Mon billet numéro huit, consacré à la vieille et indéfectible amitié entre Jacques Vergès et François Genoud, le banquier des nazis et le nazi des banquiers, qui éclaire toute la carrière de notre avocat, a suscité un échange de propos avec Bernard Gensane sur lequel je souhaite revenir brièvement, avant d'entamer le texte de ce billet. Quelques indices me donnent à penser qu'il sera l'avant-dernier de la série et très probablement de ma participation au Club de Mdp.
Bernard Gensane me reproche d'évoquer les cigares, le Mouton Rothschild et le porto rouge de Jacques Vergès et écrit " Je me fiche de ses cigares et de son porto". Moi aussi et je n'ai rigoureusement rien, en tant que tels, contre ces trois plaisirs de l'existence, quoique je ne les pratique pas du tout pour le premier et relativement peu pour les deux autres. Le problème n'est évidemment pas là, et B. Densane le sait, pas plus qu'il n'est dans les fornications de Karl Marx avec sa bonne.
Je ne connais guère de photos de Jacques Vergès où il n'apparaisse pas avec un cigare et on nous a même fait savoir, urbi et orbi, qu'il était mort avec un verre de vieux Bordeaux à la main. Il s'est même, dans le passé, fait photographier pour un magazine consacré aux cigares parmi d'autres vedettes de la presse people ; je crains toutefois que, dans ce cas-là, ses honoraires aient été moindres, quoique plus honorables, que dans d'autres circonstances. Ce qui me gêne dans le cas de J. Vergès, dont l'attitude est à ce point ostentatoire, pour ne pas dire provocante, tient à ce que, pour dire les choses autrement, je n'aime guère le comportement de ceux qui fricotent avec les rois nègres, tout en affirmant (et ce sont ses propres termes) qu'ils ont sans cesse dans leurs pensées "les pauvres Africains des mines et des forêts". J'avoue que, plus généralement encore, ce type d'individus, qui porte à gauche son cœur en écharpe mais planque à droite son épais morlingue, ne trouve guère grâce à mes yeux.
B. Gensane critique ainsi mon texte et je le cite : « Ce sont les imprécisions, les modalisations que l'on trouve dans tous vos billets précédents. Vos thèses n'en auraient plus que plus de force si vous étiez plus précis ». Je regrette évidemment (et je l'ai dit) de ne pouvoir donner des photocopies des reçus que Jacques Vergès aurait dû établir quand il recevait des mallettes de billets de François Genoud comme du général Eyadéma, de Bongo ou de Mobutu. Ce n'est malheureusement pas l'usage en pareils cas et je ne pense pas que quiconque puisse disposer de documents de cette nature!
Peut-être B. Gensane aurait-il préféré que je donne à la chose une tournure plus littéraire, en me livrant, vu mon manque de talent littéraire, à quelque misérable imitation de Candide. On y aurait vu Jacques Vergès, dans le rôle de Candide et Genoud dans celui de Pangloss : " François Genoud-Pangloss disait quelquefois à Jacques Vergès-Candide: " Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si Hitler n'avait pas exterminé des millions de Juifs, si nous n'avions pas arraché à leurs cadavres leurs alliances et leurs dents en or pour réunir le trésor dit "l'or des nazis", je n'aurais pas pu vous payer si grassement trente années durant pour défendre des bourreaux et des terroristes selon la pensée d'Hitler ; vous ne fumeriez pas des cigares à 200 euros pièce (l'équivalent de six mois de salaires de vos nègres des mines et des forêts qui vous causent tant d'angoisse) et vous ne boiriez pas ici du vieux bordeaux et un excellent porto. - Cela est bien dit, répondit Jacques Vergès-Candide ".
Revenons à notre mouton noir, en l'occurrence Jacques Vergès. J'ai intitulé ce billet : « Moi ! Moi ! Moi! Moi ! », en reprenant les termes mêmes de J. Vergès (dans un rare moment de sincérité ou de lucidité ; il avait dû forcer sur le bordeaux et/ou le porto), mais en ajoutant un quatrième "Moi !" pour faire bonne mesure à son égocentrisme. Je crois que c'est la meilleure façon de résumer Jacques Vergès qui, au fond, se fout de tout ... sauf de lui-même. S'il unit, de façon si paradoxale, l'amour du secret et le goût immodéré pour la représentation (il aura fini comme acteur et c'est assurément par là qu'il aurait dû commencer)!), c'est tout simplement que sa vérité est si inavouable qu'il est bien obligé de la cacher pour en donner une représentation supportable.
Stendhal (et beaucoup d'autres) aimait le peuple mais détestait la foule. Jacques Vergès aime la France (mythique ou en tout cas abstraite, celle de la culture, des philosophes, de la révolution etc. au sein de laquelle il s'attribue bien entendu une place éminente) mais il hait les Français (la France réelle), sans pour autant renoncer à leur commerce et aux avantages qu'ils lui procurent. Pour reprendre l'une de ses formules (car il ,n'aime rien tant que parler de soi !), écoutons-le : on a dit de moi que "j'étais un homme déchiré, mais ce n'est pas vrai ; je suis un homme double »( Félissi, 2005 :24). "Double" donne bien entendu "dualité", ce qui est flatteur et c'est en ce sens qu'il entend cet adjectif, mais il donne aussi "duplicité", ce qui le définit d'une façon beaucoup plus exacte.
Quand Jacques Vergès quitte la Réunion et s'engage dans les FFL en 1943, ce n'est en rien ni par patriotisme ni pour la France, mais tout simplement, pour fuir d'une façon ou d'une autre la Réunion où il n'y a aucun avenir pour le "bâtard chinois" qu'il est et qu'il restera toujours, même si du côté de sa grand-mère, Marie Florentine Hermelinde Millon des Marquets (dont le patronyme est, à soi seul, tout un programme), il descend de propriétaires d'esclaves aisés (ils en ont 128 à l'abolition en 1848). Cette circonstance rend particulièrement pittoresque qu'on ait imprudemment attribué à sa nièce, Françoise Vergès, la présidence du Comité contre l'esclavage !
Chez J. Vergès, cette vanité se double d'un amour passionné de son confort, de ses aises dans tous les domaines ; ce trait est relevé avec beaucoup de précision et de justesse par Jacques Givet qui me paraît, de tous ceux qui ont écrit sur Jacques Vergès (l'auteur le plus prolifique étant naturellement Vergès lui-même), celui qui l'a le plus connu et donc qui a le mieux saisi sa psychologie. Il le nomme, avec cet amour de la langue française qu'on ne trouve plus guère que chez les étrangers, le « muscadin ». Un peu par malice, il retient pour ce terme la définition du Dictionnaire universel de la langue française de Boiste . Cet auteur, que J. Givet préfère même à Littré, définit le « muscadin » comme un « fat musqué » en ajoutant cette précision que Givet estime prémonitoire « terme révolutionnaire » (J. Givet, 1986 : 23). La définition du Robert historique est plus classique et plus claire « Le mot [muscadin] a servi à désigner un élégant, un « petit-maître » et, tout particulièrement sous la Révolution, les royalistes qui se distinguaient par leur élégance recherché » (1790) ».
Une anecdote peut résumer et conclure ce point. A l’époque où J. Vergès loge parfois chez J. Givet, ce dernier note : « Un jour qu’il se baignait chez nous en se servant de mousse pour le bain, il se montra tout étonné de ne pas trouver sous la main d’huile parfumée, produit qui, « assurait-il, « est indispensable après usage de la mousse, car celle-ci dessèche la peau ». ». (1986 :14).
Un dernier détail pour B. Gensane, avide de certitudes et de précisions. On trouve sur le site « Astrothème » un très long thème astral de Jacques Vergès (23 pages avec force graphiques et cartes astrales !). Le problème est que le point de départ en est « Jacques Vergès né le 5 mars 1925 à 06 heures à Ubon ». Or comme on l’a vu et de la façon la plus sûre qui soit, ce ne sont là, en réalité, ni sa date ni son lieu de naissance puisqu'il est né ailleurs un an plus tôt ! En revanche, comme ces indications sont celles de son frère Paul, ce dernier pourrait tirer profit de la consultation de cette analyse qui, en réalité, ne s’applique qu’à lui.
A demain pour mon dernier billet qui vous révélera les conditions réelles et véritables de la mort de Jacques Vergès.
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