Dans la mesure où j'ai souvent emprunté, dans mon texte d'hier comme dans d'autres qui l'ont précédé ici ou là, le titre français du livre de Graham Hancock, Les nababs de la pauvreté (je me suis permis de retirer les majuscules du titre français de cet ouvrage qui étaient une reproduction servile de la pratique orthographique anglaise qui fait un usage immodéré de la majuscule), il me semble normal de dire quelques mots de cet excellent livre, sans doute un peu oublié aujourd'hui, bien à tort d'ailleurs.
Graham Hancock, né en 1950 à Edinburgh, a passé une partie de son enfance en Inde où son père était chirurgien avant de revenir pour ses études en Grande Bretagne. Comme journaliste, il a passé deux ans (1981-1983) en Afrique orientale et c'est sans doute de ces expériences qu'il a nourri son analyse critique du "charity business". Toutefois ce livre est unique dans sa bibliographie car son intérêt et ses travaux se sont portés de façon centrale et quasi unique sur des problèmes archéologiques où il a, le plus souvent, des vues très hétérodoxes ; ainsi conteste-t-il les datations admises pour les pyramides de Gizeh et le Sphinx auxquels il accorde de 12.000 à 10.000 ans d'âge alors que la plupart des archéologues considèrent qu'ils datent du 3ème millénaire avant J.- C..
Paru en 1989, The Lords of Poverty fait surtout référence à l'aide au développement des années 80, mais il faut bien reconnaître que les choses n'ont guère changé comme la situation actuelle en Haïti ou dans la Corne de l'Afrique le confirme chaque jour. Combien de vies auraient pu être sauvées en Ethiopie par les sommes qui ont été engagées pour tenir, ce lundi 24 juillet 2011, à Rome, la réunion dite d’urgence de l'ONU qui a rassemblé (mais à quel prix et avec quels résultats ?) les ministres et dirigeants des 191 pays membres de la FAO ainsi que les représentants d'autres agences des Nations Unies comme les responsables d'organisations internationales et d'ONG. En tout cas, nombreuse magnifique assemblée que nous avons pu admirer à la télévision!
Pour revenir à lui, cet ouvrage faisait surtout référence à l'inadaptation de nombreuses entreprises d'aide au développement (éléphants blancs ou éléphants roses) et stigmatisait moins qu'on a pu le faire par la suite les prélèvements immodérés (jusqu'à 80%) que peuvent opérer certaines O.N.G. sur les dons qui leur sont faits par le public. D'autres affaires survenues depuis sont bien connues et me dispensent de faire référence à ces étranges modes de fonctionnement.
La cible principale de ce livre est constituée par les agents des grandes organisations, pour l'essentiel internationales : Programme des Nations unies pour le développement, FAO, Programme alimentaire mondial, Organisation mondiale de la santé (OMS), UNICEF, FMI, Banque mondiale (je cite dans le désordre ce qui en l'occurrence importe peu). L'auteur dénonçait, à juste titre, le train de vie des représentants de ces organisations qui souvent n'ont, en fait, que peu de contacts avec les pays qu'ils sont censés visités, passant du salon VIP de l'aéroport au Sheraton ou au Hyatt de la capitale, avec éventuellement, en voiture climatisée quelques visites au ministère compétent (dont les bureaux sont également climatisés) comme aux bons restaurants du coin, s'il en existe. Tous leurs séjours se passent, au mieux dans les réceptions, les cocktails et les dîners, ou, au pire, dans quelques lieux où les nobles étrangers sont censés se rendre pour les besoins de leur mission : écoles, hôpitaux, ou autres endroits du même acabit où ils ne font que de brefs séjours en vue desquels on leur a, en général, préparé les décors adéquats et réuni les témoins propres à satisfaire leurs attentes.
Faut-il ajouter que souvent, alors qu'ils sont à peu près totalement pris en charge par le pays qui les accueille, ces séjours sont générateurs de per diem fastueux, surtout si on les rapporte au salaire moyen annuel d'un travailleur dans les pays visités.
Si je me limite ici aux problèmes de l'éducation qui sont ceux que je connais le mieux, les rapports qui sont soit produits au terme de ces visites, soit rédigés, sur commande expresse, par des "experts", auxquels on a confié, à prix d'or, la rédaction de tels textes, témoignent d'une ignorance à peu près totale et parfois confondante des réalités qu'ils visent pourtant à décrire et à analyser. Prenons, car il est exemplaire, le cas du grand rapport sur l'éducation en Afrique subsaharienne produit par la Banque Mondiale en 1988 et qui est, à ma connaissance, le dernier grand livre sur ces questions. Il a précédé la série des Forums mondiaux de l'éducation, réunis par l'UNESCO à grands frais en 1990 (Jomtien) et de Dakar (2000), (simple détail : un seul de ces forums représente le coût de la construction de 100.000 écoles au Mali!) et qui a depuis tourné court après le fiasco de Dakar (on attend toujours le Forum de 2010!). Or ce texte de 192 pages consacre une page et demie à la question du médium éducatif dans l'école africaine qui est pourtant, de toute évidence, la question majeure et centrale.
En revanche, les agents ou les experts des organismes du style de la Banque Mondiale s'attachent avec passion aux rapports qu'on pourrait établir entre les résultats des élèves et le matériau de construction des écoles (béton, briques, bois, banco, etc.). Une question qui préoccupe beaucoup est celle du rapport entre les résultats des élèves et le "genre" des enseignant(e)s. La question est amusante surtout dans sa formulation. Les experts, pudibonds, n'osent pas user du mot "sexe" (le terme leur semble choquant). Cette question est naturellement absurde, puisque les deux mots ne sont absolument pas synonymes saufs pour des experts internationaux de la Banque Mondiale et des organismes internationaux, trop ignorants pour le savoir et qui naturellement, entre deux expertises, n'ont jamais eu le temps de lire le grand livre d'Ivan Illitch sur le genre vernaculaire!
Il est clair que c'est surtout dans ces organisations qu'on trouve les vrais nababs de la pauvreté plus que dans les O.N.G., où il y a incontestablement nombre d'agents, souvent bénévoles, qui pensent sincèrement pouvoir oeuvrer au développement des pays dans lesquels ils sont envoyés.
Je ne veux pas tomber toutefois dans un angélisme excessif ; une petite expérience que j'ai vécue à Ouagadougou en 2004 au moment du Sommet de la francophonie (je précise que ma condition est beaucoup trop modeste pour que j'aie été invité dans ce cadre) me conduit toutefois à modérer ici mes appréciations positives sur les O.N.G. En cette circonstance, comme la réunion à laquelle je participais se tenait en un lieu assez éloigné du centre d'Ouagadougou où je logeais et que je commençais à m'ennuyer un peu, j'ai décidé avec un collègue de prendre un taxi pour rentrer en ville. Il y en avait évidemment aucun et nous avons donc essayé de trouver un autre moyen de transport. À cette fin, nous avons longé de longues files de véhicules qui étaient garés là, sans doute par des participants qui avaient eu, eux, la patience de rester en séance. Nous avons pu constater alors que l'immense majorité de ces véhicules étaient des 4x4 de luxe, tous flambant neufs, climatisés et portant, à peu près tous, le sigle de l'O.N.G. qui en était propriétaire. À force de patience nous avons fini par trouver un taxi, sans avoir pu faire l'expérience d'un transport dans l'un de ces somptueux véhicules.
Il y a donc sans doute aussi dans les O.N.G. quelques nababs de la pauvreté !
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