jeudi 19 septembre 2013
"Educateurs prioritaires" : encore l'école et toujours les mêmes sottises!
Dire que je résiste quotidiennement à la tentation d'écrire à nouveau sur l'école, alors que j'y suis sans cesse poussé, ne serait-ce que la lecture de toutes les sottises qu'on peut proférer à son sujet! J'ai écrit, depuis sept ans, tant de billets sur le sujet que j'en ai même fait un petit livre dont je ne sais pas trop ce que je ferai vu le climat général qui fait de la question du mercredi l'alpha et l'omega de toute réflexion sur notre système scolaire.
Et voilà qu'aujourd'hui, alors que je triomphais jusqu'à présent des tentations qui m'assaillent chaque jour, j'ai, pour mon malheur, lu dans le Club de Mediapart un texte qui figure sous la rubrique « Educateurs prioritaires : ZEP » et qui est publié sous la signature de Monsieur Émile Lanoë que je ne connais pas davantage et à qui je ne veux assurément aucun mal ; j'ai entendu ou lu dix fois déjà les étranges propos qu'il y tient et qui ne sont pas plus exacts que tout ce qu'on a coutume de proférer à la matière. Il est tout de même étonnant que des gens qui se piquent d'exposer leur point de vue sur l'école et ses problèmes témoignent souvent de pareilles ignorances ou d'idées si fausses sur son fonctionnement.
J'aborderai donc la critique de ce billet qui concerne l'éducation dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP) par quelques citations du texte en cause.
L'auteur part de deux constats qui sont tout à fait incontestables et sur lequel il s'interroge d'une façon que je juge d'emblée étonnante, pour qui connaît, tant soit peu, le fonctionnement de notre éducation nationale. Il écrit ainsi et je cite avec quelques coupures ou remarques que je signale selon l'usage :
"La banlieue parisienne accueille aujourd'hui beaucoup des jeunes enseignants qui débutent [...]. Près de 50 % des nouveaux titulaires commence leur carrière en banlieue parisienne". Sans doute, comme pendant la guerre d'Algérie, on affectait là-bas les nouveaux recrutés car on y manquait d'enseignants et nul ne voulait y aller ! L'explication suit, même si M. Lanoë ne la voit pas ou, en tout cas, ne l'évoque pas.
Il poursuit tout aussi logiquement, avec pertinence : « Un professeur sur quatre quitte ainsi chaque année l'académie de Créteil et ses nombreux établissements difficiles, remplacé la plupart du temps [ il pourrait dire TOUJOURS ] par un professeur débutant, pas aidé par la suppression de la formation aux jeunes enseignants.[…; dans le 93 ou les quartiers Nord de Marseille, on, aurait dû y introduire, en revanche, en formation spécifique, le self defense ou le close combat !]. Ce ne sont pas des professeurs expérimentés qui sont nommés mais bien des professeurs stagiaires, chose impensables il y a peu [le soulignement de stupeur est de moi !] ».
Il est difficile, en si peu de lignes, d'accumuler autant d'erreurs et de naïvetés confondantes.
Je commencerai par la plus stupéfiante de toutes, que j'ai mise en gras. Chose inouïe : on nommerait dans cette région, où personne ne veut aller, des "professeurs stagiaires, chose impensable il y a peu". C'est pourtant, on la vue, une grande tradition de notre système éducatif !
Un mot d'explication sur ce que je croyais connu de tous. Tout d'abord, dans la plupart des catégories d'enseignants, une fois reçu au concours (je ne parle pas ici des vacataires ou assimilés, taillables et corvéables à merci), on est, la première année, "stagiaire" ; cela dit, cher Monsieur, il en a toujours été ainsi ; si vous avez, comme je le pense, passé un concours de recrutement, vous devez savoir que l'Education nationale vous nomme là où elle veut (la seule exception était autrefois celle des instituteurs que l'on ne nommait pas hors de l'académie). Vous n'avez aucun recours contre cette nomination, sauf celui de la démission. Seuls, quelques privilégiés, classés en tête de liste des concours, se voient demander aimablement, par l'inspecteur général qui préside le jury, où ils souhaiteraient être nommés. Pour tous les autres, la nomination tombe comme un couperet, toujours redouté.
C'est le seul moment dans la vie d'un enseignant où le ministère a tout pouvoir sur son affectation et bien entendu il en profite ! Ensuite, le professeur titulaire devient inamovible; vous pensez bien que l'enseignant, qui a fait quelques années de purgatoire (on doit, en principe, rester deux ans au moins dans son premier poste), n'a aucune envie ensuite de le retrouver au hasard d'une mutation. C'est donc, en fait, tout le problème du statut même des professeurs et plus généralement des fonctionnaires qui se pose ici. Vaste programme !
La suggestion finale ("Faire venir des professeurs expérimentés qui ont exercé pendant un bon moment dans un lycée tranquille"), si pleine de bon sens qu'elle soit, est donc totalement utopique. La seconde solution évoquée l'est tout autant : « Faire rester les jeunes professeurs dans les établissements prioritaires plutôt que de rêver [le caractère onirique de la chose est donc admis par l'auteur lui-même] faire venir des professeurs expérimentés nécessite donc la mise en place d'un large volant de mesures incitatives dont les effets doivent donner l'envie de venir et surtout de rester le plus longtemps possible. ».
L'évocation de ces deux mesures relève évidemment de la pure fantaisie car, sauf à changer le statut de la fonction publique, pour les professeurs du moins, il est totalement impossible d'affecter de force dans le 93 un enseignant des Alpes-Maritimes ou même de la Creuse d'ailleurs. Ils « ne seront pas faciles à convaincre" reconnaissez-vous avec honnêteté et j'admire ici votre sens de la litote!
Les solutions que vous envisagez sont aussi utopiques l'une que l'autre car les jeunes professeurs nommés dans ces zones n'ont qu'une envie, c'est de les fuir le plus tôt possible, quitte à démissionner de l'éducation nationale, s'ils n'y parviennent pas (je connais des cas de ce genre) et, à la limite, on les comprend de faire ce type de choix. Quant aux "professeurs expérimentés de province qu'on voudrait faire monter dans l'académie de Créteil", ce ne sont pas les maigres primes ou les bonifications d'échelon qu'on peut leur accorder s'ils acceptent cette mutation qui, comme on l'a d'ailleurs vu, sont susceptibles de les faire changer d'avis.
Vous oubliez aussi ou plutôt surtout un détail très important. Un professeur, qui a passé une dizaine d'années dans un poste provincial, est souvent lui-même marié (souvent en outre, avec un poste "double", à une autre enseignante qui exerce au même endroit), a désormais une famille, une logement parfois et il lui est rigoureusement impossible d'envisager une mutation, quelles que soient les promesses qu'on peut lui faire.
J'ai essayé d'être aussi mesuré que possible dans mes propos, mais je dois dire que la moutarde me monte au nez très fréquemment quand j'entends les sottises qu'on lit dans les journaux ou qu'on entend dans les médias sur des questions qui sont gravissimes. Elles témoignent d'ignorances scandaleuses des réalités et pire encore, elles détournent de ce qui serait la vraie solution à ces questions dans les ZEP surtout mais ailleurs aussi, c'est-à-dire de prendre en compte que, dans les "quartiers", comme on dit maintenant si improprement, il y a une population scolaire qui n'est plus du tout celle qu'elle était il y a quelques dizaines d'années encore et pour laquelle on a élaboré des programmes et fixé des objectifs qui sont évidemment totalement inadaptés au public qu'accueillent désormais, dans des proportions variables, nos établissements scolaires.
Un fabricant de chaussures, de conserves ou de quoi que ce soit, étudie son "marché", se préoccupe de connaître du mieux possible sa clientèle et s'efforce de concevoir et d'adapter à cette clientèle les produits qu'il souhaite y diffuser. L'éducation nationale n'en fait manifestement rien et ses syndicats, en général, ne s'intéressent en aucune façon à ce qui se passe dans les classes, exclusivement préoccupés qu'ils sont par les questions de postes et de moyens. Je n'ai même pas pris la peine de relever dans ce billet la tarte à la crème du nombre d'élèves par classe ("réduire le nombre d'élèves par classe"), bidet de bataille syndical par excellence, alors que toutes les études sur ce point montrent que, lorsque cette diminution n'est que faible (et comment pourrait-il être autre, quand, à effectifs scolaires égaux, primaire et secondaire confondus, nous dépensons déjà 30 milliards de plus par an que l'Allemagne ou l'Angleterre), une telle mesure n'a rigoureusement aucune incidence sur le fonctionnement pédagogique et les résultats.
"Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette !".
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