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samedi 21 septembre 2013

La littérature dans Mediapart : "Marcel Proust le cannibale drôle "


Il est rare que MDP fasse une place à la littérature ; à la rigueur, trouve-t-on, ici ou là, un billet dans le Club, mais il est très rare qu'il figure en première page et plus rarement encore, en haut de la première page du Journal comme c'est le cas aujourd'hui, 20 septembre 2013, pour un billet de Jacques Dubois sur un ouvrage de Claude Arnaud qu'il juge "remarquable" et qui s'intitule Proust contre Cocteau.

J'avoue tout ignorer des travaux de Claude Arnaud (que J. Dubois pourvoit, en finale, tantôt d'un "t", tantôt d'un "d", ce qui, pour un patronyme si commun, a singulièrement compliqué mes recherches sur ce modeste auteur). Pour ce qui le concerne, il me semble plutôt s'intéresser à Cocteau qu'alors que j'ai personnellement une position tout à fait inverse. Quant à l'intérêt de Jacques Dubois, il s'explique sans doute par l'une de ses publications Pour Albertine. Proust et le sens du social (Paris, Seuil, 1997 et 2011).

J'ai eu autrefois Proust au programme d'agrégation et j'avoue avoir pris goût à cet auteur que j'ai lu et relu tout au long de ma vie ; il m'est si familier que, lorsque je le reprends, je pratique ce que les Latins auraient appelé, à de toutes autres fins, des "sortes Prousti", ouvrant la Recherche au hasard, non pour y trouver quelque indice sur ma future destinée, mais parce que je suis sûr de m'y retrouver très vite dans un univers familier et que j'apprécie toujours. Pour ce qui concerne les aspects biographiques de cet auteur, j'en suis resté à Georges Painter dont la copieuse et magnifique biographie de Proust me paraît incomparable et me suffit largement.

Je suis un peu étonné de voir Jacques Dubois, un professeur belge très honorablement connu dans divers domaines (dont la sociocritique) et notable pour son livre sur Proust que j'ai évoqué, se risquer dans cette affaire sous de tels titres et plus encore de voir le livre de C. Arnaud/t jouir de la faveur de MDP, car il faut bien en convenir, le sujet est léger et on peut discuter certaines des positions qui sont exposées dans cet ouvrage, du moins à en croire Jacques Dubois, car je n'ai pas eu la curiosité d'aller voir l'ouvrage en cause lui même, faisant toute confiance à ce collègue d'Outre Quiévrain, en dépit de sa légère réserve finale sur l'ouvrage en cause.

On nous y apprend d'emblée que ces deux auteurs, proches "homosexuellement, sans pour autant être amants" le furent plus encore par la littérature, "échangeant leurs œuvres respectives pendant qu'elles s'écrivaient". Je ne veux pas discuter ni les faits ni les dates, connaissant trop mal le sujet, mais, en me référant aux seules données exposées par Jacques Dubois d'après C. Arnaut, on constate un problème. Si, comme le disent ces auteurs, l'amitié entre Cocteau et Proust "est née en 1910", Proust avait déjà pas mal écrit à cette date, en l'absence manifeste des judicieux conseils de Cocteau. Non seulement, il a déjà écrit divers textes dont Jean Santeuil, mais il a même largement entamé la rédaction de la Recherche qu'il commence à écrire, si mes souvenirs sont bons, en 1907. L'amitié de Cocteau n'est donc sans doute  pas pour grand chose dans toute cette affaire.

Je ne sais pas ce que sont les relations entre Jacques Dubois et Claude Arnaud mais je trouve le premier (qui semble apprécier fort le second) quelque peu excessif envers Cocteau mais surtout dur à l'égard de Marcel Proust dont il déclare qu'il sera "l'auteur d'une seule [inexact bien sûr, mais surtout quelle oeuvre !] œuvre laborieusement [ces termes sont soulignés par moi] produite et qui mettra un certain temps à rayonner du vivant de l'auteur, malgré le prix Goncourt de 1917".

Ce condescendant "laborieusement" me chiffonne quelque peu et d'une certaine façon aussi le désobligeant "un certain temps" . Proust commence la Recherche en 1907 et sa publication, en dépit de l'importance du texte, qui devait quelque peu effrayer les éditeurs, débute en 1913, l'amenant à recevoir le prix Goncourt en 1917. Après tout, il n'y pas tant d'auteurs qui ont une carrière littéraire si rapide et si brillante. On se le dispute d'ailleurs et, en 1914, la NRF, comme Jacques Dubois a l'honnêteté de le souligner, "reprend à Grasset Du côté de chez Swann" alors qu'elle "refuse de publier des poèmes de Cocteau".

Mauvaise langue pour mauvaise langue, je dirais volontiers de Cocteau ce que disait Musset de Lamartine "Il y a du génie, du talent, de la facilité..." !

Je ne suis donc pas sûr du tout que l'influence de Cocteau sur Proust l'ait poussé « à se surpasser dans son mimétisme prédateur ». C'est bien entendu une opinion purement personnelle, mais je connais peu d'auteurs que je jugerai, d'emblée et à l'emporte-pièce, plus différents l'un de l'autre que Cocteau et Proust.

Jacques Dubois ajoute à l'appui de son point de vue : « Cocteau fut l'un des innombrables modèles qui poussèrent Proust à se surpasser, dans son mimétisme prédateur [d'où le titre insolite du billet de Jacques Dubois "Marcel Proust cannibale"]. Son style fut l'un des pollens dans lesquels ce faux bourdon planta son dard ; on en trouve parfois trace dans l'épaisseur de son miel composite » (page 102).
Ces traces ont toute chances d'être des plus rares ; Claude Arnaud est assurément un grand amateur de Cocteau et comme le dit J. Dubois, en prélude à la citation de cette métaphore : "sa manière est volontiers fleurie". Le problème est qu'elle est aussi loufoque et incohérente. C. Arnaud/t aurait dû également lire, outre Cocteau, Fabre ou Maeterlinck et s'informer mieux sur la vie des abeilles. En effet les faux bourdons, les abeilles mâles, ne produisent pas de miel et n'ont donc pas à butiner ; ils risquent moins encore de "planter leur dard dans les pollens" puisqu'ils sont dépourvus de dard ! Les abeilles elles même butinent avec la langue et non avec le dard qui ne leur sert qu'à se défendre, en général au péril de leur propre vie.

Une remarque en revanche, qui m'a beaucoup intéressé, est celle qui est faite à propos de l'amitié de ces deux êtres « qui adoraient rire ensemble. ». La gaieté de Proust est, en effet, un trait quelque peu inattendu pour certains lecteurs qui connaissent peu ou mal cet auteur.

Divers témoignages confirment cette gaité de Proust dont celui d'Anna de Noailles (un peu suspecte de complaisance ) mais surtout celui de Léon Daudet, polémiste truculent, qui n'est guère tendre en général et qui nous dit « Marcel Proust pouvait être plus gai que personne ». Ces témoignages sur la gaieté de Proust dans la vie courante seraient sans grande importance, s'ils ne confirmaient pas un trait majeur de son œuvre qui, pourtant, a été peu remarqué et moins encore étudié, et qui est constitué par diverses formes de son comique ou mieux de sa drôlerie. Aurais-je eu à faire une troisième thèse que je l'aurais sans doute faite sur "l'humour et le comique dans la Recherche" et le sujet me paraît toujours disponible. Avis aux amateurs!

Je signale que, voulant vérifier si ce sujet avait été étudié dans une période plus récente, je n'ai guère trouvé qu'un article de F. Karimian (2005) sur "l'humour proustien", mais surtout un intéressant site d'André Vincens que vous trouverez aisément sous < Proust-personnages.fr> et qui contient différentes citations dont celle que j'avais projet de proposer pour conclure ce billet dont je ne veux pas rendre la longueur excessive.

Un des traits, qui me fait revenir assez souvent la lecture de Proust, et un peu au hasard car il s'y trouve partout, est en effet que sa drôlerie prend parfois des aspects linguistiques, lorsque Proust, excellent observateur des détails comme on le sait, s'amuse à relever les prononciations étranges où les expressions bizarres de certains de ses personnages, avec toujours des notations d'une extrême finesse et d'une grande précision.

Il y aussi un passage que je m'amuse souvent à citer en demandant de deviner le nom de l'auteur sans avoir jamais trouvé quiconque capable de l'identifier. Vous aurez assurément aucun mal à le faire ici.

"Que vous alliez faire pipi chez la comtesse Caca, ou caca chez la baronne Pipi, c’est la même chose, vous aurez compromis votre réputation et pris un torchon breneux comme papier hygiénique. Ce qui est malpropre. ». Ce propos est de Charlus ; il est adressé à Morel et Proust ajoute : "Morel avait recueilli pieusement cette leçon d’histoire, peut-être un peu sommaire".

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