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mardi 9 août 2011

Fraude sociale (suite)

Même si, dans l'opération de communication pré-électorale que nous vivons , le terme de "fraude sociale" conduira inévitablement (et sans doute à dessein) à évoquer surtout, pour leur pittoresque, les cas quasi individuels de fraude de particuliers, l'expression recouvre, en fait, à la fois, les fraudes aux prestations sociales (RMI, RSA, allocations familiales, allocation de parent isolé, etc.) et les multiples fraudes aux cotisations sociales à la charge des entreprises. Or les deux secteurs sont sans commune mesure : la fraude aux déclarations et aux charges (ce qui inclut le manque à gagner dû au travail clandestin) représente, selon le rapport Tian, entre 8 et 15 milliards d'euros, contre 2 à 3 milliards seulement pour la fraude aux prestations sociales.

Pour le premier secteur, la Cour des comptes, dans son rapport de 2010, considère que seuls 0,46 % des allocataires sont concerné par la fraude aux allocations familiales, 0,24 % par la fraude à la prestation d'accueil du jeune enfant. L'allocation de parent isolé (API) et le revenu de solidarité active (RSA) auraient des taux plus importants de fraudeurs, respectivement 3,1 % et 3,6 %. En revanche, d'après D. Tian, "entre 10 et 12 % des entreprises sont en infraction et 5 % à 7 % des salariés ne sont pas déclarés".

Pour résumer, selon le rapport Tian de 2006, la fraude sociale s'élèverait à 4 milliards d'euros, voire à 8 milliards selon l'évaluation de l'URSSAF, qui estime par ailleurs à 10 000 le nombre de personnes vivant à Paris de la fraude sociale. Le flou des chiffres tient naturellement au caractère frauduleux de ces activités.
Pour citer la remarque majeure du rapport de 2006, elle souligne l'ampleur nouvelle et caractère récent de l'évolution de l'affaire : "Les fraudes de toutes sortes, dont on a du mal à évaluer l'ampleur exacte [et pour cause], mais qui produisent assurément des résultats rapides et substantiels au profit de ceux qui s'y adonnent, peuvent prendre la dimension de véritables escroqueries montées par des réseaux structurés, comme en témoignent les affaires dont l'assurance chômage est la victime."

À travers les auditions qu'elle a conduites et les déplacements qu'elle a effectués sur le terrain, la Commission Tian, avec beaucoup de soin et de patience (plus de deux cents pages de compte rendus de témoignages!), a cherché à analyser les failles et les blocages de nos systèmes administratifs qui font le jeu des fraudeurs pour étudier les moyens d'y mettre fin. Des propositions concrètes, dont on aurait pu juger indispensable et urgente la mise en oeuvre (mais les autorités ont clairement été d'un autre avis), servent de conclusion à ce volumineux rapport.

Un point essentiel est sans doute le suivant : "Ces escroqueries ont mis en évidence la facilité avec laquelle il est possible de percevoir plusieurs mois d'indemnisation chômage, à l'aide d'un dossier entièrement composé de faux documents, grâce au « kit ASSEDIC », élaboré et vendu par les organisateurs de ces réseaux". Il y a quelques mois, le prix de tels "kits" de fraude clés en mains était, à ma connaissance, de 1500 voire 2000 euros, éventuellement payables à tempérament sur les premiers gains frauduleux!

Le développement massif de ces activités est aussi considérable que récent (à partir de 2004 surtout pour les fraudes concernant le chômage). C'est d'ailleurs pourquoi ce n'est qu'en 2005 que l'assurance-chômage a commencé à tenter de se doter d'un service de lutte contre la fraude.

Et les services de police de conclure « La fraude est devenue un enjeu mercantile important pour des formes de délinquance de plus en plus organisées ».

Citons le rapport lui-même et un témoignage bien informé sur ce point : "L'évolution vers la sophistication des montages est nette, comme le souligne Mme Sylvia Caillard, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris : « Il faut savoir que les fraudes aux ASSEDIC ont considérablement évolué dans le temps. Les premières que j'ai eues à connaître, alors que j'étais juge à Créteil, étaient encore artisanales. Elles étaient facilitées par le fait que les ASSEDIC étaient encore compartimentées : on pouvait s'inscrire dans plusieurs départements, les recoupements n'étant pas faits d'un département à l'autre. Ces fraudes étaient difficiles à évaluer, d'autant que la plupart n'étaient pas décelées ».
Ce type de fraude ne devrait plus être possible aujourd'hui, les fichiers des différentes ASSEDIC constitués sur des bases régionales étant [en principe], désormais connectés entre eux. Par contre des systèmes reposant sur des organisations très structurées se sont développés pour exploiter une faille majeure du système".

Comme toujours dans toutes les fraudes, les fraudeurs ont une parfaite connaissance du système qui, sur ce point comme sur tant d'autres en France, est à la fois extraordinairement méfiant et naïf. Là encore citons le rapport Tian qui est tout à fait clair et précis :
"Le régime d'inscription à l'assurance chômage étant déclaratif, le demandeur fournit les justificatifs de ses périodes d'emploi par la présentation d'une attestation d'employeur (qui se commande sur internet) et de bulletins de salaire. Or, les employeurs ne déclarant que des masses salariales globales [!!!!!!], l'assurance chômage ne peut vérifier si l'employeur a bien cotisé pour le demandeur en question [On croit rêver!].

Il a été ainsi possible à plusieurs milliers de personnes d'obtenir une indemnisation au titre de l'assurance chômage, en présentant à l'inscription un dossier, dit « kit Assédic », grâce auquel ils se sont prétendus licenciés ["Preuves" à l'appui!] par des sociétés pour lesquelles ils n'avaient, en fait, pas travaillé et qui souvent n'avaient aucune activité.

Ces « kits » complets mais entièrement composés de faux documents établissant des périodes d'emploi fictives, étaient élaborés et vendus par les organisateurs de ces escroqueries".

Edifiant! La suite va de soi!

"Ces montages en réseau se développent sur tout le territoire. Une même affaire touche systématiquement plusieurs ASSEDIC, parfois la quasi-totalité pour les plus importantes. Parmi ces ASSEDIC se retrouvent toujours celles de Paris et de la Région Parisienne.
Selon les données de la police judiciaire, la durée moyenne des fraudes est de deux ans et demi et leur montant moyen de 700 000 euros. Cette durée ajoutée au nombre élevé de bénéficiaires explique, par l'addition de versements individuels limités, des montants totaux de préjudice considérables".

Cerise sur le gâteau!

"Enfin, ces réseaux sont pour certains d'entre eux, de nature communautaire, mettant en cause notamment des ressortissants d'origine turque et pakistanaise.".

La suite, plus savoureuse encore, demain!

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