En 2006, « Bison futé » a fêté ses trente ans.
Cette dénomination totémique est un peu étonnante, même si l’un des pseudonymes de Boris Vian avait été « Bison ravi ». Quiconque a jamais vu et dévisagé un vrai bison n’aurait sans doute pas l’idée saugrenue de qualifier cet animal de « futé ».
Honte aux ignorants que vous êtes ! Le père de « Bison futé » n’était pas un ingénieur de l’Equipement nostalgique de sa période scoutiste ; « Bison futé » se veut, toutefois, en fait, une dénomination « indienne », totémique en somme.
Hugh ! L’origine de cet adjectif, étrange pour un bovidé, alors que ces animaux ne passent pas pour particulièrement intelligents, tient à ce que l’arme absolue de ce programme routier était, et demeure, l’itinéraire « bis ». « Bis » > « bison »…, vous me suivez, ô visage pâle ? Nous aurions donc pu aussi bien avoir « Bisaïeul malin » (par référence à la sagesse des ancêtres), « Biscaïen subtil » (mais les réactions explosives des Basques auraient été à redouter) ou, pire encore, « Bistro accueillant » (suggérant aux automobilistes bloqués dans les bouchons d’aller oublier les encombrements dans le plus proche estaminet).
Aurions-nous eu des itinéraires « ter » que nous aurions pu avoir alors « Terre-neuve secourable » ou « Termite subtil ». Je ne suis donc pas contre la pérennisation de la figure de l’Indien symbolique (nous en sommes, dit-on, à la troisième représentation de cette icône que nul ne comprend d’ailleurs), c’est plutôt le fonctionnement même de ce système qui me pose problème. Illustrons concrètement ce point.
Petite expérience routière vécue sur l’autoroute A7 dans la région de Valence. On suggère, dans cette zone, aux automobilistes « embouchonnés » sur l’A7 de prendre « l’itinéraire-bis », signalé comme tel, par la RN86, de l’autre côté du Rhône. Quoique connaissant la région, j’ai imprudemment suivi les conseils de Bison futé et tenté l’expérience. Comme bien d’autres malheureux, embarqués dans cette galère, j’ai fait demi-tour au bout de quelques kilomètres pour rejoindre à nouveau, en ayant perdu une heure de plus, les bouchons autoroutiers.
En effet, les choses sont pires encore sur l’itinéraire-bis, la seule différence étant que les véhicules sont sur une seule file au lieu de deux ou trois ! En effet, chaque traversée de village, généralement agrémentée de feux rouges (dont on ne prend même pas la peine de changer la périodisation), entraîne aussitôt la formation de kilomètres de files de voitures. Le trajet bis est donc bien plus encombré et long que l’autoroute. Ce n’est pas « Bison futé » mais « Tortue stupide » !
N’est-on pas trompé, en réalité, par Bison futé ? « Bison futé ou Fut-on baisé ? » Telle est donc l’interrogation lancinante des automobilistes qui se sont fiés aux conseils de ce stupide animal. Bison futé, nous dit-on, « opère en temps réel » comme on dit à la DDE. Durant ma brève incursion sur l’itinéraire-bis de la RN86, j’ai constaté que deux gendarmes motocyclistes ont fait un aller-retour le long de la file de véhicules immobilisée sur la route en direction du Sud. Ce constat n’a pas conduit à supprimer les indications absurdes en faveur de cet itinéraire-bis quasi impraticable. « Bison foutu » ou « Foutu bison »?
Au-delà de cet incident, on peut s’interroger sur les problèmes plus vastes que pose la circulation automobile. Il fut un temps où les hausses du prix de l’essence mettait la France dans un état proche de l’émeute. L’essence ne serait jamais à dix balles comme on disait alors. Le super 95 est aujourd’hui à plus d’1,5 euro (soit 10 francs) sans que quiconque y trouve à redire et surtout sans que nul ne songe réellement à réduire sa vitesse ou ses parcours, en dépit de l’adjonction récente des lamentations écologiques.
Le CNRS qui consacre beaucoup de moyens à des recherches dont l’intérêt demeure incertain, sauf pour les chercheurs qui en vivent, devrait étudier sérieusement la mécanique des fluides automobiles, sur les autoroutes en particulier.
Bison futé (toujours lui) a, semble-t-il, inventé une nouvelle stratégie anti-bouchons, en limitant encore la vitesse, pourtant déjà limitée. La limitation de vitesse elle-même (de 130 à 110) est présentée comme la panacée alors que l’expérience banale de tout conducteur en fait douter.
Le fait que tout le monde roule à la même vitesse crée, me semble-t-il, à la fois un danger dans la mesure où le temps de dépassement est beaucoup augmenté (on ne peut rouler qu’entre 130 et 136,5 km/h pour dépasser un véhicule qui roule à 129km/h) et où l’homogénéisation des vitesses réunit les conditions idéales pour la formation des bouchons dans la mesure où chacun tend à rouler un tout petit peu moins vite que le véhicule qui le précède. Le grand mystère des bouchons autoroutiers est qu’ils n’ont, le plus souvent, aucune cause précise et visible, comme un obstacle, un accident ou des travaux !
Une des causes constantes de bouchons (je l’ai encore constaté à hauteur de Donzère) est un accident, mais qui a lieu sur l’autre voie de l’autoroute. Pour mieux jouir du spectacle, en effet, les conducteurs ralentissent et se produisent immanquablement un bouchon et parfois même (je l’ai vu !) un second accident quand, trop attentif à la scène du premier, un automobiliste vient emboutir le véhicule qui le précède. Il serait simple, sur les autoroutes, de disposer, dès le début d’une intervention policière, sur la séparation entre les deux voies, une bâche de vingt mètres de long sur deux mètres de haut (« Bison bâché! »), qui masquerait le spectacle et empêcherait les ralentissements sur l’autre voie en en supprimant la cause.
Chacun sait que le principal facteur « accidentogène », comme disent les penseurs de Bison futé, n’est pas la vitesse, mais la connerie. Or le système en place favorise les conduites stupides dont la plus fréquente et la plus dangereuse est le dépassement à droite qui devient une pratique des plus courantes, que ce soit sur la file centrale ou sur la file de gauche. Si l’on roule sur la file de gauche, à 130 km/h, en laissant devant son véhicule la distance de sécurité obligatoire qu’on recommande légitimement, mais que peu de conducteurs respectent, on est sûr de se faire aussitôt doubler à droite par un fêlé, qui s’intercale dans la dite distance de sécurité. Ces comportements ne sont jamais sanctionnés, alors qu’on met à l’amende et qu’on retire deux points à celui qui, un instant distrait, roule à 96 au lieu de 90 km/h. Comment ces imbéciles dangereux seraient-ils d’ailleurs verbalisés puisque, ce même jour, en dépit des rodomontades officielles, je n’ai pas l’ombre d’un képi de gendarme en cinq heures d’autoroute entre Vienne et Marseille. Il est plus facile et plus rentable de sanctionner le plus léger excès de vitesse pourtant infiniment moins dangereux.
Revenons aux stratégies de lutte anti-bouchons de notre Bison futé. Sur l’autoroute où la vitesse est limitée à 130 km/h, on commence par introduire une première limitation à 110km/h, puis, quelques kilomètres plus loin, une deuxième à 90 km/h. Le but est clairement de ralentir le flot des véhicules qui va, par l’arrière, s’ajouter au bouchon déjà constitué. La suite logique seraient des limitations successives à 70, 50, 30, 10 km/h, pour finir par un arrêt complet du trafic avec 0 km/h. Formidable, Bison futé maîtrise les bouchons ! Le BOUCHON n’est plus, comme avant, inopportun et fortuit, mais le voilà enfin conscient et organisé!
Les ingénieurs de l’Equipement ou, en tout cas, les inventeurs du système ne sont pas payés à ne rien faire ! Vive Bison futé !
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3 commentaires:
Si l’on roule sur la file de gauche, à 130 km/h, en laissant devant son véhicule la distance de sécurité obligatoire qu’on recommande légitimement, mais que peu de conducteurs respectent, on est sûr de se faire aussitôt doubler à droite par un fêlé, qui s’intercale dans la dite distance de sécurité. Ces comportements ne sont jamais sanctionnés
Si on roule sur la file de gauche, c'est que les files plus à droite sont occupées, sinon le code prescrit qu'il faut se rabattre !
Il est logiquement IMPOSSIBLE de se faire doubler à droite, sauf en régime de circulation dense (urbaine) où on roule alors à faible vitesse ...
"Si l’on roule sur la file de gauche, à 130 km/h, en laissant devant son véhicule la distance de sécurité obligatoire qu’on recommande légitimement, mais que peu de conducteurs respectent, on est sûr de se faire aussitôt doubler à droite par un fêlé, qui s’intercale dans la dite distance de sécurité. Ces comportements ne sont jamais sanctionnés ..."
Si on roule sur la file de gauche, c'est que les files plus à droite sont occupées, sinon le code prescrit qu'il faut se rabattre !
Il est logiquement IMPOSSIBLE de se faire doubler à droite, sauf en régime de circulation dense (urbaine) où on roule alors à faible vitesse ...
Cher anonyme,
Si vous m'avez bien lu, j'ai dit "sur le file centrale ou sur le file de gauche"... ; on est à l'abri de la manoeuvre que je dénonce seulement quand on est sur le file de droite (et encore car j'ai été doublé il y a quelque temps par la FILE d'arrêt d'urgence!). Vous devez peu rouler pour penser que le fait qu'il y ait des voitures sur la file à droite de la vôtre empêche les "fêlés" de doubler comme je le décris! Usbek
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