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mardi 4 mai 2010

Haïti quatre mois après

Depuis le 12 février 2010, date du séisme de Port-au-Prince, j’ai écrit de nombreux posts sur Haïti, en particulier pour tenter de donner des informations un peu plus sûres que celles que nous donnaient les médias français et pour corriger les erreurs les plus criantes. Il se trouve en effet que je connais un peu ce pays depuis longtemps, ce qui n’est apparemment pas le cas de beaucoup de ceux qui ont parlé ou écrit à son propos.

Ces textes ont naturellement été publiés dans mon blog de l’époque, textes que la censure du Nouvel Observateur a rendus inaccessibles ; je les ai toutefois réunis dans un document électronique que je puis envoyer à tout(e) lecteur(e) qui le souhaite et qui me donnerait, d’une façon ou d’une autre, à cette fin, une adresse électronique.

Nombre de ces textes sont encore d’actualité, en particulier, tous ceux qui concernent, par exemple, les adoptions d’enfants haïtiens ; tout me paraît, en effet, préférable à la coutume locale des « restavek » (enfants esclaves) qui sévit en Haïti et qui concerne là-bas au moins 300.000 enfants.J’hésite en effet à republier ces textes ici car mes lecteur(e)s les plus fidèles les ont sans doute déjà lus pour la plupart.

Le Chili, le nuage islandais puis la Chine ont, désormais, fait passer Haïti à l’arrière-plan, mais quelques actions demeurent et certaines me paraissent inquiétantes, en particulier celles qui concernent le système éducatif et, plus particulièrement, le système universitaire qui est la clé de l’ensemble, puisque une école ne peut fonctionner qu’avec des maîtres adéquatement formés, la formation ne pouvant s’opérer qu’au niveau universitaire.

On va tenir à Montréal, les 25 et 26 mai 2010, dans le cadre de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) une grande, et donc très coûteuse, réunion internationale (donc avec de nombreux participants qui, sans doute, pour la plupart non seulement ne connaissent rien d’Haïti mais sont même pour certains incapables de situer ce pays sur un planisphère muet !). Le thème en est « la reconstuction du système universitaire haïtien ». Cette formulation me paraît dangereuse et j’aurais infiniment préféré qu’on employât plutôt les mots « « refondation » ou mieux encore « rénovation » !

En effet, le séisme a frappé surtout, à travers la Faculte de linguistique appliquée (où se trouvaient un grand nombre d’étudiants de l’Ecole Normale Supérieure) les futurs professeurs du pays ; 200 étudiants de lettres et sciences humaines y ont péri ainsi que trois de leurs professeurs. Il y aurait donc là, au-delà de l’horreur d’une catastrophe (où j’ai moi-même perdu plusieurs de mes amis !), une occasion, certes déplorable mais unique, de repenser à la fois un aspect majeur de l’école haïtienne et, corollairement, en amont, la formation de ses maîtres.

Dans la « rénovation » de l’université d’Haïti, un seul domaine doit être repensé prioritairement et entièrement : l’enseignement du français, puisque cette langue (l’une de deux langues officielles, l’autre étant le créole haïtien qui en est issu, tout en étant un système linguistique tout à fait autonome par rapport au français) est le médium quasi unique de l’école de base dans un pays où cette langue est parlée par moins de 10% de la population. Il y a là un choix souverain qui n’est pas à mettre en question. En revanche, un Etat qui impose, comme langue officielle et médium majeur, une langue autre que la langue première de ses citoyens a le devoir absolu de leur donner les moyens de l’acquérir.

La situation éducative d’Haïti n’est pas sans évoquer celle de la plupart des Etats de l’Afrique dite francophone, où l’école est à peu près partout exclusivement en français, alors que moins de 10% de la population parle cette langue, ce qui souligne d’ailleurs, du même coup et surtout, l’immense et ruineux échec des systèmes scolaires où les Etats engloutissent souvent le quart de leur budget national.

Il y a toutefois entre l’Afrique et Haïti (et on peut joindre à cet Etat, une dizaine de pays du monde, dont nos propres départements ultramarins !) une différence capitale. En effet, alors que les langues africaines (le bambara ou le wolof pour prendre des exemples connus) sont sans le moindre rapport génétique et structurel avec le français, le créole haïtien (comme tous les autres créoles français) met en œuvre des matériaux linguistiques qui, à 90%, sont issus de variétés de français (anciennes, régionales, populaires, « avancées », etc.) ce qui n’est généralement pas perçu, dans la mesure où la comparaison ne se fait qu'avec le français standard actuel.

Dans ces conditions, tout créolophone est familier, souvent sans le savoir, avec un grand nombre d’éléments linguistiques français. Il est donc proprement stupéfiant qu’on enseigne le français aux petits Haïtiens (et à tout enfant créolophone) comme on l’enseigne à des élèves chinois ou turcs !

Une telle situation a des causes précises, en particulier socio-historiques, éducatives, mais aussi mercantiles qu’il est facile de mettre en évidence, mais qui sont hors de propos ici. Dans la catastrophe qui s’est produite en janvier 2010 et qui a détruit une bonne partie des structures des établissements scolaires et universitaires du pays, il est à la fois urgent et indispensable de se préoccuper de la reconstruction des batiments, mais ne serait-il pas aussi opportun et je dirais même indispensable de se soucier aussi de ce qui doit se passer dans les classes ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonjour,

Je vous avais lu avec attention lors de ce drame
C'était confortable d'avoir une vue d'ensemble juste au lieu de ce fatras dramaturgique de surface sur les médias

Ces conférences au sommet je les envisageais urgentes pour planifier et organiser les secours puis la reconstruction

Y aura t il toujours ce fond de doute pour ces charismes internationaux suspectés de volonté tutellaire?

Mais peut être des enseignants français devront etre en mission de secours, le créole leur est inconnu! on se demande pourquoi au fond