Messages les plus consultés

mercredi 11 septembre 2013

"Journaleux" ou "journalistes-sic".


Je crains que ça ne devienne chez moi une habitude que je réprouve chez les autres, mais je vais être obligé, contre tous mes usages, d'évoquer ma vie personnelle pour expliquer le titre de ce post.

Je soupçonne mon père, qui m'avait appris à lire lui-même avant que j'aille à l'école primaire (ce qui a eu pour conséquence immédiate de me faire virer de la classe par l'institutrice au cours de ma première heure de cours préparatoire !), de l'avoir fait dans Le canard enchaîné qui a toujours été, depuis ma plus tendre enfance, une lecture familiale. J'ai donc gardé de la fréquentation de cet hebdomadaire l'expression « journaliste sic» » qu'il semble aujourd'hui avoir abandonnée ; je l'interprétais, dans un sens clairement péjoratif car elle s'appliquait à des journalistes, extérieurs au Canard, qu'il fallait bien se résigner à nommer ainsi, faute d'un autre terme ;  le "sic", adjoint au mot "journaliste", marquait une forte réserve quant à la légitimité d'une telle dénomination. C'était un peu, au fond, l'emploi de ce même [sic], tel qu'on le met, entre crochets, dans une citation pour y relever une faute d'orthographe, une erreur ou une anomalie qu'on veut souligner en tant que telles, en empêchant par là qu'elle soit portée au compte d'une étourderie au plan de la citation.

Après avoir donné ce titre à ce billet, saisi de doutes, je me suis interrogé un peu plus sur cette expression. Je suis allé la chercher dans Google et j'ai été très étonné de ne pas la trouver. Je livre donc cette question à la sagacité de qui pourrait fournir de cette expression une explication autre et éventuellement plus satisfaisante. Quelle que soit l'origine de la formule, son sens est clair et la grande majorité des journalistes français sont ce que Le canard enchaîné d'autrefois appelait des "journalistes sic" et qu'on pourrait peut-être plus clairement nommer, car le mot est dans le Trésor de la langue française, des "journaleux".

En fait, le point de départ de cette courte méditation sur le journalisme français a été de songer à ce qu'il est, dans nombre de ses figures majeures, une gérontocratie, d'autant plus notable que l'on parle, en ce moment même, de la question des retraites et, en particulier, de la prise en compte de la pénibilité.

Le nombre des septuagénaires qui hantent les rédactions, en particulier dans l'audiovisuel, est tout à fait impressionnant ; la génération des 70 à 75 ans (d'Elkabbach ou Yvan Levaï à Carreyrou en passant par Alain Duhamel, Catherine Ney, Robert Namias ou Charles Villeneuve - les "grandes voix d'Europe 1" (tu parles !) - et des dizaines d'autres – y tient une place d'autant plus grande que ces journalistes exercent un métier dont on ne sait s'il figurera parmi les travaux à pénibilité particulière, ce dont on peut douter à voir la façon dont ils exercent et cumulent leurs emplois.

La pénibilité de ce métier ne paraît pas trop grande non plus, si l'on en juge par l'atmosphère des rédactions qu'il m'a été donné de voir par le passé, par l'activité que montrent à l'antenne ceux qui y sont admis et dont le rôle se borne à lire des prompteurs où sont reproduites des dépêches d'agence ou des textes qu'ont rédigés, selon la même procédure et à partir des mêmes sources, leurs assistant(e)s (car dans ce métier, on a souvent, en outre, des assistant(e)s).

Un indice de la grande pénibilité de cette activité tient aussi au fait que, très souvent, ces "journalistes sic" fonctionnent dans plusieurs médias et passent allègrement d'une radio à une autre ou une chaîne télé à une deuxième, la mise en boite leur garantissant le don d'ubiquité, cumulant le plus souvent les emplois, surtout depuis la multiplication des chaînes et l'arrivée des chaînes d'information continue. La chose est sans inconvénient apparent, vu la nullité uniforme de la plupart de leurs interventions.
Je n'ai jamais eu la patience de chronométrer le temps de parole des multiples intervenants auxquels le journaliste-vedette d'une des grandes chaînes nationales fait appel sur tel ou tel sujet dont il nous est toujours présenté comme "le spécialiste", ce dont nous fait douter l'indigence, pour ne pas dire la trivialité, du propos.

Il faut reconnaître qu'à les entendre, on se demande souvent d'où sortent la plupart des "journalistes sic" de l'audiovisuel. Faut-il poser en principe que la place de la gérontocratie que j'évoquais précédemment, résulte du fait que les septuagénaires sont meilleurs que les nouveaux venus, même si l'on ne peut que s'étonner quand on regarde, d'un peu près l'origine des vedettes de nos écrans, et nos micros. Ce sont souvent comme l'ineffable Jean-Jacques Bourdin ou Drucker d'anciens reporters sportifs ou comme Robert Namias de vagues ex-adjoints d'enseignement De la même façon France2, au personnel déjà pléthorique, a recruté en 2012 comme rédacteur en chef du service économique, un "économiste" qui se proclame tel avec deux maîtrises...l'une de lettres modernes, l'autre de philosophie !

Toutefois, tout indique que la principale qualité que l'on exige des "journalistes sic" de l'audiovisuel n'est ni la culture, ni le savoir, ni la curiosité ni la facilité de parole, car la moindre de leurs prestations démontre qu'ils sont dépourvus de toutes ces vertus à la fois, mais la souplesse de l'échine car la servilité est, on ne sait trop pourquoi, la première qualité de ces "journaleux" français, tant devant les annonceurs (ce que l'on comprend car ils assurent leurs revenus) que devant les politiques, sans doute par habitude.

On se demande en effet la raison de tels comportements, car la plupart des hommes politiques, qui sont en recherche permanente de passages à la radio comme à la télévision, viendraient à genoux se faire interviewer, ce qui consiste désormais pour eux à débiter ce qu'on appelle désormais si improprement et si stupidement "des éléments de langage". Ils ne savent même pas, le sens d'une telle expression qui, en général, ne qualifie que de simples argumentaires.

Un exemple entre dix, au hasard, car j'évite, en général, ces consternants spectacles,. l'interview de Laurent Fabius par un certain Letellier sur France3 il y a deux ou trois jours ; la question était évidemment la responsabilité dans l'usage du sarin en Syrie. Comme d'habitude, tournant autour du pot, le journaleux n'a pas posé la seule bonne question qui est très simple : « La commission d'enquête de l'ONU est-elle chargée d'identifier les responsabilités dans cette affaire, puisque tout le monde sait qu'il s'agit de gaz sarin ? ».

Qu'attendre du rapport de cette commission sur ce point ? La réponse est évidemment " Rien !" puisque, non seulement cette commission n'est pas chargée de déterminer les responsabilités dans le gazage, mais qu'il lui est, au contraire, formellement et totalement interdit, de prendre position sur cette question.

Fabius, de toute sa hauteur de très ancien "plus jeune Premier ministre de France" nous a donc parlé de tout et de rien ; il nous a débité les "éléments de langage " du MAE en cinq points, sans répondre évidemment à une question qui ne lui avait pas été posée et en se répandant en considérations sur n'importe quoi, sans que le journaliste cherche à le faire revenir au véritable objet du débat.

Comme je l'ai déjà dit, mais comment ne pas le répéter, les journalistes sic français sont tellement aux ordres qu'il n'y a même pas besoin de leur en donner puisqu'ils les préviennent en tous points.

Bis repetita chez Bourdin qui, ce mardi 10 septembre 2013, au matin sur RMC, recevait Moscovici. Bourdin lui se flatte (il roule toujours les mécaniques... après le départ de l'interviewé) de poser les "bonnes" questions, mais se satisfait toujours aussi de l'absence de réponse, au lieu de virer immédiatement du studio l'intéressé, devant une telle attitude de sa part !

La vraie question est de savoir ce qui cause une telle servilité. Les explications qui sont avancées dans le domaine ne tiennent guère. Quand il s'agit de la presse écrite, on prétend, en effet, que cette presse, moribonde, dépend entièrement de l'État qui la fait survivre par des subventions, des publicités et des formes d'assistance plus ou moins dissimulées. Le curieux de la chose est que cette presse écrite montre plutôt plus d'esprit d'indépendance que la presse audiovisuelle qui, elle, est totalement servile. Petits mystères sur lequel j'aimerais que me donnent des éléments d'explication des gens qui sont plus perspicaces ou mieux informés que moi.

Aucun commentaire: