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mardi 29 mai 2012

"Lagarde ne meurt pas mais se rend"

Ce titre, un peu sibyllin au départ, verra son sens s'éclairer dans la suite ; peut-être celui que j'ai écarté ( "Titine au Niger") eût-il été préférable ?

Mme Christine Lagarde, qui, dans un mouvement inverse du parcours de son prédécesseur, avait fort opportunément quitté son ministère pour le FMI, ce qui avait évité qu'on s'intéressât de trop près à quelques affaires, retrouve aujourd'hui la vedette dans les médias par une déclaration inattendue à propos de la Grèce qui rapproche cet Etat du Niger!

Je ne dirais qu'un mot de la Grèce sur laquelle on dit tout de même beaucoup de sottises, car j'ai déjà écrit quelques blogs à propos de cet État dont l'un s'intitulait, me semble-t-il, "La Grèce : mythe de Sisyphe ou tonneau des Danaïdes". Si la Grèce a été le dixième Etat-membre à adhérer à la Communauté européenne en 1981, cette adhésion a été acquise au terme d'un processus d'une vingtaine d'années, car on savait parfaitement déjà que la Grèce était très loin de présenter un état économique susceptible d'être aisément compatible avec le fonctionnement qu'on envisageait pour l'Europe, ce dont les politiques se souciaient fort peu. Ne pourrait-on leur réclamer des comptes?

En Grèce même, cette adhésion à l'Europe fut loin de faire l'unanimité ; on sait comment la Grèce, au su et au vu de tous, paya des centaines de millions la savante falsification de ses comptes publics! Toutefois, les fonds de la politique agricole commune et les "paquets Delors" emportèrent les réticences par les masses d'argent qu'elles firent se déverser sur le pays, avant qu'elles filent pour une bonne part vers la Suisse et les paradis fiscaux. Ces largesses, aussi folles qu'incontrôlées, ont sans doute contribué à faire passer la gauche grecque d'une opposition vigoureuse à la communauté européenne a une approbation quasi totale.

Toutefois mon propos hellénique se situe ailleurs et il prend quelque peu le contre-pied de ce que dit Mme Lagarde à propos de la fiscalité grecque qu'elle semble mal connaître. Contrairement à ce qu'elle affirme, en effet, les impôts représentent une partie non négligeable du budget grec (les prélèvements fiscaux constituent à peu près 40% du PIB), surtout du fait que, pour toute la fonction publique grecque, le recouvrement de l'impôt ne pose pas problème puisqu'il s'opère à la source ! Le désastre financier tient donc surtout à l'énormité des remboursements d'intérêts de la dette, même si l'on ne peut nier, par ailleurs, que sur bien des plans le système administratif grec laisse à désirer.

Toutefois ce qui est le plus inattendu dans cette affaire est le rapprochement avec le Niger dont on se demande ce qu'il vient faire dans cette galère.

Cette référence ne tient, à mon sens, qu'au seul fait que l'Afrique a été pour la directrice générale du FMI une expérience nouvelle quoiqu'indispensable. Mme Lagarde s'est rendue à Niamey en décembre 2011 pour une mission officielle et, selon ses dires, elle serait même allée (et je la cite) " dans un petit village du Niger".

Je doute un peu de l'escapade dans le désert pour la visite d'un "petit village", surtout pour une raison que je vous donnerai dans la suite, mais aussi sur un plan plus général. Je vois mal le gouvernement du Niger, vu la situation locale actuelle et les grands risques d'attentats, laisser la directrice générale du FMI, dont tout le monde connaît la présence à Niamey, aller se promener dans le désert pour y visiter ce petit village! J'en suis d'autant plus convaincu que je suis allé moi-même au Niger fin septembre 2011 et que j'ai pu voir quelles précautions sont prises en pareil cas, pour le plus menu fretin.

Toutefois mon scepticisme se fonde sur un autre détail qu'elle mentionne dans son intervention. Je cite exactement : "Je pense plus aux petits enfants d'une école d'un petit village du Niger qui ont classe deux heures par jour, en partageant une chaise à trois."

Je veux bien croire à l'affaire des deux heures par jour si Mme Lagarde a visité une classe où régnait le système de la double, voire de la triple vacation (le même maître, dans la journée, fait deux voire trois classes). Pas la peine, chère Madame Lagarde, d'aller au fond du Niger, au risque de vous faire enlever ou assassiner puisque c'est là une grande idée de vos amis et voisins de la Banque mondiale, qui siègent tout près de vous au bord du Potomac !

Au reste, ce n'est pas très grave car tout le monde sait qu'on n'apprend pas grand chose dans ce genre d'école (et, au fait dans quelle langue ? Avez -vous parlé avec les maîtres dans l'école de ce petit village ? En français ? En zarma ? En haoussa ?).

En revanche, je ne crois pas un instant que les élèves nigériens d'un "petit village" soient " assis à trois sur une chaise" pour la simple et bonne raison que, dans les classes d'un petit village du Niger, IL N'Y A JAMAIS DE CHAISES !  Si vous dites vrai, la seule hypothèse qu'on puisse faire et qui en la circonstance, n'est pas impossible, est que la veille (en ville et non dans un village) en prévision de la visite de la grande dame blanche, on ait récupéré, ici ou là, quelques chaises pour l'éblouir de ce luxe pédagogique inouï. Une telle pratique est assez courante, en pareil cas, pour qu'on puisse envisager qu'elle ait eu lieu.

En revanche dans les classes du Niger que j'ai pu voir, je n'ai vu que des bancs ou des tables-bancs antiques où les élèves étaient assis à trois ou quatre au lieu de deux, mais la pratique la plus courante, de très loin, est que les élèves soient assis PAR TERRE et écrivent soit par terre aussi, soit en prenant appui sur le dos de l'élève assis devant.

Il a paru sans doute de bon ton à Madame Lagarde de faire cette référence à l'Afrique pour faire état de sa connaissance des terrains du Sud mais, faite à propos de la Grèce, elle ne me paraît pas très opportune . Elle l'a reconnu elle-même dans la suite ("La garde ne meurt pas mais se rend à l'évidence") et à ce seul égard.

Pour moi, je déplore surtout qu'elle soit si manifestement fausse.

1 commentaire:

Expat a dit…

Cher Usbek,
peut-être est-ce simplement une stratégie pour que les Grecs votent "mal", donc pour qu'on puisse les pousser dehors.
D'un autre côté, si on limite sa citation au phénomène de la fraude fiscale, on ne peut guère lui donner tort. la commission européenne estime les non-perçus à 60 milliards d'euros, soit 20% de la dette globale. C'est donc un phénomène qui s'agrège à d'autres pour expliquer cette crise.
Reste qu'évidemment, et je suis parfaitement d'accord avec vous, que les premiers responsables de la chose sont ceux qui, en connaissance de cause, on permis à la Grèce d'entrer dans la communauté européenne puis dans la zone euro.