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vendredi 12 août 2011

Le blockbuster social



(Suite du précédent)
6. Quelle est la clientèle qui achète les "kits de fraude" ?
On en dénombre plusieurs, distinctes et bien identifiées

"La première est celle des étrangers en situation irrégulière, qui, n'ayant la plupart du temps pas de source de revenus sur le territoire national, se voient proposer de reverser une partie des allocations détournées en paiement des faux dossiers. Les emplois qu'ils sont censés avoir occupés correspondent aux postes de manutentionnaire dans le bâtiment, mécanicien dans la confection et sont la plupart du temps plausibles. Ces étrangers sont le plus souvent assistés, dans leurs démarches auprès des Assédic, d'interprètes qui sont soit des faussaires soit des revendeurs.

La deuxième est celle des étrangers en situation régulière mais n'ayant pas droit à l'assurance chômage, la difficulté tenant au fait que certains salariés ont réellement travaillé mais sans avoir été déclarés. Il s'agit soit de travailleurs clandestins qui ont reçu les kits Assédic en paiement de leurs prestations, soit de salariés abusés par leur employeur. La défense de ces faux allocataires consiste à faire croire à leur bonne foi, en apprenant par cœur le nom de leurs prétendus collègues de travail et un descriptif de leur poste de travail.

La troisième est constituée par des individus de toutes origines, attirés par le gain que représente la perception indue d'allocations de chômage. Ces derniers, qui, le plus souvent, tirent déjà leurs ressources de la délinquance, s'orientent vers des dossiers d'indemnisation pour cadres d'entreprises censés percevoir des salaires confortables. Leur profil ne correspondant pas à ces emplois, il est plus facile de se rendre compte de la fraude lors d'un entretien.

Il semble par ailleurs qu'une fraude originale se développe chez certains intermittents du spectacle, une association distribuant des attestations correspondant à des prestations artistiques qui sont en réalité fictives et non rémunérées pour permettre à ces derniers de remplir les conditions de perception de l'allocation de chômage spécifique à cette profession".

7. Une des causes de notre impuissance est la "guéguerre", bien française aussi et permanente, entre les divers services concernés (ASSEDIC, UNEDIC, URSSAF, CAF, etc.), non seulement séparés mais en outre de "cultures différentes" et peu désireux de coopérer :

"En outre, la mise en évidence de la fraude au sein même des organismes sociaux se heurte à des difficultés structurelles mais aussi culturelles [bigre!].
S'il existe, en leur sein des corps d'inspection, il n'y existe pas de service antifraude, composé de personnes qui auraient une culture de la lutte contre la fraude, qui pourraient établir la typologie des fraudes, élaborer une sorte de vade-mecum à partir des modes opératoires détectés et qui disposeraient d'outils informatiques d'alerte permettant de croiser les informations.

De surcroît, les services ne communiquent pas entre eux autour de ces problèmes - il n'y a ainsi aucune connexion entre les ASSEDIC et l'URSSAF autrement que de façon extrêmement empirique. C'est une carence très importante.

La perte pour les ASSEDIC est très importante. A la perte « sèche » s'ajoute le fait qu'elles n'ont aucun espoir de recouvrer les sommes versées, même lorsque l'affaire est déjouée et portée devant les tribunaux. Ces sommes disparaissent très rapidement des comptes sur lesquels elles ont été versées.
[...]
Il existe aussi un problème culturel évident. N'ayant pas dans leur culture le « flicage» des allocataires, ces organismes - ASSEDIC, CAF, CNAM, etc. - n'ont peut-être pas la volonté d'être très efficaces dans la détection et le traitement des fraudes. Les syndicats se refusent à ce travail [Classique] . Je me souviens notamment de la polémique née autour de la circulaire du ministère de l'Intérieur, un syndicat de l'Inspection du travail refusant de dénoncer les étrangers sans titre qu'ils pourraient repérer dans le cadre de leur travail. C'est violer l'article 40 du code de procédure pénale qui impose à tout fonctionnaire de révéler au Procureur de la République une infraction de nature pénale dont il pourrait avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions".

Sur le même point un autre témoin, tout aussi autorisé !
"Charles-Emmanuel HAQUET : Il ne faut pas négliger la culture du secret qui existe dans une organisation paritaire comme l'Unédic. La crainte que ce statut paritaire ne soit remis en cause incite les personnels à être discrets. Selon les personnels de l'Unédic que j'ai pu interviewer en « off », il vaut mieux payer pour ne pas faire de vagues. [...] Comme me l'a dit un haut responsable, s'intéresser de trop près aux faux chômeurs risque d'attirer les foudres des syndicats, et s'intéresser aux fausses sociétés, celles du MEDEF. C'est une source d'immobilisme".

Sacrée culture!

"M. Jean-Paul ANCIAUX : De surcroît, ces personnels n'ont pas une culture du contrôle : ils n'en ont ni les moyens ni la formation. [...]
M. Charles-Emmanuel HAQUET : J'ai cité dans mon article un agent de l'URSSAF qui se disait terrifié par ce qui se passait. À sa parution, la première réaction de l'Unédic a été de s'en prendre aux URSSAF. Il est difficile de faire travailler ensemble tous ces organismes".

8. Un élément de bilan, très partiel et très dépassé car la progression de la fraude sociale a été exponentielle ces cinq dernières années (le rapport Tian a été présenté en décembre 2006) :

"M. Jean-Pierre REVOIL : Le montant total des fraudes est, à ce jour [Fin 2005!!!!] de 85 à 90 millions d'euros, mais ce n'est sans doute que la partie visible de l'iceberg ; plus nous contrôlons, plus nous en trouvons !
[ En août 2011, voici les dernières précisions données par D. Tian sur ce bilan : "La fraude sociale représente près de 20 milliards d'euros, soit 44 fois plus que la fraude actuellement détectée". Soit aussi l'équivalent du coût de l'évasion fiscale ou du déficit de la sécurité sociale...]
M. Maurice GIRO : A combien s'élèvent les sommes que vous avez récupérées ?
M. André MARIN : Les Assédic étant statutairement autonomes, nous ne le savons pas, car ce sont elles qui déposent plainte et récupèrent ces montants [ Rires dans la foule!!! Voir ci-dessus pour ce point!], même si l'Unédic se porte partie civile quand une affaire prend une dimension nationale".

9. Et les risques courus par les organisateurs et les bénéficiaires des fraudes Et d'abord que se passe-t-il si le pot-aux-roses est découvert ?

"Le Président Tian : Quand un agent repère de faux papiers, comment procédez-vous ?
M. André MARIN : Quand nous trouvons de faux papiers, nous prévenons la préfecture. Nous essayons de les conserver mais, une fois sur deux, la personne parvient à repartir avec.
M. Daniel PRÉVOST : Théoriquement, elle doit payer une amende, mais la peine n'est jamais appliquée [On s'en doutait un peu!] .
M. André MARIN : Si cela ne porte préjudice à personne, personne ne portera plainte [Ben voyons! Seul l'Etat français perd chaque année quelques milliards!].
Mme Annie THOMAS : Il serait, de surcroît, utile de généraliser la sécurisation des moyens de paiement, en particulier d'interdire les paiements des salaires en liquide. Le paiement par voie bancaire est un moyen de traçage.
M. le Président : Et les personnes touchées par un interdit bancaire ?
M. André MARIN : Elles sont interdites de chéquier, pas de compte.
M. Maurice GIRO : Je croyais que la loi interdisait le paiement des salaires en liquide.
M. Jean-Pierre REVOIL : Jusqu'à 3 000 euros, on peut payer un salaire en liquide. Cela peut donc concerner un tiers des salariés" [Donc les deux tiers des travailleurs gagnent plus de 3000 euros par mois! Il faut d'urgence prévenir l'INSEE!].

Autre témoin :
"Peu importe à ces multigérants envoyés en France d'écoper de quelques années de prison, puisqu'ils savent qu'à leur sortie, un gros chèque les attend. Du reste, ils ne s'installent pas forcément en France, ils peuvent n'y être que de passage le temps nécessaire. Un commissaire de police m'a même dit que des cars entiers de faux chômeurs faisaient l'aller-retour jusqu'en France, le temps pour ceux-ci de s'inscrire aux Assédic et de récupérer l'argent !"

Et les sanctions elles-mêmes? Risques et peines? :

"Ce qui est frappant, c'est que les faux chômeurs qui se font épingler sont très bien informés et savent exactement quoi répondre aux questions pour ne pas être inquiétés, même s'ils ne parlent pas bien français par ailleurs.

De toutes manières, ils ne sont jamais inquiétés. En effet, un employeur déclare le nombre de ses salariés aux Assédic, sans les nommer. Un agent de l'Assédic ne dispose pas d'informations nominatives comme la déclaration préalable à l'embauche (DPAE). Il n'a pas les moyens de vérifier si la personne qui se présente devant lui a bel et bien travaillé dans telle entreprise, à moins de connaître quelqu'un à l'URSSAF qui accepte d'effectuer cette recherche. Cela étant, même si l'agent parvient à confondre le faux chômeur, il est impossible d'opposer à un demandeur d'emploi le fait que son entreprise n'ait pas cotisé pour lui, et il sera tout de même indemnisé".

"Ces réseaux, faciles à mettre en place, sont difficiles à démanteler. De toutes manières, quand la police arrive à confondre un fraudeur, elle sait très bien qu'il ne sera, au bout du compte, que rarement condamné, car il est insolvable. Les têtes de réseaux sont à l'étranger, et en général très difficiles à saisir.

M. le Président : Cependant, 4 000 Turcs au sein d'une telle organisation représentent autant de comptes en banque remplis par les allocations. Comment ces mouvements financiers peuvent-ils passer inaperçus ? Quand on sait le nombre de contrôles que doit subir un artisan, l'on s'étonne que deux mondes puissent ainsi coexister !
M. Charles-Emmanuel HAQUET : Il y a en effet des comptes en banque, mais il est plus difficile de repérer 500 personnes avec 500 euros que dix avec 25 000 euros ".

Autre témoignage, dans le même sens :
"On constate par ailleurs une quasi-impunité des faux allocataires. Les juridictions de jugement n'ont malheureusement pas la possibilité de porter tous les dossiers à l'audience.
M. le Président Tian : Pourquoi ?
M. Christian KALCK : Pour des raisons matérielles, le nombre de dossiers étant trop important.
Pour la plupart de ces fraudeurs, la seule sanction sera le remboursement des sommes indûment perçues, ce qui leur vaudra un abandon des poursuites mais leur aura permis de bénéficier pendant plusieurs mois d'une sorte de prêt à la consommation. Au regard des peines édictées par l'article 313-1 du code pénal de cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende, cette impunité ne peut que susciter un phénomène d'imitation.
M. le Président : Mais comment s'en prendre aux organisateurs, aux têtes de réseaux ?
M. Christian KALCK : Ils encourent des peines supérieures (7 ans d'emprisonnement et 750 000 € d'amende art 313-2 5° du code pénal) mais il paraît aussi important de lutter contre les faux allocataires car, à l'instar de ce qui se produit en matière de trafic de drogue, ce sont eux qui constituent la demande et, par voie de conséquence, génèrent l'offre".

Demain, le plus croustillant pour le bouquet final.

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