’il pense justes, du FLN aux Kurdes, se sentant solidaire de tous les opprimés. C’est lors des « événements » d’Algérie qu’il fait la connaissance de J. Vergès qu’il accueille chez lui en Suisse, comme il accueillera ensuite Ben Barka et tentera d’impossibles compromis entre Palestiniens et Israëliens.

Isabelle Vichniac apporte un soutien précieux aux fugitifs car, journaliste, elle est sur place la correspondante du Monde, ce qui donne une écho national et international aux articles qu’elle leur consacre. Installés à Genève à l’Hôtel de Rive, ils font parler d’eux, donnent des conférences de presse; elles attirent « des journalistes, mais également des sympathisants. L’un des plus assidus n’est autre que le fameux banquier nazi, François Genoud » (B. Violet, 2000 : 107). Comme souvent, B. Violet ne mentionne pas de source, mais on a vu un peu plus haut que compte tenu du lieu et des circonstances, on se demande comment F. Genoud n’aurait pas cherché à se rapprocher de J. Vergès, s’il ne l’avait pas déjà rencontré.

Toujours est-il que les liens entre le FLN et Genoud sont déjà anciens et établis. Dès 1955, en relation avec Mohamed Khider et en compagnie de son cher ami Hjalmar Schacht (ancien ministre des finances du Troisième Reich, un nazi qui croit, comme Genoud, que le national-socialisme peut conquérir le monde sans avoir à faire une autre guerre), il place les fonds algériens à l’Arab Commercial Bank de Genève sur des comptes qui seront alimentés par les « passeurs » de valises du réseau Jeanson. Des sommes énormes transitent ainsi vers la Suisse pour former ce que l’on nommera « le trésor du FLN ».

Après la fin de la guerre d’Algérie, en 1962, Genoud se rend en Algérie et y devient, en 1963, directeur de la Banque Populaire Arabe (BPA) à Alger qui doit rapatrier au pays les fonds déposés en Suisse. Même s’il est quasi certain, comme on vient de le voir, qu’ils se sont déjà rencontrés en Suisse auparavant, dans ces années 1962-1964, Genoud et J. Vergès se sont forcément retrouvés, le second étant alors bien en cour auprès du FLN. Les choses se gâtent bientôt pourtant en raison des rivalités entre les leaders algériens et J. Vergès, comme F. Gernoud en font les frais ! On l'a vu dans un texte précédent et je n'y reviens pas.

Un autre homme tient une place centrale dans toute cette affaire, Bachir Boumaza, l’un des héros de la libération algérienne, connu surtout pour sa spectaculaire évasion de la prison de Fresnes en octobre 1961. Deux fois ministre dans le gouvernement Ben Bella en 1962, il est membre du Conseil de la Révolution après la prise du pouvoir par Boumedienne, qui le nomme, à son tour, ministre. Accusé de complot et démis de ses fonctions, il s’enfuit en octobre 1966 et gagne la Suisse où il s’installe et où ses activités demeurent mystérieuses. Alors que comme ministre algérien, il avait eu à Alger, avec F. Genoud les démêlés qui ont été ci-dessus évoqués et qui avaient conduit à l’arrestation temporaire de ce dernier, il se réconcilie avec lui. Selon P. Péan (L’extrémiste), B. Boumaza, comme F. Genoud et J. Vergès, s’implique alors dans le combat des Palestiniens aux côtés de Wadi Haddad, Georges Habbache et Abou Jihad. Il semble aussi être en liaison avec le régime de Saddam Hussein.

Pour en revenir aux affaires financières des années 60, Djamila, épouse de J. Vergès, arrive en Suisse, chez Jacques Vichniac-Givet, au printemps de 1967 ;elle essaye alors d’intervenir dans le contentieux financier dans la mesure où elle est l’une des dirigeantes de l’association Djid-el-Djadid (qui recueille des fonds pour les orphelins de l’Algérie) et où la Banque Commerciale Arabe aurait détourné des dons venant du Moyen-Orient. Peut-être en la circonstance a-t-elle eu affaire, elle aussi, à « l’ami Genoud » ?

Même s’il en parle très peu dans le cours de son ouvrage, J. Givet fait pourtant entrer en scène F. Genoud dès le chapitre introductif intitulé « Ce que je savais de Jacques Vergès ». On y trouve le récit de la naissance de leur amitié et l’esquisse de sa dégradation progressive qui va tenir, pour une bonne part, à partir de 1965, aux prises de position anti-israéliennes et pro-palestiniennes de l’avocat. La dernière figure évoquée lors ce premier chapitre, dans les trois lignes qui le terminent, est précisément celle de F. Genoud. C’est très peu, mais l’entrée est fracassante et riche d’enseignement :
« Le financier nazi, François Genoud, légataire des droits d’auteur d’Hitler, Goebbels et Bormann est à ses côtés [de J.Vergès], en qualité de « conseiller bénévole ». (1986 : 19). F. Genoud, dans cette affaire, est donc conseiller « bénévole », mais il est « assisté » par J. Vergès, lors du procès de Winterthur en Suisse, en décembre 1969. On y juge les membres des commandos de l’OLP qui ont attaqué des avions d’El Al en 1968-1969. C’est l’Arab Commercial Bank, que contrôle Genoud, qui paye les frais de la défense (David Lee Preston, « Hitler’s Swiss Connection », p.5) et qui, comme on peut l’imaginer, c’est elle qui « indemnise » J. Vergès pour son « assistance » qui n'est sûrement pas "bénévole".

B. Violet décrit aussi dans le plus grand détail le rôle de J. Vergès dans l’affaire Magdalena Kopp, la « fiancée de Carlos » qui est arrêtée en février 1982 et les rapports de J. Vergès avec Carlos lui-même. On y retrouve la même paire de vieux amis. Les réseaux terroristes européens, soutenus par le réseau des anciens nazis, ont-ils alimenté sa caisse noire pour rémunérer les précieux services, de natures très diverses, de notre avocat ? Moins d’un mois après l’attentat du train le Capitole qui a fait cinq morts et 27 blessés, M. Kopp est condamnée à 4 ans de prison, ce qui peut apparaître comme un verdict de clémence un peu inattendu, que J. Vergès aurait, peut-être, plus ou moins négocié avec le gouvernement français. Par ailleurs, comme on le verra plus loin, F. Genoud a reconnu son soutien aux terroristes et à Carlos en particulier. Jacques Vergès en aurait-il bénéficié ? La chose paraît très probable.

7.2. L'ami François Genoud (1915-1996): le banquier des nazis et le nazi des banquiers.

A ce point de ce post, car nul ne le fait parmi les hagiographes de J. Vergès, il est indispensable d'éclairer enfin le lecteur sur le singulier personnage qu'est François Genoud. Même si les amis de nos amis ne sont pas toujours nécessairement nos amis, la fréquentation si prolongée de F. Genoud et une collaboration si active pose problème, et cela d’autant que la carte de visite du personnage offre bien des éléments intéressants dont il ne fait nullement mystère, mais que tout le monde feint d'ignorer, y compris S. Riand, thuriféraire suisse de J. Vergès dans Mediapart qui promettait récemment une grande "surprise" qu'on attend toujours!

F. Genoud mérite mieux en effet qu’une simple mention en passant, car sa vie est un roman auquel sa mort apporte une touche finale remarquable. Un de ses biographes, David Lee Preston (« Hitler’s Swiss Connection », in Philadelphia Inquirer du 5 janvier 1997 d’où provient l’essentiel des informations qui suivent et que confirment les autres sources) le définit ainsi  : « Homme urbain, avec un air important et respectable, Genoud n’était pas un citoyen suisse ordinaire »

C’est le moins qu’on puisse dire et c'est fort heureux !

L’homme, élégant, distingué, mondain est entouré de la plus grande considération dans sa bonne ville de Lausanne; il est l’un des clients les plus choyés de l’hôtel Beau Rivage, où il traite les journalistes. On note toutefois qu’il se présente toujours en claquant les talons et que ses yeux se mouillent dès qu’il évoque le souvenir d’Hitler.

En effet, toute sa vie active (soixante années bien remplies) s’est trouvée déterminée quand, en 1932 (à dix-sept ans, mais pour lui, c'est vrai !), en Allemagne où sa famille l’a envoyé pour faire des études et apprendre la discipline, il rencontre Adolphe Hitler dans un hôtel de Bad Godesberg. Le jeune homme fait part de son vif intérêt pour le national-socialisme et Hitler lui serre la main. Il ne s’en remettra jamais et, soixante ans après, Genoud persiste et signe : « Mes vues n’ont pas changé depuis que j’étais un jeune homme. Hitler était un grand chef et, s’il avait gagné la guerre, le monde s’en porterait mieux aujourd’hui.».

En 1934, revenu en Suisse, il adhère au Front National pro-nazi; il se rend en Palestine et s'y lie avec le Grand Mufti de Jérusalem, Amin el-Husseini, leader pro nazi des Palestiniens musulmans, qui séjourne en Allemagne durant la guerre. Ce dernier, jusqu’à sa mort, en 1974, considérera F. Genoud comme son confident.

F. Genoud voyage alors beaucoup, en particulier au Moyen Orient et, en 1941, il s’est mis au service de l’Abwehr (le service de renseignement allemand), par l’intermédiaire de son ami Paul Dickopf qui en est l’agent (ce dernier sera ensuite, de 1968 à 1972, contre toute attente, à la tête d’Interpol !).

Aux activités de renseignement et d'espionnage, F. Genoud ajoute un rôle financier qui prend de plus en plus d’importance. P. Dickopf le charge de faire passer en Suisse et d’y placer l’immense butin réalisé au cours des pillages allemands, en particulier en dépouillant les Juifs, vivants ou morts : liquidités, or, diamants, etc. Les milliards volés passent en Suisse par cette voie. Ils serviront ensuite à financer (à travers l’organisation ODESSA), d’abord la fuite et la réinsertion des nazis, puis des « opérations » de natures diverses décidées par Genoud et ses amis. C’est ainsi que, dès 1955, il devient le conseiller et le banquier du nationalisme arabe, ce qui explique naturellement l’intervention de Nasser après l’arrestation de Genoud par le gouvernement d’Alger (cf. supra). A travers la société « AraboAfrika », il organise à la fois la propagande anti-juive et anti-israélienne aussi bien qu’il livre des armes à divers mouvements (dont, bien entendu, le FLN).

Dans toutes ces activités se mêlent, sans cesse et inextricablement, l’idéologique (la pensée nazie demeure partout explicite, présente et affirmée), le politique et le financier. Un des anciens nazis les plus proches de F. Genoud est Hjalmar Schacht, ancien ministre des finances et président de la Reichsbank du Troisième Reich.

L’aspect le plus pittoresque est la vocation éditoriale de F. Genoud. « Agent littéraire » des plus hauts dignitaires du Reich, Hitler, Goebbels et Bormann ; il a obtenu des familles les droits posthumes de leurs écrits (ce sont là ses propres termes ; cf. Le Monde, 20/3/65). Il va même à Nuremberg, en 1946, pour obtenir de Ramcke des enregistrements de conversations d’Hitler. On y apprend entre autres, ce qui établit une corrélation intéressante entre l’anticolonialisme et le nazisme, que le Fuhrer lui-même comptait déjà (Stalingrad avait sans doute été pour quelque chose dans l'évolution de sa "pensée") sur les peuples du Tiers Monde pour achever l’œuvre du Reich de Mille Ans

Beaucoup jugent aujourd’hui que ce Testament politique de Hitler, constitué par des « notes réunies par M. Bormann », début 1945, est, en réalité, un faux forgé par F. Genoud lui même et qui vise, entre autres, à justifier, par des propos prophétiques de Hitler, le rapprochement entre nazisme et islamisme. Quoiqu’il en soit, Genoud, à qui le sens des affaires ne fait jamais défaut, va gagner beaucoup d’argent dans l’édition des œuvres nazies. Il publie en particulier la correspondance de Bormann et vend les droits de reproduction à de nombreux magazines.

Toutefois, toutes les activités de F. Genoud ne sont pas, loin de là, de cette nature relativement paisible. Croyant les faits prescrits au bout de vingt ans, Genoud a raconté à P. Péan comment, en 1972, il a organisé, avec Wadi Haddad, l’attaque contre un Boeing 747 de la Lufthansa. On trouva alors un accord qui conduisit à la libération des passagers au Yémen, moyennant le versement au FPLP de 5 millions de $. En veine de confidence, Genoud reconnaît aussi qu’il a été en relation avec Carlos depuis le début des années 70, ce que confirme la lettre de Carlos déjà citée.

Laissons ici de côté « le trésor du FLN » et le procès de l’attaque de l’avion d’El Al à Zurich (1969) dont je parle par ailleurs puisque J. Vergès s’y trouve plus directement concerné ; F. Genoud est aussi l’un des premiers et des plus ardents propagandistes des théories révisionnistes et négationnistes qu’il soutient, tant par l’exposé de ses propres points de vue que par les moyens financiers dont il dispose (cf. J. Tarnero, « Le négationnisme. Une maladie de l’âme », in Mémoire 2000)

En octobre1993, comme quelques décennies plus tôt son ami J. Vergès, il est l’objet d’un attentat qui semble plutôt un avertissement ; une bombe explose devant la porte de sa maison, ne causant que quelques dégâts matériels.  Toutefois, les menaces de la justice à l’abri desquelles il s’était tenu toute sa vie durant, se précisent alors. Un demi-siècle après la fin de la guerre, le gouvernement suisse accepte enfin que soit, en partie, levé le secret bancaire pour les fonds nazis et les biens des Juifs disparus. En outre, la justice suisse reprend ses investigations au sujet du rôle de F. Genoud dans l’attaque de l’avion allemand en 1972 qu’il a imprudemment confessé à P. Péan, se jugeant, à tort, protégé par la prescription.

Ces menaces qu’il n’a jamais connues, sa vie durant, vont le pousser en 1996 à mettre en scène sa mort, un peu sur le modèle de son idole, Adolphe Hitler, mais de façon plus romantique. Le décès de sa seconde femme Elizabeth (qui le secondait dans ses activités) l’a laissé inconsolable. F. Genoud est membre de l’association Exit, qui milite en faveur de l’assistance au suicide. Le 31 mai 1996, dans un restaurant de Pully, en présence de ses amis proches et de ses deux filles, François Genoud boit donc le poison qu’on a préparé à son intention.

7-3 Qui a choisi J. Vergès et qui l'a payé pour le procès Barbie ?

Il est certes infiniment probable que J. Vergès n’avait pas fait confidence à son ami Givet (qui était juif) de ses relations avec Genoud qui sont sans doute antérieures à 1960. Soyons clair ! Que J. Vergès ait défendu Barbie m'étonne mais ne me gêne pas. En revanche, j'aimerais savoir pourquoi Barbie a choisi Vergès pour le défendre et surtout qui a payé les honoraires de l'avocat. Je résume donc les seules questions qui m'intéressent et que je traiterai ici : Pourquoi Barbie a-t-il choisi J. Vergès pour le défendre et qui a payé les frais de cette défense ?

A priori, le choix est des plus étranges. J. Vergès fait volontiers état de son passé dans les Forces françaises libres qui ont combattu les Allemands, donc Barbie .(« Engagé à 17 ans… », aime-t-il à répéter à son propos ; on a vu qu’il en avait plutôt dix-neuf.. ; il assimilera, ensuite, cet engagement à un passé de « résistant », ce qui, comme le souligne à juste titre J. Givet qui, lui, avait été un vrai résistant et non un adepte du "tourisme guerrier", n’est tout de même pas la même chose , dans la réalité des faits, ( J. Givet, 1986 : 116).

Sur la défense d'un Barbie, la réponse est trop facile pour J. Vergès. Pour le coup, on note toutefois que la démocratie, par ailleurs haïssable, retrouve toutes ses vertus : « La démocratie exige que tout accusé soit défendu » déclare-t-il (L’Express, 28/2/05). Soit, mais le problème du choix de l'avocat reste entier. K. Barbie, planqué en Bolivie, ne devait pas suivre dans son détail l’actualité judiciaire française et, entre son arrestation (« son enlèvement » dirait son avocat) et le procès, on l’a assurément orienté et conseillé dans son choix.

Par ailleurs, se pose aussi la question des honoraires. La recherche des causes « médiatiques » est certes devenue une constante chez J. Vergès, mais finalement surtout après 1987 et le procès Barbie (Carlos, Omar Raddad, etc). Toutefois, même si les procès médiatisés attirent, dans la suite, des clients solvables (comme le Préfet Bonnet – c’est, en l’occurrence, l’Etat français qui a payé…- ou L.Y. Casetta), il faut bien faire bouillir la marmite quotidienne, payer l’impôt sur la fortune, acheter les coûteux havanes (nous savons grâce à T. Jean-Pierre que ce sont des Partagas et des Hoyos de Monterey), les grands crus de Bordeaux et autres menus plaisirs de la vie qui la rendent supportable (toujours un vieux Porto rouge en apéritif !). Même si J. Vergès se montre très discret (toujours la déontologie…), quelqu’un a bien dû payer et c’est, on le verra, comme en 1969, très probablement, l'ami de toujours, François Genoud.

J. Givet qui publie son livre en 1986, ne fait qu’évoquer la question, mais tout indique qu’il sait bien des choses, même s’il les a sans doute emportées avec lui dans sa tombe. Vers la fin de son livre, après avoir évoqué le « grand capital allemand qui est à l’origine du Grand Reich impérialiste », il ajoute :
« Ce qui n’a pas manqué d’amener des démocrates à se poser la question du financement de sa défense [celle de K. Barbie], une question que je ne me pose pas pour ma part; il est tout à fait normal qu’un bon avocat touche d’honorables honoraires, même si les payeurs le sont moins. » (1986 : 162).

De toute évidence, J. Givet sait qui a payé; l’allusion à des payeurs non « honorables » confirme une information qu’on trouve désormais ailleurs. Il tait la vérité car, dans ce cas comme en 1969 et dans bien d’autres cas, il n’y a sans doute eu ni chèque ni reçu et Givet ne veut pas donner matière à procès sur un point qu’il juge à la fois improuvable et mineur, ce qui est très loin d'être mon avis.

La pièce manquante du puzzle, sur les deux points (choix et honoraires), entre K. Barbie et J. Vergès, est bien entendu, l’ami François Genoud. On le sait désormais par de multiples sources ; c’est ce qu’avance, par exemple, G. Gaetner : « En 1987, grâce à l’intervention du banquier genevois François Genoud, éditeur des livres de Hitler et de Goebbels, il [J. Vergès] se voit confier la défense de l’ex-chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. » (L’Express, 28/2/05). Cette affirmation est intéressante et très importante par son lieu de publication. Cet article paraissant dans un numéro d’un magazine qui contient un « entretien » avec J. Vergès, publicité plus ou moins rédactionnelle pour son livre de 2005, il est certain que J. Vergès s’est donc vu soumettre les textes des deux articles. Il ne s’est pas opposé à la publication. Dont acte.

Il n’est d’ailleurs plus guère en position de nier. En effet, on connaît désormais tout le détail de l’affaire. C’est Genoud qui, une semaine après le retour de Barbie en Europe, téléphone à J. Vergès (qui sans doute ignorait jusqu’au nom de Klaus Barbie) pour lui demander d’assurer sa défense. L’avocat prend l’avion pour Genève, rencontre Genoud, puis vient à Lyon pour sa première entrevue avec Barbie qui, dit-on, n’est pas peu étonné de voir sa défense confiée à un « Asiatique »! (J. November, 2000). Ce dernier point, amusant, est, indirectement et involontairement, confirmé par J. Vergès lui-même. Racontant sa première entrevue avec K. Barbie, il écrit :
« Me fixant de ses yeux bleus au fond d’orbites profondes ; Klaus Barbie, la première fois qu’il me vit, dit simplement : « Ainsi, c’est vous qui me défendez. Comme le monde est étrange » (1998 : 72).

F. Genoud s’était fait une spécialité, dans sa lutte contre les Juifs et Israël, de financer la défense aussi bien des criminels de guerre nazis que des terroristes palestiniens. Pour lui, on l’a vu, comme pour Hitler, le combat était le même. Dès 1961, il paye déjà R. Servatius, l’avocat allemand qui assume la défense d’Eichmann (Vergès est, on l'a vu, très occupé alors !). Pour K. Barbie, c'est F. Genoud, comme en 1969 et comme, ensuite, dans le cas de Carlos, qui a, non seulement conseillé le choix de J. Vergès, mais surtout qui a payé les frais et les honoraires.

Jacques Vergès, lui, (mais ce n'est qu'un mensonge de plus), a longtemps nié avoir été payé par Genoud, donc par "l'or des nazis". En 1997, selon B. Violet, devant les élèves de l’Ecole des mines de Nancy, il affirme avoir reçu 150.000 francs d’honoraires de la fille de K. Barbie. Hélas, « Cette dernière, Ute Messmer, déclarera à l’hebdomadaire allemand Stern que ni elle ni son père n’ont déboursé le moindre centime pour l’assistance de Maître Vergès. » (Violet, 2000 : 223). Pourquoi mentirait-elle ?  On voit bien, en revanche, pourquoi J. Vergès ment.

A-t-il été payé sur les comptes suisses nazis, dont les fonds provenaient pour une large part de la spoliation des Juifs (ou des sacs de bijoux, d'alliances et de dents en or arrachés aux déportés gazés…) et que « gérait » F. Genoud  ou par une « quête » auprès des anciens nazis comme Genoud le prétendra? La première hypothèse est la plus ignoble mais de très loin la plus plausible

C’est d'ailleurs ce qu’on lit, entre les lignes, dans les propos de J. Givet. Il paraît aussi certain que, dans l’esprit du banquier de Lausanne, il était normal d’agir ainsi dans sa poursuite de l’idéologie nazie et dans sa lutte contre la « juiverie internationale ». Pour J. Vergès, les choses sont moins claires et il ne tient guère à les voir précisées !

On sait depuis Vespasien que l’argent n’a pas d’odeur, il peut parfois avoir un goût singulièrement amer, même une fois converti en havanes, en Mouton-Rothschild et en vieux porto rouge.!

Que Jacques Vergès ait défendu Barbie ne me choque pas et c'était son droit, même s'il aurait été plus digne et plus respectable de le faire pour rien, du seul fait de leurs  convictions personnelles communes. Il me paraît en revanche scandaleux (et il n'en était lui-même pas très fier pour avoir toujours menti sur ce point) d'avoir accepté le paiement de ses "honoraires" (on perçoit ici toute l'inadéquation d'un tel terme) par un prélèvement ignoble sur "l'or des nazis", arraché aux cadavres des victimes de l'holocauste.

Dans cette affaire, Klaus Barbie m'apparaît, finalement et somme toute, plus respectable que son avocat !

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