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lundi 4 juillet 2011

Haïti et orthographe



« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier". Je vous épargne la suite car vous avez sans doute reconnu les premières lignes de la dictée dite de Mérimée que ce dernier avait préparée, à la demande de l'Impératrice Eugénie pour amuser la cour impériale. A ce que l'on raconte, Napoléon III fit soixante-quinze fautes, Eugénie, quoiqu'elle fut espagnole ou parce qu'elle l'était (le FLE déjà!) en fit treize de moins ; Octave Feuillet, que cela n'empêcha pas d'entrer quelques années après à l'Académie française, en commit dix-neuf, tandis qu'Alexandre Dumas, qui en avait laissé vingt-quatre dans sa copie, dût attendre à la porte du Quai de Conti jusqu'en 1875, sans qu'on sache si c'était vraiment à cause de ça. Le seul à s'en tirer avec les honneurs fut Metternich, avec trois fautes seulement, mais je méfie toujours des diplomates!

On disait autrefois, bien à tort, que l'orthographe était la science des ânes. Nous n'avons désormais plus guère d'ânes et c'est sans doute pour cela que notre orthographe s'est perdue à ce point. On pourrait s'attendre néanmoins à ce que le respect des règles subsistât, comme dirait notre président, au moins dans les documents officiels. Sans mettre en cause l'orthograpge de la DDE dont témoigne,ci-dessus, l'image que m'a envoyée, par hasard, une amie, voici quelques lignes d'un texte de Capénergies (pôle de compétitivité PACA-Corse) : " Il est nécessaire d’impliquer la gouvernance des universités dans le pôle comme une forte ambition pour les 3 ans à venir [sens ?]. En ce qui concerne le volet corse de CAPENERGIES, il semble que l’Université de Corse est pris ["ait pris" je suppose?] une part entière [????] à l’activité du pôle notamment au niveau [au plan je suppose encore?] de la recherche à travers [sic] le laboratoire sur les Énergies Renouvelables labellisé par le CNRS (UMR SPE) tant au niveau de la formation avec le master SEER [on attend ici un "qu' à celui..." qui ne viendra jamais].

Le grand prêtre de la langue française (Dieu seul sait pourquoi!), Bernard Pivot, a abandonné, il y a quelques années, son petit commerce des Championnats (de France d'abord puis du monde...) d'orthographe, devenus, dans la suite, les "Dicos d'or", par une référence, sans doute involontaire, au caractère indirectement mercantile de telles opérations. Heureusement pour l'orthographe du français, il nous reste Haïti pour en être le dernier refuge, voire le sanctuaire au sein de l'espace francophone.
Voici des extraits, brefs mais significatifs, de l'article de Valéry Daudier publié, il y a une petite semaine, par le principal quotidien haïtien, le Nouvelliste qui est, sur le net, une de mes lectures quotidiennes :
"Orlson-Ainé Joseph, de l'Institution St Louis de Gonzague, a été sacré, le 25 juin 2011, épeleur de l'année, et Walens Louis, du Petit Séminaire Collège St Martial, vice-épeleur de la première édition du concours d'épellation organisé par Télé Soleil à laquelle ont pris part 168 écoliers de 42 établissements scolaires. Les deux gagnants sont repartis chez eux avec des laptops, des ouvrages, des fleurs et des médailles. En outre, la Digicel a offert un chèque de 2 000 dollars US à l'épeleur et 1 000 dollars au vice-épeleur.[...] Télé Soleil et Pain de Vie, en collaboration avec le Bureau diocésain de l'Education (BDE), ont transformé beaucoup de maisons de la capitale en « maisons d'épellation » avec leur concours d'épellation baptisé : « J'épelle au Soleil », lancé le 23 mars dernier et qui a pris fin le samedi 25 juin 2011 dans les locaux de Radio Télé Soleil à Pétion-Ville [...].
Orlson-Ainé Joseph, 11 ans, et Walens Louis, 11 ans également, tous deux en sixième année fondamentale, ont rehaussé le prestige de leur établissement respectif et fait honneur à leurs camarades, leurs amis, leurs professeurs et leurs parents. [...] Sur ses petites épaules, il [Orlson-Aimé Joseph] a su quand même faire honneur à son établissement, l'un des meilleurs du pays. Au cours de cette finale à laquelle ont pris part des élèves, des responsables d'écoles et des éducateurs, dont Sabine Boisson, Orlson a tiré du tambour les mots : « bruyamment, hypnotiser, hublot, vilipender, proie, léthargique, spaghetti, pénitentiaire, ophtalmologique et galvauder ». Il a manqué l'épellation de : hypnotiser et de pénitentiaire. Avant cette finale, sur une vingtaine de mots à épeler, le Saint-Louisien n'a raté que l'épellation de « racontar ».
[...]
Quant à Walens, durant ce concours, il s'est donné une lourde mission : connaître l'orthographe de tous les mots de la langue de Voltaire. Une mission que Walens n'aura pas accomplie, mais l'enfant intelligent et un peu turbulent en classe est fier d'être sacré vice-épeleur de la première édition de ce concours. [...] Au cours de la finale, l'enfant de Guerdie Louis était tombé sur des mots jugés selon plus d'un un peu moins difficiles que ceux d'Orlson. Walens a tiré du tambour les mots : « thésauriser, pacotille, cacophonie, étanchéité, ennoblissement, euthanasie, glycémie, hémiplégie, coercition et enivrement ». Il a manqué l'épellation de quatre, dont : cacophonie, étanchéité, coercition et enivrement qui a fermé les plateaux de la première édition de « J'épelle au Soleil ». Sur 32 mots à épeler durant ce concours organisé en 65 rencontres, il se rappelle avoir raté l'épellation de 7 ou 8 termes.

Et l'auteur de conclure : "L'Education nationale a boudé une telle initiative !
Aucun représentant des ministères de l'Education nationale ou de la Culture, n'a été présent à la cérémonie de clôture de « J'épelle au Soleil ». Les autorités de ces deux ministères, a souligné père Jean, n'ont pas non plus répondu aux invitations qui leur ont été faites et n'ont pas plus collaboré à la réalisation de ce concours qui s'est taillé une place parmi les émissions éducatives, utiles, instructives, dédiées aux enfants, s'il y en a d'autres.

En fait, même si l'Education nationale et la Culture n'ont pas reconnu l'importance de ce concours d'épellation qui a été l'idole de beaucoup d'écoliers, les partenaires, dont la Digicel, le Conatel, la Fokal, Plan Haïti et Caritas Haïti se sont rendus compte qu'une telle émission aura été profitable pour l'ensemble de la communauté".

Au-delà de la petite guerre entre l'Education nationale publique et les établissements confessionnels (rappelons qu'en Haïti l'école est privée à 85%), on peut faire une ou deux remarques d'inégale importance.

La première est qu'une telle pratique est venue en Haïti depuis les Etats-Unis, peut-être, via le Canada anglophone, où les "spelling bees" furent un moment en vogue dans les écoles selon le principe décrit ci-dessus. Le mot "épellation" lui-même (traduction littérale de "spelling") est assez peu courant en français pour ne pas figurer dans le Trésor de la Langue Française!

Au delà du caractère parfaitement inepte d'une telle compétition, surtout dans le contexte éducatif haïtien global et, plus particulièrement encore après le séisme du 12 janvier 2010, au moment où l'on parle d'une éventuelle "reconstruction" de ce système, le point le plus important me paraît que ce genre d'opération témoigne, à propos du français (évoqué ici, de façon très significative, comme " la langue de Voltaire"), d'une vision totalement passéiste et même obsolète, préjudiciable à la diffusion du français et qui ne peut qu'encourager et conforter dans leurs entreprises, les adversaires de cette langue que ses soutiens défendent manifestement à grand renfort de pavés de l'ours.

Il est à cet égard significatif qu'a deux ou trois jours près, cet article sur les concours d'épellation ait été suivi par une rencontre "Livres en folie", organisée, à Port-au-Prince même, et dont le Nouvelliste a rendu compte sous le titre "Il y a des fautes partout"? Là encore, on a retrouvé cette même obsession de l'orthographe. Je ne nie pas l'importance de ce problème que nous connaissons en France aussi ou le Monde qui fut longtemps de temple de l'exemplarité orthographique dans notre presse nationale a bien changé sur ce point.Toutefois, vu la situation du français en Haïti, est-ce là le problème majeur qui se pose à lui ? Par ailleurs la question est fort mal posée quand on lit dans cet article :

" Par rapport à cet atelier, je suis venu humblement pour écouter et pour apprendre. Quand on est auteur on est appelé normalement à se corriger, à perfectionner son texte », a déclaré Dominique Batraville. Par ailleurs, il a fait remarquer qu'aujourd'hui en Europe et en Afrique se développe une tendance à détecter les lacunes des classiques. « Il y a de grands auteurs qui ont eu de graves fautes d'orthographe, de syntaxe. Même chez Camus, chez Sartre, chez Balzac. Un courant d'étude critique en Afrique essaie d'évaluer les textes laissés par des auteurs dans un état lamentable".

Une telle remarque, par ailleurs fausse (je n'ai guère trouvé de fautes de langue chez Sartre que j'ai un peu fréquenté), est assez sotte car, jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, nos grands auteurs ne se préoccupent guère de l'orthographe de leurs manuscrits et certains d'entre eux écrivent souvent à peu près n'importe quoi, laissant à leurs éditeurs les soucis de la mise en forme!

Franchement, n'y a-t-il pas d'autres soucis pour le français en Haïti que celui-ci ?

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